II) Le système des noyaux durs ou la prolongation du capitalisme circulaire

1) Les relations structurantes avant les premières privatisations

A la veille du lancement de la première vague de privatisations en 1986, le tissu économique français est structuré autour de divers groupes industriels et financiers. Par le biais de l’échange de participations, ces derniers se regroupent à leur tour pour former des pôles d’influence.

Le groupe, désigne l’ensemble formé par une société mère (appelée généralement holding du groupe) et les sociétés filiales placées sous son contrôle  (Morin, 1974). Cette forme qui permet de fusionner des capitaux autonomes induit une unification du processus de valorisation. La société mère ou le holding qui détient le contrôle et le monopole sur les décisions stratégiques dispose ainsi d’un pouvoir discrétionnaire considérable. La péréquation des pertes et profits de l’ensemble des filiales et sous filiales du groupe au sein d’un seul et unique périmètre peut servir de moyen efficace pour les dirigeants afin de :

  • couvrir d’éventuelles erreurs de gestion commises au niveau central ou au niveau à un niveau intermédiaire ;
  • se servir du manque de visibilité de certaines activités pour accroître les prélèvements ou les investissements qui renforcent leur enracinement ;
  • de garder le contrôle du groupe dans son intégralité en dépit d’un manque évident de capitaux.

Dans cette perspective, divers modes de filiation sont adoptés. Certaines sociétés mères conservent une activité industrielle avec des effectifs atteignant 60 % du total des effectifs du groupe. Ce schéma est adopté surtout par la plupart des groupes nationalisés et les têtes de pont des groupes étrangers. Dans ce cas, les filiales ont une simple activité d’accompagnement.

A l’inverse, de plus en plus de groupes généralisent la structure de holdings financiers, avec des sociétés têtes de files dominant à leur tour des sous-groupes. D’autres groupes enfin multiplient la filialisation. Cette technique de l’ingénierie financière permet, grâce à une superposition d’une cascade de filiales et sous filiales, de pallier le manque de capitaux tant pour la croissance du groupe que pour son contrôle. La création de filiales ou de sous filiales communes, détenues majoritairement, avec d’autres partenaires est un moyen d’investir dans des secteurs complémentaires ou nouveaux sans prendre des risques élevés qui engagent toute la structure du groupe. Mais, le plus important est le contrôle capitalistique sans frais du groupe en entier par le biais d’une cascade de holdings ou sous holdings purs. Ces « sociétés » se superposent entre les centres ayant une activité industrielle ou commerciale. Chaque filiale ou unité industrielle est détenue majoritairement (ou principalement) par un holding intermédiaire. Cette dernière est à son tour majoritairement détenue par un autre holding et la structure s’étend ainsi jusqu’au sommet où l’on retrouve la société mère. Celle-ci n’est alors qu’une entité juridique servant d’organe de contrôle et de décision pour l’ensemble du groupe.

Ainsi, si l’on considère le degré de filiation, défini comme le nombre moyen d’intervalles qui séparent une société mère de toutes ses filiales avec (espace égal à 1 pour les filiales, 2 pour les sous-filiales, …), et le taux moyen consolidé de détention de capital des filiales, on constate de nettes différences. Tandis que les groupes étatiques EDF-GDF, Renault et CDF (Charbonnages de France) présentent des degrés de filiation peu élevés, avec respectivement 1.03, 1.5 et 1.85, et des participations réelles de l’ordre de 47.47, 62.68 et 54.69%, le groupe privé PUK (Péchiney Ugine Kuhlmann) dispose d’un degré de filiation plus élevé, soit 2.05, et une participation en capital qui n’est que 50.92 %.

Le contraste est encore plus frappant avec les groupes financiers Suez, Paribas, Empain-Schneider et Rotschild. Ces derniers se caractérisent par un haut degré de filiation, avec respectivement 2.64, 3.11, 3.32, 3.32, à comparer à une faible participation dans le capital de leurs filiales et sous filiales ave des taux de 37.71, 32.42, 22.67, 14.89 % 263 . Ces indications montrent que les groupes privés présentent des degrés de filiation plus élevés et des niveaux de participation en capital nettement inférieurs. Ces tendances s’accentuent même dans le cas de groupes à dominantes financières. Pour comprendre cette logique de la propriété institutionnelle, nous nous proposons d’analyser le cas de deux banques d’affaires, Paribas et Suez. Ces deux groupes ont joué à côté de l’Etat un rôle central dans l’évolution du capitalisme français.

Notes
263.

Données reprises de Bauer et Cohen (1981) et de Goldstein (1996)