2.6 Observations concernant les parents

Elles sont parfois très nombreuses et ont en moyenne 6 enfants (de 1 à 12) Les chefs de familles sont salariés ou au chômage, dans tous les cas de figure, leur situation professionnelle est souvent très précaires.

Que ce soit à Bellegarde-sur-Valserine ou à Bourg-en-Bresse, nous avons constaté peu de régularité et d’assiduité, quant à leur participation à l’action, sauf pour quelques-unes. Les arrivées des mères étaient échelonnées et souvent tardives. Le fonctionnement des parents peut paraître un peu anarchique, (nous nous méfions des fonctionnements trop exemplaires !...) mais il est issu d’une certaine logique en regard des réalités culturelles : les priorités, les valeurs données aux choses trouvent une explication ; par exemple, une femme attendra que ces visiteurs partent d’eux-mêmes avant de venir, ou que son mari soit sorti de la maison. Une autre s’absentera pour voir si son bébé dort toujours ou pour sortir le pain qui finit de cuire au four... Leur disponibilité est limitée du fait de leur charge de famille. D’autre part, il faut que tout cela s’inscrive dans le temps, de plus, ils vivent les représentations de mauvais parents qu’ils ont intégrées du fait du regard des autres. Surprotection des enfants, complicité mère/enfant ... Le père, à qui l’on cache beaucoup de choses, est l’ultime recours ...

Les inscriptions individuelles des plus petits à la Médiathèque ont suscité des réactions de la part des parents, qui les estimaient trop jeunes pour avoir la responsabilité des livres empruntés. D’autre part, leurs craintes lors de sorties à Lyon montrent que l’autonomie et la prise de responsabilité des enfants est parfois diminuée par ces adultes, qui les “surprotègent“ . Les mères affichent une sur-protection, même pour les plus grands. Ainsi, les sorties inhabituelles étaient “inquiétantes“; la séparation était difficile et c’était angoissant pour tout le monde de vivre cet éloignement. La compensation consistait en des provisions démesurées pour les goûters.

Enfin, lorsque quelque chose disparaît du local et que nous en faisons part aux mères, il n’est absolument pas possible que les enfants en soient responsables. Ils ne peuvent, en aucun cas, être coupables de quoi que ce soit. Elles ont un comportement très fusionnel avec leurs enfants et sont solidaires avec eux ; on peut comprendre, ainsi, entre autres explications, l’absence des pères, qui sont, là encore, exclus. Elles sont très indulgentes et racontent comment les enfants arrivent à les tromper pour les mauvaises notes ou les papiers à faire signer, ou encore comment ils leur volent quelque argent ... Elles sont presque fières de raconter cela “ils y arrivent bien , ils se débrouillent “.

Un constat : Le travail ou diverses occupations à l’extérieur de la maison ne constituent pas la seule explication, les pères sont absents tant dans la réalité que symboliquement. Un énorme travail est à faire pour qu’ils soient et se réinvestissent dans le rôle qui est le leur. Il y a une grande complicité entre les mères et leurs enfants. Le PERE apparaît comme l’ultime recours. Référence lui est faite seulement, (quand il n’est pas trop tard et qu’ils ont encore ce rôle, ce qui est très rare), dans les situations d’autorité ou de répression, quand un problème dépasse la mère. Sinon, on ne lui dit que le strict minimum. On lui cache des choses. Et souvent, même s’il est présent physiquement, on le ressent comme absent.

Nous avons consacré du temps en usant de diplomatie et beaucoup de paroles (palabres) pour expliquer notre démarche auprés des familles et dans le quartier. Après plusieurs séances, des rencontres avec les parents furent jugées indispensables. Notre présence à la sortie de l’école permettait de faire passer l’information. Un courrier nominatif pour rappeler les dates et les contenus, ce côté “invitation officielle“, et non convocation, a eu un impact positif en termes de reconnaissance et semble les avoir incités à venir. La confusion des premières rencontres avec les autres activités développées dans le cadre des collectifs d’animations (Alphabétisation, Couture, Cuisine, etc ... ) nous rappella qu’il faut du temps et beaucoup de paroles pour que l’action soit entendue et comprise.

La demande des parents était et reste attachée aux devoirs qui doivent être faits. Et c’est le rôle des instituteurs, des éducateurs et des animateurs d’y veiller. Ils attendent des choses concrètes, traductibles au niveau de la réussite scolaire. Cette position vaut pour beaucoup de parents, le discours étant que les difficultés scolaires que peuvent rencontrer leurs enfants sont essentiellement dues à l’école et aux instituteurs, qui ne sont pas assez sévères. Nous verrons dans notre troisième partie, ce qui nous semble explicable dans cette attitutde compte tenu du faible investissement des parents dans la scolarité de leurs enfants et la large délégation de pouvoir qu’ils font à L'Ecole. (les parents se disant incapables de suivre la scolarité de leurs enfants et souvent perçus par eux mêmes ou la société comme de mauvais parents, s'en remettent à ceux qui savent ) .

L’extérieur du quartier et tout ce qui est en dehors de l’école (l’Ecole étant obligatoire) : la bibliothèque, la médiathèque, les livres, les jeux, le théâtre, etc ... sont tenus à distance et ne sont pas valorisés. Les parents se sentant rejetés de ces lieux, ne paraîssent pas apprécier l’intérêt que cela peut avoir sur la scolarité de leurs enfants et, par conséquent, ne les incitent absolument pas à utiliser ces lieux ou activités. Certains se montrent mêmes très réticents, comme si l’intérêt que pourraient y porter leurs enfants était une “faute“. Les mères elles-mêmes semblent dans une position de totale dépendance et d’attente envers l’Ecole, tout comme par rapport aux services sociaux.