7.2 La relation individualisée

Une partie de notre action est consacrée à des réponses individualisées aux demandes d’aide que les jeunes formulent auprès de nous. Cette façon d’opérer s’inscrit totalement dans les principes que nous avons énoncés précédemment, le non mandat, tout en respectant l’anonymat et la liberté d’adhésion. Il va de soi que ce travail ne repose pas seulement sur le fait de trouver une réponse au problème posé par le jeune mais de permettre à ce dernier d’identifier les différents paramètres de ses difficultés, afin qu’il trouve par lui-même les éléments requis pour les dépasser. Cette dynamique de soutien, dont les bases sont le dialogue et l’écoute, est très variable ; il n’est pas question de dresser une liste exhaustive des situations difficiles que vivent les sujets ; nous tâcherons cependant, dans un souci de clarté, de classer leurs demandes en quelques rubriques :

Il est bien évident que ces accompagnements ne sont pas systématiques ; nous encourageons les jeunes à faire ces démarches tout seuls. Nous n’intervenons que si le besoin se fait réellement sentir et si on nous le demande expressément. Nous prenons là toute notre dimension de médiateur face à des institutions qui représentent d’importants obstacles à franchir : ANPE, ASSEDIC, Sécurité Sociale, Inspection du travail, organismes de formation, etc....Comme nous le notions auparavant, ces accompagnements ne doivent pas être systématiques, car ils peuvent également jouer en leur défaveur. Notre étiquette d’éducateur peut impliquer un marquage négatif. Nous essayons surtout d’avoir des contacts personnels dans ces institutions, afin que les jeunes se sentent sécurisés par une personne prête à les écouter.

Dans ce genre d’intervention, il y a deux temps. Tout d’abord, le court terme, où il faut gérer l’urgence ; la solution peut être :

Un cadre chaleureux peut permettre de dédramatiser la situation.

D’autre part, le moyen terme permet de négocier avec la famille les conditions du retour. Dans le cas où la médiation ne peut aboutir, nous conseillons vivement au jeune et à la famille d’avertir le juge pour enfants, qui ordonnera éventuellement un placement ou une mesure d’AEMO (Aide Éducative en Milieu Ouvert, le jeune restant dans la famille qui sera aidée par un éducateur d’un service AEMO). Notons cependant que le placement est vraiment le dernier recours, car il s’avère bien souvent totalement inefficace. Comme nous l’évoquions précédemment, il ne permet souvent

que de déplacer le problème dans un autre lieu, sans pour autant le régler. Beaucoup, d’ailleurs, ne l’acceptent pas, puisqu’ils fuguent et reviennent très rapidement sur leur lieu d’habitation. Même si celui-ci est synonyme pour eux d’angoisse et de “galère”, le jeune y est reconnu et à sa place.

Pour certains, ce sont la situation scolaire et les difficultés rencontrées que nous prenons en compte ; alors que pour d’autres, ce sont les tentatives d’insertion par le travail sur lesquelles nous nous penchons. Le public que nous rencontrons dans ces quartiers est cosmopolite, constitué d’environ 75% de jeunes immigrés maghrébins, turcs, asiatiques, etc... Ces jeunes cumulent les difficultés d’insertion. Le racisme environnant est pour eux une préoccupation constante, notamment dans les périodes électorales. Ce dernier est si vivemen

t ressenti qu’il devient une caution, une légitimation du passage à l’acte délinquant ; la position de ces jeunes immigrés de “partout” demande de notre part une grande qualité d’écoute, car ils se sentent très souvent dans l’incompréhension complète, tant par rapport à leurs parents que dans leur environnement.

Quand la situation l’exige, nous sommes amenés à rencontrer la famille. Le travail en direction des adolescentes est surtout un suivi individualisé ; il est très souvent consacré à des questions concernant les relations avec les garçons, la sexualité, la rupture avec le milieu familial. Parfois se pose le dramatique problème de l’avortement ; sont également abordés avec beaucoup d’acuité les sujets relatifs à l’avenir scolaire et professionnel. Pour la jeune fille, les études représentent souvent un important moyen d'autonomie, ce qui ne semble pas être la préoccupation première de tous les parents. Pour eux, une femme est faite pour rester à la maison et éduquer les enfants.

Dans ce domaine, notre rôle consiste essentiellement à analyser, informer et accompagner.

La détention préventive ne facilite en rien le travail de l’éducateur. Les représentants de la justice ne s’étant pas encore exprimés, c’est lui qui, aux yeux des jeunes, est impérativement du côté de la loi et qui prend la parole, seul dans son rôle de soutien.

Il nous faut assumer cette position en préservant notre spécificité d’éducateur, par notre soutien et aide par la relation, par notre présence durant la détention et par un contact avec la famille et dans certains cas, par notre aide dans la préparation à la sortie, ou encore par notre témoignage lors du procès. Cependant, il ne faut pas nier que ce travail éducatif est difficile avec les 13 à 18 ans, bien que les mineurs puissent être incarcérés à partir de 13 ans pour délit grave.“Tu sais, ce n’est pas grave on en profite jusqu’à 18 ans, car après c’est plus sérieux, on plonge vraiment. Il vaut mieux que ce soit nous qui allions sur les coups, nous, on ne risque rien, alors que les plus vieux risquent beaucoup “. Les plus vieux ne font, bien souvent, que le recel des objets volés. Cette loi est vécue de telle façon, qu’elle semble irresponsabiliser les mineurs jusqu’à l’âge de 18 ans. Le problème fondamental semble être le rapport à la loi. Elle n’est pas clairement énoncée et expliquée, sous prétexte que nul n’est censé l’ignorer. Bien souvent, c’est la force qui fait appliquer la loi , “force de loi, force de l’ordre ou loi du plus fort ?“. Non seulement notre société ne peut être considérée comme anomique mais, paradoxalement, elle peut être ressentie comme hypernomique. En effet, elle repose sur une multitude de petites et grandes lois, plus ou moins écrites, voire coutumières, qui ne sont que rarement respectées.

Que signifie, par exemple, dans le contexte de la cité en béton, l’interdiction de jouer ou marcher sur les pelouses ? ( seul contact possible avec la nature ) Règlement toujours en vigueur, mais transgressé par tout le monde. A force de vouloir imposer toutes ces petites lois sans tenir compte des possibilités du public de les respecter, on ne peut qu’aboutir à une dévalorisation navrante de la loi elle-même. La compréhension de son respect disparaît et le seul moyen trouvé pour lutter contre cet état de fait est la force : gardiens d’immeuble excédés, ou policiers. Un avantage ludique est à noter pour les jeunes “ on fait courir les flics “. Cependant, quand la force intervient, c’est elle qui a “ force de loi “. Nous retrouvons là le fonctionnement des bandes, avec la loi du plus fort qui règne sur les autres membres. Cela est aberrant et contradictoire quand nous constatons une attitude parallèle entre (certains) représentants de l’ordre et groupes et bandes. La société donne donc parfois une confirmation et une approbation officielle à cette démarche. Il faut également constater que, dans cet échange, la force officielle s’épuise beaucoup plus rapidement que celle des groupes. Ce constat se retrouve dans la vie quotidienne, lors d’une intervention policière durant laquelle certains policiers peuvent se calquer parfaitement sur l’attitude des jeunes délinquants.

Les adultes responsables se doivent d’être des modéles référents pour les jeunes. Il est difficile pour un éducateur de tenir un certain discours par rapport à la loi, si certains adultes ne sont pas responsables. Il y a des rôles dans la société qui ne permettent pas certains comportements.

A cette loi du plus fort, qui concrétise la jungle, doit s’opposer un énoncé clair, une explication exprimant la loi. En tant qu’éducateurs, nous en sommes largement conscients et notre action est particulièrement difficile, car nous sommes souvent seuls et en “ porte à faux “. Il ne faut pas se mentir, notre rôle est d’éduquer, de rééduquer, en faisant un travail de fond, pour réinsérer mais il n’est surtout pas de donner bonne conscience à la communauté qui, dans certains cas, nous le ressentons, nous délégue son pouvoir, ce qui lui permet de se soustraire à ses propres responsabilités que nous assumons par procuration à sa place car elle nous emploie pour cela.