4.7 Bilan de cette expérience

L’expérimentation des ateliers de lecture écriture calcul a concerné plus de 400 personnes pendant ces quelques années (juin 1989 à mai 1994 sur l’ensemble du département). C’est donc un programme qui a été mis en place avec des interventions concernant des groupes de 4 à 5 personnes, l’idée étant de substituer au déficit des capacités d’apprentissage l’hypothèse de possibilités de modifiabilité et d’acquisitions nouvelles. Il s’agissait donc de placer les bénéficiaires de l’action dans des conditions d’apprentissage différentes de celles habituellement connues, en leur donnant tous les pré-requis utiles à la résolution des tâches et en ayant comme souci permanent de les faire réussir.

Le but recherché était de permettre aux apprenants de repérer, d’analyser les raisons de leurs réussites et de leurs échecs par les processus d’interaction qui entrent dans la résolution des problèmes. Il importait également de créer la motivation des personnes en leur rendant les tâches accessibles, attrayantes ; même si elles apparaissaient difficiles, elles l’étaient tout autant pour le formateur, ce qui supposait que l’apprenant et le médiateur cherchaient et réussissaient ensemble. Il s’agissait en fait de modifier la perception que les personnes avaient d’elles-mêmes, de les aider à passer de l’état de récepteur, passif, à celui d’acteur, de leur changement, en influant ainsi sur les conduites d’échecs antérieurs, de les rendre demanderesses de savoir en travaillant sur la notion d’obstacle, c’est à dire en identifiant les difficultés rencontrées et, à partir de celles-ci, d’articuler les savoirs à s’approprier, qui donnent sens pour lever ces obstacles. Il convenait donc de rendre l’apprenant constructeur de savoir, de l’amener à analyser, comparer, formuler des hypothèses et les vérifier, en le sensibilisant à la démarche, aux processus, et non au résultat.

Leur apprendre à apprendre, les rendre stratèges de leur savoir, les aider à identifier les démarches plus efficaces pour elles, retrouver le plaisir de la réussite, tels furent les enseignements essentiels que nous avons voulu apporter à ceux qui ont suivi les ateliers de lecture écriture calcul. De plus, pour les parents qui souhaitaient mieux accompagner leurs enfants dans leur scolarité, même s’ils en sont encore au B-A BA, il est important pour ceux-ci de voir l’intérêt des premiers à l’égard du travail scolaire. Des parents qui se remettent à apprendre sont un véritable moteur dans la famille.

Il y a des personnes qui, depuis deux ans, ont changé de comportement, d’attitude physique, qui osent s’ouvrir, prendre la parole, donner une opinion, plaisanter avec les autres “ élèves ”. Pour exemple, cette dame laotienne qui fréquente ATELEC depuis trois ans maintenant, peut communiquer. Parallèlement à cela, elle a plus confiance en elle, prend des initiatives, s’organise seule devant une consigne. Petit à petit, elle a façonné ses acquis et s’en sert. Elle est allée lentement, à son rythme, elle a pris conscience de sa valeur, a intégré des apprentissages en élaborant des relations sociales et se dirige vers une réalisation effective et réussie.

Il y aussi les irréductibles ! Madame E vient régulièrement, et avec plaisir. Le travail d’évaluation de début d'année fait apparaître des capacités certaines. Cependant, elle montre un comportement “éclaté“, peu autonome, avec des moments de coupure ou d’euphorie. D’importants problèmes familiaux la préoccupent et, pour l’instant, nous observons une déstructuration dans l’apprentissage comme des blancs, des vides, des éléments morcelées. Elle continue à s’exprimer dans sa langue, même si personne ne la comprend (ni les autres ni nous...).Très attachante, elle se met constamment en situation d’infantilisation. L’évaluation de fin d’année vient confirmer tout ceci : elle a régressé.

Ces deux exemples expliquent qu’il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu et de nombreux événements gravitent autour de l’apprentissage même. Si l’objectif est d’apprendre à lire, écrire, compter, il reste qu’un travail de formation ne peut être authentique si l’on ne prend pas en considération toute la problématique de la personne.

Positiver, encourager, motiver, accompagner, revaloriser, donner un sens, c’est toute la méthode de travail des ATELEC avec, comme postulat, “ la prévalence du processus sur le contenu“. Quelques réflexions glanées au cours des évaluations finales refléteront bien mieux la dynamique suscitée par ATELEC.

‘“ Quand je lui ai donné le chèque, ça l’a surpris. J’étais fière de moi “. ’ ‘“ C’est bien de pouvoir se débrouiller toute seule “. ’

Il faut aussi savoir accepter l’éventuel refus que peuvent manifester certains, au bout des deux premières séances le plus souvent. On ne les revoit pas, sans explication. Ils ne sont généralement pas prêts à bouleverser des mécanismes de défense bien stabilisés, qui les protègent des autres. On a vu, revenir au cours de ces trois années de fonctionnement, des personnes une fois, deux fois, trois fois, jusqu’à ce que ce soit la bonne. Nous répétons avec insistance que chacun est libre de quitter le groupe quand il le souhaite. Cette souplesse est indispensable à un public qui a souvent connu l’échec et tente une ultime démarche pour essayer “d’apprendre“.

Les ATELEC s’adressaient en 1989 à une population adulte dans un quartier de Bourg en Bresse, sous forme d’un atelier permanent, gratuit et sans rémunération pour les stagiaires avec, comme support pédagogique essentiel, la remédiation cognitive et la théorie de la modifiabilité structurelle (apprendre à apprendre).

Devant le succès enregistré, un atelier s’est ouvert à Bourg en Bresse dans un autre quartier (1990) puis à Oyonnax, sur la Côtière Lyonnaise (1991) : Miribel, St Maurice de Beynost, Montluel et à Arbent (1992).

En 1994, tous ces ateliers étaient pleins. 169 personnes (54 à Bourg en Bresse, 54 sur le Côtière, 61 à Oyonnax) ont suivi les cours durant l’année scolaire 1992/1993 et, en 1993/1994, on été refusées des inscriptions (environ 60). Le besoin est donc démontré. Il fallait, maintenant, trouver un “repreneur” de droit commun, car il n’est pas dans la mission de la Prévention Spécialisée de pérenniser ce type d’action.

Pour certaines personnes inscrites aux ATELEC depuis trois ans, il nous a semblé important de trouver d'autres solutions, afin qu’elles poursuivent leur évolution dynamique. Un groupe de travailleurs sociaux a réfléchi à cette question en termes d’insertion sociale et professionnelle, mais également de relais de droit commun possible. ATELEC devrait être un réel tremplin à l’intégration sociale et professionnelle du public reçu. Cependant, il apparaît particulièrement nécessaire que ce stade de “tremplin” puisse être relayé par des structures intermédiaires favorisant et renforçant ce processus. Devant le constat que les relais de droit commun n’étaient pas repreneurs, nous avons donc tenté, dans la mesure du possible, de travailler dans ce sens, en créant un réseau d’échanges réciproques de savoirs ( RERS ), que nous allons maintenant étudier.