5) Le savoir fait médiation

Afin que des personnes différentes entrent en relation, le savoir en tant que médiateur représente un objet précis, qui évite une implication affective trop forte, insurmontable pour certains, entre les participants et pour l’animatrice. L’échange de savoir permet d’entrer dans la communication.

Les relations sont positivées. Les échanges sont l’occasion d’amitiés nouvelles, qui se concrétisent par des rencontres en dehors du Réseau. Cette évolution est particulièrement significative pour les personnes qui souffrent de leur isolement. Elles trouvent l’occasion “d’oser” sortir du quartier, parce que reconnues ; d’entrer en contact avec d’autres qui ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Les relations nouvelles permettent de surmonter des obstacles.

CHANTAL obtient un Contrat Emploi Solidarité dans sa commune de résidence.

‘“Depuis que je suis dans le Réseau, je rencontre un tas de gens qui me reconnaissent et me disent bonjour. Je me sens moins seule.”’ ‘IRENE : “Ma participation au Réseau me force à sortir un peu de ma coquille, à m’intéresser aux autres.”’ ‘JACQUES : “J’ai trouvé une ouverture. Je suis moins renfermé. J’ai trouvé de quoi donner, de quoi recevoir ; et j’ai eu des témoignages vraiment amicaux des réseaux, qui m’ont touché.”’

Certaines relations vont en s’améliorant. Les personnes se découvrent sous un autre jour. Elles apprennent à se connaître à travers l’échange ; partagent un intérêt commun pour le Réseau ; prennent conscience de leur complémentarité possible, de l’importance de confronter leurs idées et opinions, même si l’on n’est pas d’accord ainsi que de l’efficacité de la solidarité dans le développement du Réseau. Chacun se retrouve dans des rôles différents, tour à tour enseignant et enseigné. L’expérimentation de la parité et de la réciprocité favorise un rééquilibrage des statuts entre les personnes “stigmatisées” et “socialement intégrées”.

‘MARTYNE : “Je partage des choses avec des personnes que je n’osais pas affronter .”’

Nous notons la transformation des représentations. Cette évolution est rendue possible parce que les personnes sont dans une position de rencontre et d’ouverture. Elle modifie les “ clichés ” et “ présupposés ” de départ. Chacun “ donne à voir ” un autre aspect de lui-même.

‘Jean-claude : “ Là où il y avait des barrières, elles n’y sont plus .” ’

Plus les personnes s’approprient l’esprit “réseau”, plus elles ont la spontanéité et le souci d’associer, dans certaines démarches qui les concernent, des personnes qui en étaient exclues. Ceux qui offrent le soutien scolaire associent les parents à leur démarche et établissent un lien avec l’école.

Elise développe la randonnée pédestre en favorisant la venue de parents accompagnés de leurs enfants, qui n’avaient pas l’habitude de sortir en famille.

Des personnes renouent ou améliorent des liens avec des membres de leur famille, en reprenant contact après des années de rupture ou en partageant une expérience avec eux dans le projet. La reprise de confiance en soi, la remise en question, la réciprocité, favorisent la communication, la démarche “ d’aller vers ”.

‘Elise : “ Depuis que je suis dans le Réseau, je prends du recul par rapport à mes problèmes de communication avec mon mari. Je me sens mieux dans ma tête. Nos relations se sont améliorées.“’

Les relations entre les personnes connues des services sociaux et les professionnels se modifient, s’améliorent. Pour certains, la revendication de leur participation au Réseau répond au désir de renvoyer une image différente, plus positive d’eux-mêmes et de faire reconnaître leur capacité à s’impliquer dans une démarche choisie dont ils ont la maîtrise. De leur côté, les travailleurs sociaux, soit qu’ils aient eux-mêmes participé au projet, soit qu’ils s’intéressent à la démarche, repèrent des ressources en dynamisme et en prises de paroles par rapport à ce que les “ usagers ” de leurs services vivent, une “modifiabilité” des comportements allant dans le sens d’une prise en charge de soi.

‘Marie-Christine (assistante sociale) : “En tant que professionnelle, les Réseaux présentent, pour moi, une sorte de bulle d’oxygène... Les gens en situation d’isolement, à qui je parle du réseau, deviennent acteurs de leur propre vie. Ils montrent qu’ils ont tous un potentiel en dynamisme et quelque chose à transmettre.”’

Pour l’ensemble des personnes, les liens avec les équipements, associations, institutions locales se créent ou se développent en termes de connaissance, communication, fréquentation. L’implication dans le Réseau permet à certains participants de connaître le fonctionnement des structures locales et de participer à des activités extérieures. Le projet est comme un tremplin qui facilite l’intégration dans des lieux plus “institutionnalisés“. Ceux qui ont une bonne maîtrise de leur environnement contribuent au développement du réseau, à travers leur démarche de le “faire connaître”. Au-delà de la “consommation” de services et/ou prestations proposées sur les communes, ils se situent en tant qu’acteurs du Réseau, deviennent des interlocuteurs privilégiés pour le défendre et trouver de nouveaux appuis.

Iréne utilise ses antécédents dans le milieu de la Presse locale pour diffuser des articles sur le Réseau. Elle s’occupe, avec Louisette, du lien avec les équipements concernant le prêt de locaux pour les échanges. Cette dernière anime le groupe “ Soutien scolaire ” en lien avec l’école.

Le passage dans le Réseau favorise la remobilisation autour de projets personnels. La participation au groupe d’animation contribue à une évolution positive vers une prise en charge de soi. Les personnes expérimentent des situations nouvelles, des rôles différents, dans un lieu qui réunit les conditions nécessaires à la prise de risque : climat de confiance, absence de jugement, respect des personnes et de leur rythme, suppression de la notion de rentabilité, tâtonnements possibles, libres choix. Elles ne se sentent pas en danger. L’implication évolue vers plus de prise de responsabilités et d’initiatives. Tous expérimentent la rédaction, la communication, l’écoute. Les tâches se diversifient en fonction des souhaits et des capacités de chacun : d’administratives - réalisations des comptes rendus, mises à jour des fichiers - ces tâches évoluent vers la prise en charge de l’aménagement du local, les mises en relation entre offreurs et demandeurs, la création d’outils de valorisation et de transmission du projet : présentation des échanges sous forme de panneaux-photos, dessins, écrits, constitution d’un press-book.. ; développement des liens avec d’autres réseaux au niveau départemental et régional : participation aux rencontres inter-réseaux sur des thèmes, colloques, prise de contact avec le Réseau santé de Lyon Croix-Rousse dans le 4 ème arrondissement et aide au démarrage des réseaux de Bellegarde et Montluel daxns l’Ain.

Ces expériences vécues comme positives induisent des demandes de formation dans le groupe d’animation : participation à une journée de travail sur les mises en relation et/ou stage de formation à l’animation des réseaux. C’est un lieu qui favorise la prise de parole, l’émergence et la visibilité des capacités créatrices. La place prise par les participants révèle le désir de participer à la construction du Réseau. Un sentiment d’appartenance se développe parce que chacun se sent respecté dans son individualité. A partir de ceux qui arrivent au Réseau avec un sentiment d’échec et peu d’espoir en l’avenir, l’expérimentation de la prise en charge de soi dans des situations diversifiées et multiples leur permet de retrouver du sens à leurs actes, l’énergie nécessaire pour résoudre certaines difficultés. Des démarches sont entreprises dans les domaines du logement, de la santé, de la formation professionnelle, du travail, de l’organisation du quotidien, de l’administratif et de l’éducation des enfants.

Jean-Claude quitte temporairement le réseau pour concrétiser une démarche de soins jusque-là négligée. Suite à son investissement pour régulariser sa situation administrative auprès des ASSEDIC, des droits liés à une situation antérieure à l’attribution du RMI sont récupérés. Cette situation suscite de sa part une demande de gestion du budget. Son implication dans le groupe d’animation l’amène à s’intéresser au stage de formation Réseau (organisé par la Coordination Régionale) dont il souhaite négocier le financement dans le cadre de son contrat d’insertion (RMI).

Le passage dans le réseau, s’il contribue à favoriser ce changement positif, trouve sa force dans une complémentarité avec d’autres accompagnements, effectués par les travailleurs sociaux en lien avec les personnes en situation d’insertion.

Ce désir d’autonomie reste fragile pour des personnes qui doivent remonter la pente de l’échec. Les indicateurs de changement positif, à un moment donné, dans les histoires de vie, ne sont pourtant pas à négliger. Ils ont le mérite de révéler que les situations ne sont pas figées et immuables.