2.2 : De la notion d’usager à la notion de citoyen

Nous assistons, à l’heure actuelle, à un développement et à une valorisation de la démarche humanitaire ; fortement médiatisée, celle-ci, sans nul doute, a son utilité, mais elle ne reconnaît l’individu qu’à travers sa souffrance et “institutionnalise” la solidarité. Elle pose le problème de la dégradation du tissu social essentiellement en termes économiques, les considérant comme l’effet de la crise de l’emploi, et place les phénomènes d’exclusion sous le signe de la fatalité. Or cette analyse est faussée dans la mesure où elle annule la singularité individuelle, les cas concrets n’existants plus, et oublie que les personnes sans domicile fixe, les bénéficiaires du Revenu Minimum d’Insertion, les salariés en Contrat Emploi Solidarité... sont avant tout des personnes à part entière, qui portent une histoire particulière, construite à partir d’événements personnels.

La démarche des travailleurs sociaux doit se définir par des méthodes, des savoir-faire professionnels diversifiés. Ces pratiques devraient introduire l’individu dans sa dimension politique et viser la dignité de l’homme ainsi que la restauration de la citoyenneté. Elles devraient également avoir pour but de sortir des logiques assistancielles et d’associer toutes les franges de la population à la vie de la Cité. Complémentairement aux formes de prise en charge traditionnelles, le secteur associatif représente un espace privilégié d’expression de conflits, de revendications et de propositions, d’innovation sociale possible, dans la mesure où il permet aux individus de s’organiser pour défendre leurs droits ou mettre en commun leurs forces, leurs convictions au profit d’autres personnes, dans un intérêt collectif. Il suscite la confrontation des idées nécessaire à toute évolution sociale. Il a, ainsi, un rôle à jouer par rapport à la question de la citoyenneté.

Dans un contexte où le “paraître” tend à prendre la place de “l’être”, où l’image tend à remplacer la réflexion, c’est à travers une évolution de l’individu vers plus de responsabilité que l’on peut rendre la société plus solidaire.

‘” Dans un monde en changement, il faut avoir conscience que le point d’appui le plus solide est l’individu (le sujet au sens sociologique). Ce qui devient important, c’est la volonté de chaque personne de faire de sa vie, une vie personnelle (concept de différenciation). Concevoir la démocratie comme la gestion collective de l’individuation.” ( 112 )’

Potentialiser l’existant dans la société civile, à travers des pratiques d’accès au savoir qui tendent à restaurer la citoyenneté des individus, c’est une démarche qui permet de lutter plus efficacement contre “l’exclusion”, de trouver de nouvelles pistes de réflexion pour affronter les problèmes contemporains. La nouvelle réalité technologique et économique démontre qu’il faut de moins en moins de travail humain pour produire de plus en plus de biens et de services. Nous assistons encore, malgré le retour incertain de la croissance et d’importants bénéfices pour de grandes entreprises, à des licenciements massifs. La mondialisation de l’économie et les technologies nouvelles ont un impact considérable sur les transformations sociales. Cette évolution entraîne l’expulsion de millions d’individus du champ de la citoyenneté, faute de pouvoir penser une autre logique de participation et de contribution individuelle à la construction de la vie sociale. La réponse en termes d’emploi dans les secteurs traditionnels n’est pas suffisante. La valeur du travail, comme nous l’entendons, ne paraît plus pouvoir être le principe organisateur. Il semble qu’il faille envisager une société dans laquelle le plein emploi n’existerait plus. Parallèlement, différentes actions rendent visibles l’existence des savoirs “inutilisés”, des expériences de vie diversifiées, des activités de proximité qui favorisent l’épanouissement personnel et le développement de la solidarité dans la ville. Cette réalité introduit de nouvelles formes d’organisation sociale. Elles révèlent des approches possibles de développement économique fondées sur nos propres connaissances.

Les pratiques que nous avons présentées nous semblent être de nature à proposer et à favoriser d’autres types de fonctionnement que les organisations traditionnelles, pyramidales et hiérarchisées, que nous rencontrons dans le monde du travail et au sein des institutions ; notamment en regard de la répartition des pouvoirs, des savoirs, des compétences. Ces types d’organisation ne favorisent ni l’expression de la créativité, ni le sens des initiatives pas plus que la circulation d’idées nouvelles. L’intérêt de la démarche “réseau” est d’ouvrir un espace de création collective et de production d’une pensée transversale possible sur ce que les participants vivent dans leur quotidien, dans la Cité.

‘“ Pour aller vite, je dirai que la fonction essentielle des structures pyramidales était de produire et de reproduire de l’obéissance. Par la force des choses, les structures en réseau se mettent discrètement mais sûrement en place pour favoriser l’intelligence, l’initiative, la réactivité aux opportunités et la coopération.” ( 113 ) ’

Ces nouvelles formes d’organisation sociale devraient permettre une citoyenneté active ainsi que la circulation des idées et la connaissance des expérimentations qui allient le social à l’économique.

Notes
112.

Intervention d’Alain Touraine. Journées d’études de l’AFSEA : “Avoir 20 ans en 2001” . mai 1994 . Paris.

113.

Bernard JONDEAU, Journées d’études : Les pratiques de réseaux - Actes des rencontres des 29 et 60/06/90 à Lyon - p. 73