2.4.1 : L’Education Nationale aujourd’hui

  • 14 010 500 élèves et étudiants, 457 810 bacheliers dont 186 175 bacs techniques et professionnels (63 % de la classe d’âge sort du système scolaire en 1993 avec le niveau du baccalauréat ), 2 074 591 étudiants en 1994- 1995.
  • Environ 1.155.800 fonctionnaires dont 770.436 enseignants dans 67.654 établissements dont 59.918 écoles , 7 .589 collèges et lycées ,76 universités .

c’est également : ( 59 )

  • 54 langues étrangères enseignées ( obligatoires ou facultatives ).
  • 51 séries ou options du baccalauréat .
  • 50 brevets d’études professionnelles ( BEP ) .
  • 270 certificats d’aptitude professionnelle ( CAP ) .
  • 100 brevets de technicien supérieur ( BTS ) .
  • 2 400 000 candidats aux examens du secondaire chaque année .

et c’est encore :

Un budget de 348,5 Milliards de Francs, qui représente environ 18,6 % du budget de l’Etat et environ 7 % du produit intérieur brut (PIB) .

L’accés de la plus grande partie d’une classe d’âge à un enseignement autrefois réservé à l’élite sélectionnée pose aujourd’hui d’important problèmes de contenus, de méthodes et de conception de la mission de l’Education Nationale. Dans l’analyse de cette réalité, l’Ecole rencontre énormément de difficultés. Elle a un programme et sa mission semble être uniquement de dispenser un savoir à des élèves, sans réellement se préoccuper de leur donner les moyens de maîtriser ce savoir, de pouvoir le transférer dans la réalité de la vie, donc d’agir avec ce savoir, ce qui nous paraît essentiel pour rester maître de son destin. Le problème n’est pas, à notre avis, de savoir si l’Ecole apprend bien aujourd’hui aux enfants et aux jeunes les mêmes connaissances qu’à leurs grands-parents, mais de savoir si ces enseignements leur permettront d’agir, de vivre et d’être heureux dans le 21 ème siècle qui sera le leur.

L’accés d’un plus grand nombre à la scolarité produit-elle un abaissement du niveau de formation ? Cela n’est nullement prouvé car les critéres retenus pour valider une réponse négative n’apparaissent pas toujours trés probants. De plus, il semble que cette préoccupation ne date pas d’aujourd’hui : “ Nous devons avouer que nous avons quelquefois reçu des lettres ou des réclamations d’individus pourvus de ce grade (le baccalauréat) et dont le style et l’orthographe offraient la preuve d’une honteuse ignorance.” (Cuvier, président de la Comission d’instruction publique, 1820.).( 60 ) Cependant, il est indéniable que la massification a entrainé une selection, qui semble-t-il, est plus rigoureuse. Aujourd’hui, certains hussards de la République dénoncent ce qu’ils ressentent comme une imposture de l’école : au nom d’une mission d’éducation, elle semble oublier son devoir d’instruction. Il nous semble, là encore, un vieux démon reprend vie : la sélection par l’échec. La perspective d’amener quatre jeunes sur cinq au niveau bac. nous semble être une bonne intention. Cependant, cette dernière mesure, ne semble pas exempte d’effets pervers quant à l’orientation des éléves, enfin une autre question subsiste, qu’adviendra-t-il du cinquième ? Nous évoquions précédemment la notion de sélection par l’échec et non par la réussite. Cela suppose qu’il n’y ait qu’une norme de la réussite et que, pour réussir, il faille s’y plier. Ainsi, la différence n’est pas reconnue et, de fait, non autorisée. Pourtant cette différence est à l’origine de l’échec social car si le potentiel d’intelligence existe, il n’est pas pour autant exploité dans notre système éducatif où cette aptitude n’est ni stimulée, ni sollicitée et ainsi non récupérée, ce potentiel ne pourra donc que rarement se développer. C’est dire l’importance d’une pédagogie de la réussite qui prendra en compte la différence, qui n’acceptera pas les méthodes uniques qui ne conviendront qu’à certains. N’est ce pas également la mission de l’Ecole ?

Les repères historiques que nous avons évoqué, nous ont montré que la pauvreté et l’exclusion étaient souvent au centre du triangle : instruction, économie et pouvoir. Nous avons pu également constater que l’éducation avait une histoire mouvementée à la hauteur de ses enjeux. Il semble que de tout temps elle ait cristallisée les tensions de la société : de la fin du Moyen Age à la Renaissance, puis de la Révolution Française à 1848, de la loi Falloux à l’instruction obligatoire, de mai 1968 à la loi Savary de 1984, puis ces dernières années avec le projet de réforme de la loi Falloux de 1993 et enfin la violence qui se développe en son sein. Cette réalité du système scolaire semble directement liée au statut et à l’échec social et accentue les clivages sociaux. Notre système éducatif semble encore aujourd’hui, répéter et reproduire la discrimination sociale. Il semble que, s’il doit y avoir un nouveau rapport au savoir, il doit y avoir également un nouveau rapport au pouvoir.

Que l’enfant sente qu’il puisse agir sur ce qu’il apprend, il se sentira d’autant plus concerné s’il a des prises sur ce qu’il fait. De cette manière, même s’il y a échec social, le système éducatif pourrait être un relais pour développer et solliciter le potentiel d’intelligence latent des jeunes. Handicap social et réussite scolaire ne seront plus, alors, antinomiques. Autant de maux qui demandent encore des solutions et une réelle volonté du corps social dans son ensemble : l’Education Populaire, l’Action Sociale et la Prévention Spécialisée tentent de trouver et de fournir des réponses comme celles que nous avons présentées préalablement :

  • Action de réhabilitation ou développement social des quartiers avec diverses actions sociales : cours pour adultes.
  • Action en direction du logement etc ....
  • Mise en place d’actions diverses : action éducative périscolaire, scolarisation des plus marginalisés et démunis.

Ces actions sociales sont mises en place avec ce qu’elles comportent comme risque de marginalisation et de ghettoïsation de ceux qui cherchent à s’en sortir car, pour la plupart, elles ne sont pas réalisées dans le cadre qui devrait être le leur, à savoir celui du droit commun. La prévention spécialisée après démonstration faite, doit sollciter les acteurs de l’enseignement car nous considérons l’école comme un des premiers intervenants permettant l’intégration dans notre organisation sociale. C’est donc, bien entendu, le système éducatif qu’il y a lieu de questionner également sur la disqualification sociale qu’il engendre. Quels sont les enjeux, finalités et conséquences de son fonctionnement ? C’est ce à quoi nous allons tenter de répondre.

Notes
59.

Source : Ministère de l’Education Nationale.

60.

Le niveau monte, Christian Baudelot, Roger Establet, collection Points Actuels, Editions du Seuil, 1990.