7.3 : Travail avec les groupes

Comment sommes-nous amenés à travailler avec des groupes ? Il est frappant de constater que les jeunes que nous rencontrons ne sont pas simplement “ dé-structurés “, mais possèdent antinomiquement un réseau de relations, de socialité, plus important que la plupart des autres.

Des ethnologues et sociologues ont montré que, par exemple, le choix du conjoint se fait également par le regard que pose le groupe sur celui-ci et son acceptation. Au lieu de ne se structurer que sous l’oeil adulte, le jeune se structure également sous celui de son groupe, de ses pairs. L’action pédagogique de l’éducateur ne pourra échapper à cette dimension. Ainsi, l’action individuelle sera complémentaire et très proche de l’action dans le groupe, d’autant que l’éducateur rencontre rarement, dans un premier temps, un jeune tout seul. C’est aussi dans cette approche que le jeune et le groupe évaluent la crédibilité des éducateurs. Bon nombre, font l’amère découverte que le fait de se cantonner à un suivi individuel et ponctuel, les coupe du quartier et du groupe. Ils ne sont plus acceptés et sont condamnés soit à l’inefficacité, soit à la démission (les murs de l’institution n’existent pas et ne protègent pas). Si l’éducateur se rend crédible, ce sera au prix d’un suivi continu du ou des mêmes groupes. Ce travail peut être évalué à environ cinq années, le temps nécessaire pour que la génération suivante soit en centralité par rapport au quartier. En effet, un éducateur ne rencontre pas tous les jeunes, mais ceux qui sont situés au centre, c’est à dire ceux qui expriment les valeurs et les difficultés du quartier. Ces groupes sont issus d’un même quartier, qui s’organisent autour de lois qui leur sont propres et les sécurisent. L’individu est bien souvent gommé, il n’a plus sa propre identité, mais se fond dans celle du groupe. Il s’agit là pour nous de nous faire accepter et reconnaître au sein de celui-ci, sans pour autant accepter toujours son fonctionnement. Notre travail consiste, en partant de l’identité du groupe, à reconnaître chaque membre comme différent et à l’aider à avoir sa propre identité. Le passage de l’identité de groupe à l’identité individuelle permettra à ses différents membres de construire de nouveaux projets en dehors de ce groupe et d’avoir leur propre autonomie. L’expérience a montré que les résultats d’une action éducative individuelle étaient annulés par l’influence du groupe : c’est donc tout le groupe qu’il faut traiter collectivement.

Nous avons déjà noté que le milieu (pris dans son sens large : famille, quartier, ville, société...) est perturbant parce que perturbé, mais il ne faut pas généraliser. Ce n’est pas parce que le problème du milieu aura été résolu que l’individu ne sera plus marginalisé. L’effet peut durer alors que la cause a cessé. Pour être efficace, une action éducative devra donc prendre en compte le jeune et son environnement socio-économique. Si l’action de Prévention Spécialisée apparaît nécessaire sur le secteur où nous sommes, elle représente cependant une faible partie du travail à réaliser. La Prévention Spécialisée a pour mission de réinsérer dans la société les jeunes dont les problèmes sont les conséquences des difficultés de cette même société, n’est-ce pas là une gageure ? Cette mission est remplie par une présence, une écoute quotidienne, la tentative d’utilisation des équipements, du tissu local, lorsqu’ils existent et veulent bien participer à cette action. La Prévention Spécialisée est une action éducative et sociale, qui nécessite des actions coordonnées pour modifier certains aspects de vie de ces quartiers. Mais une action “réparatrice” et “préventive” sur les jeunes peut-elle être opérante si les parents, la scolarité, la formation, le travail, les loisirs ne sont pas pris en compte ?

Loin d’être une poursuite utopique, il convient de mener une action globale, en premier lieu, un travail avec les habitants et les parents, un travail de réinvestissement de ceux-ci dans leur puissance sociale et parentale, une école qui apprend et qui n’exclut plus, une vraie formation professionnelle, un centre social qui fonctionne, une vraie MJC (Maison des Jeunes et de la Culture), des aires de jeux, des espaces verts dignes de ce nom et entretenus, une rénovation du bâti et une ouverture des entreprises dans le cadre des actions de réhabilitation. C’est un vaste projet, à mener en collaboration avec les forces vives locales, l’adhésion et la participation de la population. Il s’agit là de trouver un terrain d’entente malgré les origines, les cultures, les niveaux de vie et les âges différents. Le projet de ces quartiers, ne doit pas être de voir régulièrement une équipe de travailleurs sociaux pour les jeunes dits difficiles, mais plutôt de viser toute la population et d’impliquer parents et acteurs sociaux. La mission d’une équipe de prévention spécialisée est aussi de faire remonter la réalité jusqu’aux responsables de la cité : élus, responsables d’associations, Éducation Nationale etc..., pour mieux leur faire appréhender les réelles difficultés rencontrées par les populations de ces quartiers sensibles.