Crise des valeurs, valeurs de crises et absence de re-pères

Dans le public que nous approchons, les jeunes générations rencontrées aujourd’hui sont durement touchées par une autre réalité. Avec le chômage, nombre de pères ont perdu leur emploi. Les frères aînés ne travaillent pas non plus ou n’ont jamais réussi à trouver un emploi stable. C’est la Loi du père qui se trouve remise en question. Ce phénomène transforme les repères des jeunes, censés être les acteurs de demain et les fragilise. La “seconde génération”, pour employer une expression lexicalisée du langage commun qui “racialise“ ceux qu’elle identifie, vit des problèmes d’identité importants, liés à leur double appartenance. Le cloisonnement culturel actuel dans la ville, les sentiments de rejet renforcent les représentations négatives et renvoient à un schéma déterministe dans lequel la culture sert d’écran à un vrai travail d’intégration.

Le travail et les moyens de consommer sont devenus inaccessibles à une partie de la population. Spectateurs d’une société de consommation et d’abondance, à travers les médias et certaines pratiques sociales et/ou culturelles, les jeunes vivent le mythe de l’accès à l’argent facile ; cette situation devient source de frustrations et de révolte. Ils sont renvoyés à une réalité d’inaccessible opulence, au lieu d’une recherche de développement personnel durable dans le travail et la dignité. L’idée que l’intégration passerait par la consommation a ses limites. Elle ne peut répondre seule aux besoins de la population. Les individus n’apprennent plus à faire eux-mêmes ou à être eux-mêmes. Ils n’accordent de la valeur qu’à ce qui est fabriqué, consommé, jeté. Ils ont appris à instrumentaliser les institutions. En paraphrasant Jacques LACAN qui disait : “On devient ce qu’on est “, le raisonnement “on est ce qu’on a” devient dangereux et aliénant.

‘“La conséquence immédiate de la prolifération des objets de consommation est, en effet, la fragmentation individualiste du corps social : là où il y avait échange social, il y a désormais consommation privée, rétraction individualiste, atomisation des êtres. L’univers des objets et du bien-être fonctionne comme machine de dissémination sociale, de repli sur la sphère du privé.” ( 107 )’

Le travail étant toujours une valeur forte mais de plus en plus précaire, il est difficile d’y trouver une identification. Ne pouvant s’investir dans aucun autre domaine de la vie sociale, les plus démunis s’enferment dans une attente qui ne pourra être satisfaite durablement. Ils restent dans la spirale de l’échec. Ce sentiment se trouve renforcé par les réponses proposées en terme d’emploi précaire ou par l’aide apporté par le travail social. Ils se démobilisent, évacuent les possibilités de surmonter les obstacles, justifient l’absence d’investissement dans d’autres projets au regard d’une recherche d’emploi souvent abandonnée ou devenue infructueuse, ceci, faute d’énergie, de confiance en soi, mais aussi de capacité à se remettre en question par manque de qualification ou d’acquisitions scolaires, par manque de mobilité et par manque de reconnaissance de leur environnement institutionnel, de leur réalité socio-économique.

Notes
107.

Gille LIPOVESTKY, Espace privé, espace public à l’âge post-moderne, in Citoyenneté et urbanité, Paris, Ed. Esprit 1991, p. 106 Gille LIPOVESTKY, Espace privé, espace public à l’âge post-moderne, in Citoyenneté et urbanité, Paris, Ed. Esprit 1991, p. 106