7.2 : La nécessaire ouverture vers un vrai travail partenarial

L’Ecole considère globalement les enfants en fonction des apprentissages à réaliser, sans prendre en compte les réalités de leur vécu et de leur environnement. Elle ne se remet pas en cause sur les conditions et processus d’apprentissage. Or nous considérons que les enfants doivent avoir du pouvoir sur leur savoir et être acteurs dans les processus d’apprentissage. Malheureusement, les enseignants qui souhaitent innover pédagogiquement sont souvent en situation difficile, voire marginale, devant la résistance au changement imposée par l’institution et par les enseignants qui s’en protègent. Le milieu populaire bien souvent, cautionne cet immobilisme en réclamant une Ecole traditionnelle, se rassurant sur la valeur pédagogique de l’enseignant en fonction de la masse de devoirs que ce dernier donne, comme un malade estime et évalue la compétence de son médecin traitant à la longueur de son ordonnance. Ce comportement semble être le résultat d’une croyance : la promotion sociale ne peut que passer par l’Ecole et uniquement par elle. Cette croyance est très certainement une des raisons de l’opposition du milieu populaire à toute innovation pédagogique et transformation de l’institution scolaire. Cependant, il nous paraît particulièrement déresponsabilisant pour les autres partenaires de l’école, (parents, intervenants dans les quartiers : travailleurs sociaux, animateurs, etc ... ), de penser que celle-ci est en position de monopole éducatif.

Les ZEP (Zones d’Education Prioritaires) ont pu être un début de réponse au désenclavement des quartiers populaires. Elles pouvaient donner naissance à une nouvelle forme de pensée, la reconnaissance des différences en fonction de l’environnement social ou socio-culturel, la participation de tous les partenaires sociaux (parents, enseignants, travailleurs sociaux, animateurs de quartiers, associations, élus locaux, etc... ). La création de ces ZEP répondait à plusieurs enjeux importants :

Les ZEP ont favorisés la participation de tous les partenaires sociaux sur une même zone géographique. Elles ont permis de tenter d’harmoniser les impératifs des éternels programmes avec une nouvelle démarche pédagogique et éducative. Les compétences et les difficultés de l’enfant ont pu être reconnues et prises en compte. A noter que les ZEP ont été parfois de véritables laboratoires pédagogiques. Enfin, ce dispositif a également permis de faire surgir la nécessité de l’autonomie pédagogique des établissements scolaires.

Cette réalisation semblait prometteuse bien que les réalités de fonctionnement aient été souvent décevantes. Certains responsables d’établissements ont vu dans ce dispositif un marquage négatif de leur établissement et ont refusé d’être classés en ZEP. D’autres n’ont vu qu’une manne financière sans se préoccuper d’un quelconque projet éducatif. Des blocages de certaines administrations sont venus également freiner la mise en place des actions, les rencontres et contacts avec les autres partenaires sociaux ont été très inégalement développés et ont parfois dégénérés en conflits (voir en annexe les courriers échangés entre le service de prévention spécialisée de la Sauvegarde de l’Enfance, la directrice de l’école Maternelle où nous avons mis en place l’expérience de scolarisation des enfants du voyage avec le PEI présentée précédemment et l’Inspection Académique.) ( 98 ) La ZEP Zone d'Education Prioritaire : celle-ci peut laisser rêveur lorsque l'on voit la réalité. Oserions-nous penser qu'en matière d'éducation l’on puisse délaisser certaines zones pour aller dans d'autres, que certains auront jugées prioritaires en argumentant d’une démarche de discrimination positive ? Quelles sont les vraies motivations : tenter d’éteindre le feu ou bien essayer de réfléchir sur ses origines ? La réponse à cette question pourrait constituer également la preuve que la connaissance et l’instruction sont des régulateurs sociaux très puissants. Ainsi, suivant les événements ou le contexte économique et social, on permettra ou non la connaissance (pour répondre au besoin de la technologie, mais pas obligatoirement pour l'épanouissement personnel). Si nous regrettons ce manque d’utilisation d’opportunités nouvelles, nous désirons néanmoins préciser que nous ne considérons nullement cette “nécessaire ouverture de l’école” au partenariat local, comme un grand fourre-tout dans lequel on ferait tout rentrer.

Ainsi, la volonté d’associer étroitement les ZEP aux DSQ, (Développement social des quartiers) ne semble pas correspondre à la réalité, car cette démarche comporte à notre sens deux effets pervers : tout d’abord, celui d’augmenter le nombre d’intervenants autour de la table qui n’ont absolument pas les mêmes domaines de compétences et les mêmes enjeux et d’autre part, de créer une importante confusion dans les rôles de chacun c’est-à-dire de malmener les identités professionnelles en les rendant floues.

Nous rejoignons totalement Philippe MEIRIEU et Michel DEVELAY :

‘“Nous croyons, d’ailleurs, qu’il serait plus utile, pour le moment, que chacun des partenaires de l’éducation des jeunes assume sa spécificité et l’assume jusqu’au bout, plutôt que de tenter d’empiéter sur le terrain des autres ou de remettre aux autres une partie de ses prérogatives. Ainsi puisque les enseignants sont des spécialistes de l’apprentissage, il leur revient d’aider chaque élève à travailler efficacement dans toutes les disciplines ; leur tâche ne peut donc se réduire à la distribution d’informations dont le “travail à la maison“ permettrait seul l’assimilation ; ce n’est que dans la mesure où les enseignants accompliront véritablement leur tâche qu’ils pourront demander aux parents d’exercer la leur et de ne pas venir empiétier sur leur domaine.” ( 99 )’

Enfin, la notion de partenariat suppose de s’interroger sur son objet avant même la mise en place d’actions communes. Dans le cas contraire, celles-ci risquent de générer les effets inverses de ceux souhaités. L’école doit, malgré l’apport extérieur, garder son identité de lieu d’apprentissage. Une dérive possible peut éloigner encore plus les enfants de la réussite scolaire. Il en résulte que l’élément central reste toujours le corps enseignant et sa formation face aux nouvelles données socio-économiques. C’est grâce à cet apport extérieur, qu’un partenaire pourra être efficace.

Dans le cadre de la Prévention Spécialisée, nous sommes quotidiennement en contact avec une culture populaire, qui ne semble pas être reconnue par l’Ecole. Cependant, les enfants voient autour d’eux des adultes qui ont un savoir-faire pratique, comme nous l’avons montré avec les RERS. Les savoirs sont utilisables car ils vont immédiatement servir à une destination précise. Dans ce contexte, ces enfants sont imprégnés de cette culture car faire c’est acquérir des connaissances et s’approprier le savoir. Cela signifie que tout ne s’apprend pas à l’école mais également que, lorsque l’on y apprend quelque chose sans voir les finalités, quand on ne comprend pas comment le transférer dans le réel, il existe un risque de blocage. Aussi serait-il souhaitable que s’effectue un rapprochement entre l’Ecole, les familles, les acteurs de terrain et les quartiers sensibles. Dans ce contexte, la formation des enseignants devrait également être adaptée à ces nouvelles données.

La pédagogie, souvent critiquée, semble être considérée comme une préoccupation de joyeux intellectuels utopistes, en dehors de la réalité et incrédules face à la fatalité. Le fait qu’ils s’intéressent à la question de l’échec et de réussite scolaire des enfants les rend immédiatement suspects. Peut-être retrouvons-nous là une réaction de protection des classes sociales dominantes ou moyennes ? Rappelons que 50% des instituteurs et 70% des professeurs sont issus de classes moyennes ou supérieures. ( 100 ) En effet, ces pédagogues dérangent car ils remettent en cause d’ancestraux fonctionnements. Ainsi, ils sont déstabilisants pour ceux qui ferment les yeux en voulant croire que l’égalité, décrétée, bien souvent utilisée comme un bouclier, ne fait en réalité que renforcer les handicaps socioculturels et, par là-même, les échecs scolaires massifs. Ainsi, les partisans de la thèse égalitariste adoptent également une attitude corporatiste et protectionniste, tout en se réfugiant en toute bonne conscience derrière une analyse des faits qui conçoit ce phénomène comme une répétition inéluctable de la reproduction sociale. Certes, nous souscrivons partiellement à cette analyse, il existe bien une notion de reproduction sociale, cependant, il n’est pas concevable aujourd’hui que l’institution scolaire utilise cet argument comme unique explication de l’échec scolaire.

Cette contreverse constitue le point de départ d’une réflexion sur le caractére inéluctable ou non de ce phénomème et sur les moyens d’adapter les pratiques et la pédagogie à cette réalité. Nous avons la prétention ou l’utopie de penser que l’école doit être un lieu de prise en compte de la réalité sociale et non un lieu de reproduction sociale, de discrimination sociale, d’amplification et de pérennisation des inégalités sociales.

Auparavant, le système éducatif était réparti d’un côté en une école élémentaire laïque réservée au peuple, qui enseignait les apprentissages élémentaires avec pour seule pédagogie la répétition et de l’autre côté, un enseignement secondaire long, celui des lycées réservé à l’élite sociale, où l’on enseignait les Humanités. Entre les deux systèmes existait une grande étanchéité. Ce mode de fonctionnement reposait sur une forte sélection sociale : le prix des études a longtemps été dissuasif pour les classes pauvres et l’on peut considérer que ce système a perduré jusqu’à la fin des années 50 avec une primauté de la sélection sociale sur la sélection scolaire. Le lycée et l’université étaient de fait à l’abri des problèmes sociaux puisque les jeunes confrontés aux difficultés sociales ne pouvaient pas y entrer.

Aujourd’hui, avec la massification de l’accés à l’école, celle-ci ne peut plus être considérée comme un lieu à part de la vie sociale. Elle ne peut plus éviter les problèmes de la jeunesse, de l’emploi et de la formation. La massification scolaire, si elle a permis l’accés aux enseignements secondaires au plus grand nombre et, dans une proportion moindre, au supérieur, ne permet pas de dire que cela a entraîné une disparition de la sélection. C’est un changement de processus de sélection que celle-ci a opéré ; en effet, l’accés des études n’est plus seulement réservé à l’élite sociale (bien qu’il faille relativiser cela en ce qui concerne l’enseignement supérieur, (on trouve aujourd’hui un certain nombre d’étudiants dont les revenus se situent en dessous du seuil de pauvreté) où un nombre important d’étudiants ne dépasse pas le 1er cycle universitaire, la sélection ne se fait donc plus uniquement en amont de l’accés aux études mais également au sein même du système. Ainsi, avec le jeu des filières, les différences entre les établissements, il existe des mécanismes implicites ou explicites de sélection. Si tous les élèves vont au collège, ils ne sont pas tous dans les mêmes collèges.

Il n’y a rien de commun entre les 3 bacs généraux (eux, mêmes étant hiérarchisés) et la trentaine de bacs professionnels proposés. Cette diversification, comme nous l’avons vue précédemment, s’opére suivant une logique subtile de sélection, induisant fortement les opportunités scolaires et sociales des élèves. La massification, pensée comme la “démocratisation absolue” du système scolaire, si elle a permis à un nombre plus important d’élèves issus de couches sociales défavorisées d’accéder aux enseignements, n’est néanmoins que relative, car la répartition des élèves dans les différentes filières semble reproduire et répéter les situations antérieures au sein même du système. Ainsi, nous retrouvons les Héritiers ( 101 ) dans les classes ou filières les plus prestigieuses. La massification a donc eu au contraire pour effet non pas de supprimer la sélection mais de renforcer la compétition scolaire tout au long de la scolarité, en rendant les places encore plus chères.

Avec cette massification, le nouveau public accueilli s’est diversifié car il est culturellement et socialement moins homogène que le public traditionnel du monde scolaire. Le monde enseignant est interrogé dans son ensemble sur le contenu et sur sa capacité de transmission, car les attentes réciproques du public et des enseignants ne sont plus ni dans la même culture scolaire, ni dans les mêmes motivations et dans la même époque que celle qui mettait en présence les Héritiers et les enseignants. L’Education Nationale semble répondre à cette question par la démotivation de ces nouveaux publics (ce qui laisse augurer de sa capacité de remise en cause et de communication.) Cette motivation se pose en terme d’adaptabilité au système, car ces nouveaux publics résistent aux disciplines et se heurtent à une “destabilisation pédagogique” qui leur demande d’être moins scolaires et plus autonomes dans une école qui toujours suivi un modèle d’enseignement très scolaire et magistral. Ce nouveau positionnement déstabilise à son tour les enseignants, aux routines pédagogiques les plus ancrées.

Les nouveaux élèves ne sont plus les anciens héritiers à qui les enseignants avaient l’habitude d’enseigner. Il semble qu’il y ait un déficit de communication entre les enseignants et les élèves. N’est-ce-pas également le système qui devrait s’adapter à son nouveau public en lui redonnant de nouvelles motivations ? car, malgré les études, mêmes supérieures pour certains, la voie n’est pas toute tracée. D’autre part, les élèves qui se retrouvent dans les filières les moins prestigieuses ne voient pas obligatoirement l’utilité sociale dans leurs études.

Cette massification a eu également une autre conséquence sur la valeur sociale des diplômes ; en effet, celle-ci est, par un effet mécanique, tirée vers le haut. Aujourd’hui, pour l’obtention d’une place sociale comparable à celle d’autrefois, voire inférieure, il est nécessaire de poursuivre des études de plus en plus longues. Cela n’est pas à la portée de tout le monde. Si une part des exclus de ce système se résigne et accepte passivement cette réalité, d’autres entrent en conflit.

Notes
98.

Cf. Annexe 5

99.

Emile reviens vite... ils sont devenus fous. Philippe Meirieu et Michel Develay, Edition ESF, Collection pédagogies, p190.

100.

Origine sociale des instituteurs et des professeurs. Source : Enquête INSEE. Formation-Qualification professionnelle 1985.

101.

Les Héritiers, les étudiants et la culture, le sens commun, Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON , Paris, Éditions de minuit, 189 p.