CHAPITRE 4 : LA MISSION DE L’ECOLE : QUELLES FINALITES ? QUELS SAVOIRS TRANSMETTRE ?

4.1 : Quelles sont les finalités de l’Ecole ?

Depuis Jules Ferry, les finalités de l’Ecole étaient à la fois éthiques et politiques. Comme nous l’avons vu précédemment, la volonté d’instauration d’une Ecole primaire laïque, gratuite correspondait à une volonté d’instruction du peuple.

‘“Il faut que la démocratie choisisse, sous peine de mort ; il faut choisir citoyens : il faut que la femme appartienne à la science ou qu’elle appartienne à l’Eglise.“ ( 62 ) ’

L’ambition de Jules Ferry était de former des citoyens instruits et responsables, et non de dispenser des formations professionnelles adaptant à l’emploi. Il semble que l’Ecole d’aujourd’hui mérite d’être encore interrogée sur cette question et soit en difficulté sur la réponse à donner.

La révolution technologique que nous connaissons actuellement a pour effet immédiat de faire apparaître un important décalage entre le niveau technologique et le déficit en personnes capables de le maîtriser. La conséquence en est que les emplois non ou peu qualifiés se précarisent et que nous devons évoluer vers une qualification de plus en plus importante. Antoine PROST dans une “Tribune libre“ remarquait ceci : “La prolongation de la formation est devenue, pour les Français, la clef de l’avenir collectif et individuel. Alors que, quelques années plus tôt, ils en décriaient l’efficacité économique et sociale, ils se sont mis de nouveau à charger l’enseignement d’espoirs multiples.”

Or, paradoxalement, la crise dépasse nos frontières, et une société en difficulté économique, en récession et en proie au chômage a encore plus besoin de travailleurs compétents de haut niveau. En période de crise, l’économie se doit d’être très performante, donc réservera les meilleures places aux personnes les plus formées.

Un rapport émanant de L’OCDE pose très clairement ce problème :

‘“ L’enseignement doit développer les diverses compétences qu’exigent les économies modernes ; mais par là-même il constitue un si puissant moyen de sélection sociale, que contrairement au but recherché d’une plus grande égalité sociale, il risque en fait de la renforcer .“ ( 63 ) ’

Les finalités de l’éducation sont aujourd’hui multiples et chacune recouvre un ou des objectifs ; ainsi, tel psychologue pourra dire qu’il faut éduquer les enfants de telle façon afin de ne pas les traumatiser, un autre, théologien ou philosophe, aura un avis différent. Un économiste pensera que l’école doit répondre essentiellement aux besoins économiques de la société afin de permettre aux jeunes de trouver du travail. Cependant ce qui n’est pas toujours dit explicitement, ce sont les enjeux et les finalités de ces derniers. Par conséquent, le choix des finalités est rendu encore plus difficile et hasardeux. Chacun cherche donc, sinon à imposer, tout du moins à proposer certaines finalités éducatives.

L’Education Nationale ne déroge pas à cette règle, puisqu’aucun de ses choix n’est réellement neutre :

  • Cours magistral ou pratique individualisée en fonction des élèves.
  • Travail en atelier avec projet.
  • Classes hétérogènes ou homogènes.
  • Savoirs enseignés, avec ou sans souci pédagogique.
  • Devoirs à la maison.

Tout est parti pris à l’Ecole, chaque enseignant affiche ainsi sa conception de la culture, du savoir, de sa transmission et de sa portée. En somme toute société engendre inéluctablement des structures pédagogiques à son image. Celles-ci seront plus ou moins souples, voire peut-être rigides ; cependant ces écoles et ces structures pédagogiques sont dépendantes avec, pour mission, d’adapter l’individu à son milieu.

L’école primaire a, semble-t-il, une finalité simple : apprendre à lire, écrire, compter. (Rappelons ici que 5% des enfants qui font l’expérience d’un échec massif au CP atteindront la classe de terminale) Cette période se termine à l’âge de 10, 11 ans.

Le collège entre 11 et 16 ans (âge de la fin de scolarité obligatoire), est un passage beaucoup plus flou dans ses finalités. Il semble pris entre deux conceptions qui s’opposent :

  • Pour la premiére, c’est un lieu approprié pour compléter l’enseignement général et apporter à tous les connaissances de base indispensables à chacun afin de réussir son insertion dans la société (maîtrise de l’environnement immédiat de l’individu, notions nécessaires pour appréhender la vie sociale, politique ou économique).
  • Pour la seconde, le collège est “pour tous” mais anticipe les orientations possibles au lycée en créant des filières pour définir “la” fiplière suivie définitivement jusqu’au lycée, un collège qui reconnaît, peut-être démagogiquement, “la différence”. Dune part, cette configuration suppose de savoir, si l’on peut faire réellement, l’économie du contenu du premier type et, d’autre part, si la maturité de jeunes ayant entre 11 et 16 ans (période d’instabilité due à l’adolescence) est suffisante pour s’engager ainsi dans une orientation qui pourrait jouer le rôle “d’oeillère“ ne permettant, ni l’ouverture, ni la découverte d’autres horizons. Nous pensons que ce type de fonctionnement risque de générer l’échec scolaire, qui ne sera ensuite traité que par l’exclusion.

Enfin, le lycée semble avoir des finalités beaucoup plus explicites : découvrir une discipline ou domaine professionnel dans lequel le jeune s’orientera, aussi bien dans des études théoriques que professionnellement. Cependant, une questiont reste en suspens : cette démarche ne serait-elle pas la résultante de la sélection opérée auparavant au collège ?

L’Ecole a donc pour finalité d’être un lieu qui favorise l’acquisition d’un savoir indispensable pour vivre dans une société donnée. Cependant, il nous parait important de souligner que notre système éducatif n’a pas suivi l’évolution technologique de notre société, car il n’a pas les moyens d’aller aussi vite.

Ce décalage a pour résultat immédiat qu’un nombre important de jeunes, arrivant en fin de scolarité obligatoire, n’ont pas une maîtrise suffisante de leur environnement pour s’insérer socialement. Nous prendrons également en compte que ceux-ci, profondément marqués par un important sentiment d’échec, ne fréquenteront vraisemblablement par les stages, les cours du soir ou les formations proposées par la formation continue. Ainsi, ils viendront grossir le nombre des exclus, déjà fortement touchés par le chômage.

L’enjeu des finalités de l’école est important et sa réussite ne se mesurera pas uniquement de façon quantitative par une augmentation du nombre de jeunes accédant au lycée ou un taux de réussite au baccalauréat. Il se vérifiera surtout par une capacité à enseigner autrement le savoir, en développant également les compétences dites transversales (qui dote l’élève d’une capacité à se servir de ses connaissances, à les transposer dans un autre domaine).

Notes
62.

Jules Ferry, Discours de la salle Molière, 1870.

63.

L’enseignement dans la société moderne, Organisation de Coopération et de Développement Économique. (OCDE), 1985.