Conclusion de la deuxième partie

L’économie française de ce début de millénaire diffère beaucoup de l’économie française des années soixante-dix voire même de celle années quatre-vingt. Cette affirmation peut a priori sembler triviale eu égard à l’évolution du contexte notamment au niveau international. Cependant, en comparant les modes de financement ainsi que la logique de fonctionnement actuels des entreprises françaises et ceux qui prévalaient lors des trente glorieuses, on peut parler de bouleversements. Le crédit qui était la première ressource de financement de toutes les sociétés, ne représente plus que 30 à 40% des ressources externes des grandes entreprises cotées. A l’inverse, les ressources collectées sur les marchés de capitaux ne cessent de croitre. Une des conséquences de cette évolution structurelle, est la nette amélioration du taux d’autofinancement des firmes françaises. Contrairement à leur insuffisance chronique de fonds propres des décennies précédentes, beaucoup de grandes entreprises disposent d’un niveau de trésorerie appréciable qui leur a permis de mener des opérations de croissance externe tant en France qu’à l’étranger.

L’autre conséquence de cet appel au marché pour se financer est l’arrivée d’investisseurs institutionnels au capital de presque toutes les grandes entreprises cotées. A la faveur de la disparition des noyaux durs et des cessions des participations croisées, ces investisseurs se retrouvent souvent dans le statut d’actionnaire de référence. Du fait d’une certaine aversion au risque des investisseurs institutionnels français, qui privilégient d’abord le marché obligataire, les investisseurs institutionnels non-résidents augmentent significativement leurs participations dans le capital des grands groupes français. Ces investisseurs anglo-saxons sont, pour la plupart d’entre eux, des fonds de pension. Leur mandat consiste à maximiser la rentabilité des fonds qui leur sont confiés par leurs souscripteurs. Par conséquent, ils pratiquent une gestion patrimoniale en exigeant des sociétés dont ils sont actionnaires de maximiser le retour sur investissement. Sans participer directement aux organes de contrôle interne tel que le conseil d’administration, ces agents disposent, à travers le cours de bourse d’un moyen de pression considérable (l’exit pour que les cours s’effondrent et/ou le raid hostile). L’existence de cette menace crédible suffit à maintenir une certaine pression sur les dirigeants. Inconnus, il y a seulement quinze ans, les plans sociaux qui se traduisent par des licenciements massifs, se produisent dans presque toutes les entreprises qui font face à des difficultés financières quelles soient structurelles ou même conjoncturelles (perte de parts de marché, baisse de la marge d’exploitation). Pour avoir l’adhésion du marché, les dirigeants n’hésitent plus également à mettre en avant leur performance en matière de gestion par la valeur (retour sur investissement, taux de rendement ou de distribution des bénéfices, bénéfice d’exploitation, marge opérationnelle) ou de mettre en ouvre des techniques susceptibles de déboucher sur la maximisation de cette valeur (programme de rachat d’actions, plans de stock options).

La généralisation de ces pratiques est synonyme de la disparition à terme du modèle de gouvernance français basé sur l’approche large du stakeholder capitalism. L’inertie relevée dans le fonctionnement du conseil d’administration, nous paraît plus être une résistance, tout autant qu’une tentative d’adaptation, d’une catégorie particulière de stakeholders, en l’occurrence la population des administrateurs-dirigeants. En dehors de la recherche d’un nouvel équilibre avec les actionnaires, ceux-ci acceptent tous les principes du capitalisme actionnarial qui ne remettent pas fondamentalement en cause leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils cautionnent les plans sociaux dont les salariés sont les principales victimes.

Au total, l’évolution des modes de financement a produit de profonds réaménagements des structures financières des entreprises, qui ont contribué à leur tour à l’apparition d’une évolution parallèle des modes de gouvernance.