Conclusion

Jusqu’à la fin des années quatre-vingt, l’économie française avait toutes les caractéristiques d’une économie mixte. Des pans entiers de l’économie appartenaient au secteur public. Disposant des principaux leviers (le rationnement du crédit, les établissements financiers publics, la fiscalité, un large système discrétionnaire d’aides et de subventions), l’Etat étend son emprise sur tout le secteur productif. A leur tour, les grandes entreprises, publiques ou privés profitent largement du soutien direct ou indirect de l’Etat. Leurs dirigeants provenant en grande majorité de la sphère publique, ces firmes parviennent souvent à orienter l’action des autorités en leur faveur (Hancké B., 1997). Cette « collusion » entre l’administration et les grandes entreprises sera un élément influent dans la régulation macroéconomique et dans le mode de gouvernance. En contrepartie du soutien tacite (mais réel) des pouvoirs publics, les entreprises placent les performances industrielles et le volet social, bien avant l’objectif de la rentabilité financière. A l’occasion, la collectivité prend en charge tout ou partie du coût d’éventuels échecs industriels.

Au sein des sociétés cela se par une gestion par consensus entre les différents stakehlders. Pour garantir la stabilité de cet équilibre, plusieurs dispositifs sont mis en place, comme l’autocontrôle, les droits de vote double, les holdings et les participations croisées. En même temps qu’ils protègent les sociétés françaises des prises de contrôle hostiles, ces mécanismes d’ingénierie financière renforcent le pouvoir des dirigeants en place. En outre l’homogénéité de l’élite renforce cette tendance puisqu’elle réduit souvent le rôle des conseils d’administration à celui de « chambres d’enregistrement ».

Ce schéma garde sa cohérence jusqu’à l’ouverture de l’économie française sur l’extérieur. Par souci de garder un contrôle français sur les entreprises privatisées, les pouvoirs publics mettent en place des noyaux durs. Ce faisant, ils contribuent à faciliter l’adaptation des ces sociétés à la concurrence. De la même manière beaucoup de managers réussissent dans un premier temps à garder le contrôle total des sociétés qu’ils dirigent. Mais à la faveur de l’évolution des modes de financement et de l’arrivée d’investisseurs institutionnels étrangers dans leur capital, beaucoup de sociétés françaises sont amenées à revoir leurs priorités. Désormais, les exigences des investisseurs et les pressions des marchés imprègnent peu à peu les décisions des sociétés. On peut alors se demander si le résultat de ces transformations en cours n’est pas une adoption progressive, mais incontournable du modèle de gouvernance anglo-saxon.