Face à ces constats, les professionnels de l’éducation, que nous soyons enseignants ou travailleurs sociaux, sont de plus en plus démunis pour répondre à la souffrance des individus, à la violence à l’école, aux demandes de reconnaissance sociale qui émanent des quartiers. Nous cautionnons, avec, pour alibi avouable (souvent des raisons budgétaires), des dispositifs et des pratiques qui sont parfois inadaptés aux problèmes à résoudre et qui, par conséquent, ne gênèrent que des effets inverses de ceux qu’on escomptait.
Si l’on veut réellement restaurer un lien social, le malaise des travailleurs sociaux n’est-il pas leur impossibilité ou leur incapacité à rappeler aux sujets et aux responsables politiques que ce n’est pas tant le fait d’être démunis qui est problématique. Mais l’énorme mensonge collectif qui laisse croire que l’acte social est uniquement possible par le seul fait de combler ce manque par une réponse strictement financiére. Il ne semble pas pertinent de ne considérer les réponses apportées qu’en terme de “réhabilitations”, ou d’”assistanat” car celles-ci sont souvent vécues comme humiliantes pour les populations. En effet, sauf à penser le sujet en dehors de tout lien social, l’Action Sociale, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, le maintient dans une aliénation exempte de toute démarche d’écoute, faite de pitié, de charité, de don, donc de dépendance, car cela renvoie toujours le sujet à la dette, tout en sachant que nul ne peut être sauvé que par soi même. Il paraît important de rappeler que les violences constatées et médiatisées à outrance n’ont pas pour raison d’être les inégalités ou la pauvreté, mais le sentiment d’indignité et d’injustice. En effet, les émeutes que nous connaissons dans nos banlieues quant celles-ci ne sont pas des alibi pour se confronter aux forces de l’ordre, ont souvent pour origine un problème lié à la dignité et à la reconnaissance. Cette réalité révèle le manque de cohérence entre le discours “médiatique” sur la nécessité d’intégrer les “exclus” et le renforcement de réponses qui génèrent l’”exclusion”.
La massification et la complexification des problèmes sociaux rendent plus difficile l’élaboration de solutions qui permettent aux populations de trouver des réponses aux difficultés qu’elles rencontrent. De plus, nous assistons à un désengagement des institutions. Elles tendent à colmater les brèches et à apporter des réponses sur le court terme. Les interlocuteurs possibles se font rares. Le travail en réseau devient difficile. Ce désengagement apparaît à travers une distanciation, une incapacité à se positionner, une non prise en compte, voire une rupture qui existe entre les structures locales et une partie de la population. Ces structures ne proposent bien souvent que des programmes et non des projets. Les “usagers” ont compris le fonctionnement de nos institutions d’aide sociale. Ils tentent, en renvoyant l’image que l’on attend d’eux (image misérabiliste de ce qu’ils n’ont pas ou de ce qu’ils ne font pas), “d’utiliser” les services sociaux, les équipements, les dispositifs, pour trouver des réponses qui, le plus souvent, apportent seulement un “pansement supplémentaire” face aux nouveaux problèmes : échec scolaire, chômage structurel, toxicomanie, problèmes des cités, loisirs, nouveaux fléaux tels que le SIDA, population sans domicile fixe, Revenu Minimum d’Insertion, etc... Ce processus renvoie à la notion ”d’assistanat”, dont on parle tant actuellement sans que soient donnés, paradoxalement, les moyens matériels, financiers, pédagogiques et que soit instauré un climat de confiance ainsi que la possibilité d’intervenir différemment. Si les personnes ont intériorisé des sentiments d’inutilité sociale, d’injustice, comment pourraient-elles encore prendre la parole ou agir pour construire ? C’est là qu’il devient impératif : “ de penser le changement et non de changer le pansement”. ( 110 )
“Quand on perd son “identité” en tant que citoyen libre, on est bien près de la perdre en tant qu’individu. C’est une frustration qui plonge les gens dans l’inaction totale...
C’est grave quand un peuple renonce à sa citoyenneté ou quand l’habitant d’une grande ville, quoi qu’il puisse désirer faire, manque de moyens de participer. Ce citoyen s’enfonce dans une apathie toujours plus profonde, dans l’anonymat, la dépersonnalisation. Il en vient à dépendre de plus en plus des pouvoirs publics : alors le sens civique se sclérose. ( 111 )
Les politiques locales, parfois, au travers d’équipements de proximité ou de dispositifs, tendent à développer des pratiques, soit excluantes, en ne prenant pas en compte des individus considérés comme “déviants”, soit “d’achat”, en suscitant et satisfaisant, sans projet à long terme, ces demandes pour prévenir les explosions sociales et acheter ainsi la paix sociale.
Ces dernières, traitées seules, sont insuffisantes dans la mesure où :
Pierre DAC.
Manuel de l’animateur social - Saul Alinsky - Ed. du Seuil - Coll. Points, Série Politique - 250 p. : p. 135.