Chapitre 6 : BILAN DES DIFFERENTES EXPERIENCES EDUCATIVES ET SOCIALES

Notre principale difficulté, dans un premier temps, fut de faire comprendre, tant aux parents qu’aux instituteurs, que notre objectif n’était pas de lutter contre l’échec scolaire en offrant du soutien scolaire. Ce serait tromper tout le monde, enfants, parents et instituteurs, que de le leur laisser penser. Néanmoins, il a subsisté longtemps dans l’esprit de beaucoup de monde que ce travail n’était pas sérieux et qu’il serait préférable que les enfants travaillent à leurs devoirs. (qui, d’ailleurs, précisons-le, sont interdits en classe primaire). Pourtant, avec le temps, des progrès scolaires ont été constatés par les instituteurs :

Les enfants ont ressenti l’intérêt que nous leur portions et ont manifesté une envie de réussir. Ils se sont montrés beaucoup plus intéressés et demandeurs envers leur instituteur. Une interaction a, semble-t-il, eu lieu ; leur motivation a permis à l’enseignant d’adopter une attitude plus positive face à eux. On peut également envisager que l’inscription des parents dans cette dynamique a eu des effets démultiplicateurs dans les progrès constatés. Il était intéressant de les placer dans des situations et des cadres différents, sous des regards différents. Ceux-ci ne réagissaient pas de la même façon et n’avaient pas les mêmes comportements ; était-ce l’effet Pygmalion ?

Les résultats (tous terrains confondus) furent révélateurs. Ils se sont toutefois révélés plus positifs pour les enfants du CP (maturité, stabilité, désir de faire, de réussir) que de ceux de CM2 ou de 6 ème, chez qui les mécanismes d’échec sont, certainement déja bien installés. Les effets furent plus observables chez les premiers que chez les derniers : Les plus jeunes souffraient moins dans les classes que leurs grands frères (6 ème), qui étaient déjà confrontés aux marquages des difficultés scolaires. Enfin, même si nous avons rencontré des enfants en difficultés scolaires, malgré une intelligence constatée au travers des moyens pédagogiques utilisés : jeux, utilisation de l’ordinateur, théâtre etc ... . nous avons pu vérifier qu’il n’y avait que peu de réelles difficultés d’ordre cognitif.

Ce constat, pose la question de savoir la raison pour laquelle de nombreux d’enfants issus de quartiers défavorisés se retrouvent dans des sections spécialisées, où ils n’ont strictement rien à y faire. Il semble qu’il ne faille pas confondre difficultés scolaires et celles d'ordre purement cognitif.

Le manque d’investissement des parents dans la scolarité de leurs enfants et leur large délégation aux instituteurs et aux éducateurs, peuvent également être analysés comme une perte de pouvoir ; le concept de déparentification nous semble être un élément important. Nous pensons, d’autre part, que cette analyse peut également s’appliquer à des familles françaises non issues de l’immigration. Cette notion de déparentification doit donc être prise en compte de façon élargie. Cependant, cela dépasse l’unique compétence de l’Education Nationale et la réalité de ce concept nous amènera ultérieurement à interroger le rôle et le positionnement de l’Action Sociale devant cette réalité.

Enfin, en amont de cette expérience, nous avons rencontré les instituteurs, pour leur faire part de notre projet d’action et de les y associer. Bien qu’ils l’aient trouvé fort intéressant, nous avons eu le sentiment que ce projet était vécu par eux comme la bonne action que le système scolaire ne leur permettait pas. Aussitôt, ils ont situé leur participation dans le repérage (qui avait, de fait, valeur de marquage ou de stigmate) des enfants difficiles qui n’étaient pas obligatoirement en échec. Ils ont également volontiers participé à la fête de quartier. Mais, au delà, nous n’avons pas vu d’avancée significative dans la synergie École, Quartier, Famille sur laquelle nous comptions.

Seul l'enseignant ZEP est venu régulièrement, en dehors de son temps de classe, à nos réunions de travail. Il nous semble que les instituteurs n’y croyaient pas beaucoup, et voulaient uniquement s’assurer que nous ne faisions que de l’animation et non de la pédagogie, comme si nous opérions une incursion dans un domaine réservé. Les corporatismes et la notion de territoire restent encore puissants. Face à cette attitude hermétique, nous ressentions une sorte de gêne à constater que ce soient des éducateurs qui se posent des questions d’ordre pédagogique concernant la réussite scolaire des enfants, en niant que l’échec scolaire soit une fatalité.

Cette action et l’application du P.E.I. au sein de l’école, bien que difficile à réaliser, démontrent indubitablement une évolution des enfants, leur envie d’apprendre. Il n’en demeure pas moins un certain nombre de difficultés :

La majorité d’entre eux a réalisé des progrès (impression de mieux savoir, abord plus facile de l’écriture, sentiment de mieux être, déblocage, désir d’apprendre). D’autres ont le sentiment d’avancées peu sensibles (irrégularité, stagnation, défaitisme). Par ailleurs, il est à noter que certains, sans évolution scolaire significative, figuraient parmi “les plus performants” dans le cadre du P.E.I. Ce qui nous amènera à nous poser la question des critères de l'évaluation. Nous avons été souvent confrontés aux difficultés prétendues des enfants, alors qu’ils faisaient preuve de capacités cognitives importantes et qu’il convenait de renverser les “a priori” par leurs réelles capacités à apprendre en insistant sur les observations positives.

En résumé, plus que les acquis scolaires, nous nous sommes attachés aux processus d’éducabilité et aux capacités de changement. Les résultats obtenus montrent, à l’évidence, des avancées significatives mais qui ne peuvent être retenues comme définitivement stables. Malgré ces fragilités, nous avons noté la formation d’habitudes, le contrôle de l’impulsivité, des comportements de planification et d’analyse abstraite, démonstration, s’il en était besoin, de la prévalence du processus sur le contenu.

Nos projets n’étaient pas basés sur la polémique et le jugement mais sur l’ouverture et le partenariat or ils ont souvent été ressentis comme une intrusion dans une chasse gardée. Cela pourrait nous laisser croire que l’école a des raisons de se refermer sur elle-même et de penser que nous la remettons en cause.

Des deux actions sociales que sont les ATELEC et Le RERS, nous pouvons retenir :

Les ATELEC ont été conçus en vue de redonner de la puissance sociale aux parents, tout en favorisant ainsi la socialisation des enfants. Leur besoin et leur pertinence étant démontrés, la question qui s’imposait à nous était l’avenir de cette action. En effet, à l’exception de Bourg en Bresse, où le concours de la C.A.F. était important par le détachement conséquent de conseillères en économie sociale et familiale et d’un animateur, fruit d’un réel partenariat, sur les autres secteurs la Sauvegarde a toujours supporté seule la coordination pédagogique et la gestion financière du personnel. La question qui se posait était de savoir s’il était de la mission de la Sauvegarde et, plus particulièrement, du service de prévention spécialisée de gérer ces ateliers, compte tenu de sa spécificité d’Aide Sociale à l’Enfance, alors que la majorité des bénéficiaires des ATELEC sont âgés de plus de 30 ans. Comment trouver une possibilité de transfert de cette activité, une assurance de financement, sans remettre en cause chaque année la reconduction de l’action et surtout comment stabiliser le personnel, confronté à la succession de contrats à durée déterminée après des périodes de chômage de trois mois ?

Différentes hypothèses avaient été envisagées en 1994. L’une résidait dans le transfert de la gestion des ATELEC à une association départementale qui aurait été impulsée par la C.A.F à savoir, l’association de gestion d’actions d’insertion sociale (AGIS). Le conseil d’administration de la C.A.F, avait préféré à une solution départementale la constitution de deux AGIS, l’une à Bourg, l’autre à Oyonnax plus en phase avec la politique développée par les centres sociaux et les conventionnements avec les municipalités concernées. De ce fait, par manque d’unité pédagogique et financière et ne pouvant prendre en compte le problème spécifique de la Côtière, la solution AGIS a été écartée ; la Sauvegarde s’est donc trouvée contrainte, par obligation morale vis à vis des bénéficiaires, de reconduire une année encore les ATELEC (année scolaire 1992/1993).

Toutefois, et pour préparer la transition, après expression de tous les financeurs concernés, ressortaient les possibilités suivantes :

  1. révision de la position de la C.A.F. sur la gestion d’AGIS par la fédération des deux associations existantes et intégration de l’ATELEC de la Côtière.
  2. Demande à la Sauvegarde de la création d’une nouvelle unité de formation indépendante des autres services existants.
  3. Création d’une association spécifique ATELEC.

Après différentes concertations, une solution médiane a finalement été trouvée, la C.A.F. gérera par le biais de son service social les ATELEC pour l’année scolaire 1993/1994, garantissant ainsi l’unité pédagogique, le personnel étant employé par une association “ad hoc”, afin de fédérer l’ensemble des financements. Malheureusement, le temps nous a permis de constater que cette action était redevenue une action sociale classique, plus proche de l’alphabétisation.

Cette autre action sociale que représente la mise en place d’un Réseau d’Echanges Réciproque de Savoirs (RERS) fut pour nous une démarche de laboratoire, où s’analyse de façon continue ce qui se passe à l’intérieur de l’action menée avec les participants ; la capacité du système à se développer et perdurer ; les problèmes rencontrés notamment avec les partenaires institutionnels, qui ne semblaient pas apprécier cette autonomie soudaine, qui soustrayait un public à un quelconque contrôle, ne pouvaient plus intégrer ce dernier dans un comptage pour valider leur propre légitimité. La justification, le bien-fondé de l’action et l’évolution des objectifs leurs échappaient. Cette nouvelle démarche d’action sociale interroge, de manière permanente, les promoteurs du projet sur les convictions profondes ayant suscité son investigation, le passage de “l’utopie" à la réalité. Cette démarche, en mettant les participants en position d’acteurs responsables du devenir du projet, agents de transformation pour eux-mêmes et dans le groupe, introduit une logique d’accés à la citoyenneté.

Ainsi, les notions de puissance sociale et de citoyenneté recouvrent, à la fois, la conscience d’être citoyen, c’est-à-dire responsable de ce qui se passe dans sa vie, et les rapports entretenus avec les autres dans son environnement, (on n’est pas citoyen sans concitoyens). Il n’y a pas de citoyenneté sans lien social. En ce qui concerne notre champ d’intervention, prendre en compte cette approche face à la problématique de “l’exclusion” nous permet de nous intéresser au rôle et à la place de l’individu comme acteur à part entière, dans son quartier, dans sa ville ; en référence à la définition du citoyen présentée par Aristote, c’est-à-dire l’habitant qui “appartient” à la “Cité”. Etre citoyen, au sens où nous l’entendons, sous-tend de “se reconnaître” dans une vie collective et d’avoir la certitude “reconnue” de pouvoir agir pour déterminer sa vie.

Cette Citoyenneté-là ne se décrète pas mais se construit au jour le jour, dans différents lieux de la vie quotidienne : l’école, le quartier, les institutions qui concourent à la vie de la Cité. Nous avons essayé, au travers de cette expérience, de voir les effets produits par le passage dans le réseau, en termes de prise en charge de soi et de relations sociales. L’analyse de situations concrètes a permis de révéler ces transformations et de rendre possible une construction théorique.