Conclusion

Au cours de cette troisième partie, nous avons souhaité faire un retour dans l’histoire de l’éducation des plus défavorisés car il nous semblait important de mettre en lumiére la notion récurrente de la difficulté de l’accés au savoir des plus démunis. Nous avons également étudier le concept d’échec scolaire en développant différentes hypothèses pour tenter une explication de cet échec, en nous intéressant successivement aux déterminants individuels et socio-économiques puis aux déterminants institutionnels. Les premiers ont longtemps été considérés comme l’unique cause de l’échec scolaire des enfants et, de ce fait, étaient traités de la même façon que les problèmes qui en sont soi-disant à l’origine. Des soutiens scolaires après la classe ont été mis en place avec, pour résultat, bien souvent, de contribuer à aggraver l’échec qui se perpétuait même après la classe, cela sans jamais interroger l’Ecole car c’était une dynamique d’action sociale qui prévalait en direction d’un public défavorisé. Un jeune qui, après des années de scolarité obligatoire, ne maîtrise pas les connaissances de base, est souvent exclu de l’organisation sociale. Ainsi, l’Ecole n’est pour lui que la caisse de résonance de son échec global. Son “avenir“ est au mieux dans les emplois précaires non qualifiés. Ce constat ne peut rester sans interrogation.

L’histoire et la réalité économique nous rappellent que ceux qui n’ont pu apprendre le minimum à l’école, représentent pour notre société un coût social et économique de plus en plus lourd. Il semble que le problème du rapport entre les quartiers sensibles et l’enseignement se pose en termes de praxis pédagogique. Ainsi, chacun devrait être acteur dans cette nouvelle démarche ; cela suppose également que l’enseignant ait des moyens pour assurer le changement de son approche pédagogique. Le système éducatif pourrait, ainsi, élargir son champ de vision et améliorer son approche socio-culturelle et politique. Cela suppose qu’il ait une bonne connaissance des milieux défavorisése et qu’il puisse explorer les richesses dont ils disposent. Pour cela, il ne nous semble pas handicapant de prendre du temps sur le programme imposé pour effectuer ce travail de connaissance qui consisterait par exemple à développer des liens avec les parents, les associations locales, les structures existantes et à créer des réseaux d’informations et d’échanges, afin de connaître le potentiel d’un milieu dont on a peur par ignorance et qui réagit en conséquence.

Il est cependant de la responsabilité du politique et de l’institution de promouvoir ce type de projet et de formation pour rapprocher le quartier de l’école. Ainsi, les enseignants pourraient avoir une vision plus juste et une relation plus vraie avec les enfants des milieux défavorisés ; celle-ci ne sera plus sous-tendue par une imagerie de la fatalité ou un effet pygmalion négatif qui voue inexorablement à l’échec l’enfant et le jeune de ces quartiers.

Aujourd’hui, devant la réalité que représentent les déterminants individuels, il semble judicieux de prendre en compte les déterminants institutionnels qui, eux, sont des variantes pédagogiques sur lesquelles une action est possible. Cela nécessite inévitablement une remise en cause de notre conception de la transmission des savoirs. Nous avons vu, au travers des actions de Prévention Spécialisée présentées, que différentes méthodes pédagogiques, notamment le PEI, postulent l’éducabilité et traduisent bien le pari que nous avons pris, c’est-à-dire de renoncer à tout fatalisme en matière d’éducation. Au cours de cette partie, nous avons également tenté de faire apparaître que notre système éducatif ne pouvait se satisfaire de la seule hypothèse de la fatalité de l’échec scolaire induit par l’échec social. Cependant ce système, de par son fonctionnement, ses rigidités, qui ne prennent pas en compte d’autres approches pédagogiques et son corporatisme représente un lieu de reproduction de l’échec social. Il semble que cette obstination puisse conforter la notion de répétition, tant historique que sociale.

Cependant, ces manques et résistances deviennent très vite l’objet de différentes questions et, bien qu’il ne faille les poser que dans le registre pédagogique, il semble qu’elles puissent l’être également dans l’ordre de la conception politique de la société et d’une action sociale en direction du savoir. En effet, malgré le nombre important de sociologues, de chercheurs, d’enseignants, de pédagogues, de psycho-sociologues et d’éducateurs divers qui se sont interessés à ces différentes questions en proposant des rapports qui n’ont jamais été pris en compte, on pourrait raisonnablement penser que l’enjeu puisse être ailleurs ; rappelons-nous une époque où l’instruction du peuple était vécue comme dangereuse pour la classe dominante : “classes laborieuses, classes dangereuses”.

Il semble que notre société ainsi que notre système scolaire ne disposent plus des moyens de régulation “naturels” que nous rapprochions de ceux de la théorie de Darwin. Pour cela, elle doit en inventer d’autres. Lévi-Strauss fait apparaître ce type de fonctionnement, notamment quand il oppose les sociétés froides au sociétés chaudes, ces premières existant sans mécanismes d’exclusion ; en revanche, les secondes, qui fonctionnent sur la différence de potentiel, ont besoin de générer de l’exclusion pour exister.

Donc, quand une société, arrive à annuler les effets d’un certain type de sélection tels que les bouleversements sociaux qui ont suivi la Révolution Française, qui a détroné le pouvoir de droit divin et abolit les priviléges, ou encore les progrès de la médecine, qui ont permis d’enrayer la mortalité infantile, il semble qu’il lui faille mettre en place d’autres systèmes de sélection. L’accès au savoir, l’échec scolaire et l’échec social, que nous avons pris comme support pour illustrer notre thèse, semblent pouvoir faire partie de ces nouveaux moyens pour remplacer les effets d’autres types de sélection. L’échec scolaire est associé à l’idée que, du fait que l’on donne les mêmes chances à tous, ceux qui n’en profitent pas sont les uniques responsables de leur échec, tant scolaire que social. Ainsi aujourd’hui éducation et action sociale sont intimement liées. Nous traiterons donc, dans notre dernière partie, de l’Action Sociale et de la Prévention Spécialisée, ainsi que de l’inter-action entre elles et la commande sociale et politique.