2.5.4 lien social et espaces de plus en plus cloisonnés socialement, économiquement, culturellement.

Le décloisonnement entre quartiers périphériques “stigmatisés” et centre-ville conditionne la rencontre de populations différentes. Cet objectif peut être atteint s’il est accompagné d’une volonté politique de rapprochement et de “brassage” de la population ou de mixité sociale à l’intérieur de la Cité, en concertation avec tous les partenaires sociaux. Il est possible de faire évoluer les mentalités de part et d’autre, si l’aménagement urbanistique de la ville rompt avec les schémas traditionnels.

Or, les évolutions actuelles ne laissent pas présager de nouvelles orientations. Il existe une contradiction entre le constat et le discours sur les effets néfastes d’une “ghéttoïsation” et la poursuite actuelle, dans les grandes ville, d’une politique qui réhabilite les centres et éloigne les “indésirables” à la périphérie.

‘“Autour d’un centre qui représente le lieu du pouvoir, on organise des cercles concentriques successifs et un système d’exclusion progressif vers des cercles de plus en plus éloignés selon des rituels spécifiquement organisés ” ( 117 )’

Les traces de cette organisation humaine se retrouvent dans les romans utopiques d’Huxley “Le Meilleur des Mondes” et d’Orwell “1984” ou encore dans la bande dessinée d’anticipation représentée en autre par Enki Bilal (les “Humanoïdes Associés”) et décrivent des utopies concentrationnaires. La réalité est-elle en voie de dépasser la fiction ? Les dispositifs (Habitat, Vie Sociale, Développement Social des Quartiers ou Urbain, Conventions Villes..) mis en place par la Délégation Inter-Ministérielle à la Ville, perdent de leur contenu. Alors qu’il s’agissait de refuser la ville à deux vitesses, la lourdeur des systèmes et leur utilisation ne permettent pas le décloisonnement et la diversification de la population. Ce processus a endigué la montée des difficultés, mais les différents dispositifs se sont superposés sans qu’il y ait toujours concertation et, notamment, prise en compte du savoir-faire et de la capacité d’analyse des acteurs de terrain.

La politique de la ville est en lien avec la conception de la société globale. Ces actions spécifiques ne créent pas les conditions nécessaires pour favoriser des passerelles avec le reste de la ville, il s’agit, pour l’instant de prévenir les explosions, de gérer les difficultés tout en refusant le conflit. Cette approche renvoie au contrôle social, à une réponse palliative, alors que l’intégration s’ancre dans un sentiment d’appartenance à travers le lien social. Un rapport, réalisé par une équipe de sociologues, “Banlieuscopies”, fait état de dysfonctionnements. Il dresse un état des lieux des espaces cloisonnés et diagnostique les risques d’explosion, le souhait des auteurs étant que ces analyses puissent être utiles à la connaissance, à l’action publique et à la mobilisation des habitants de ces lieux où se joue l’avenir des rapports sociaux. Il semble que cette équipe de sociologues ne soit pas plus entendue que tous ceux qui ont écrit des réflexions pertinentes concernant la démarche et l’instrumentalisation du social.

Les quartiers “sensibles” sont désignés comme l’unique lieu de fixation de crises où se concentrent les peurs de l’avenir, du chômage et le sentiment d’insécurité. Les différences socio-culturelles, sont mises en évidence sans que soient créés des points de rencontres possibles permettant la connaissance des uns et des autres, l’analyse et la compréhension des causes réelles de ces dysfonctionnements. Ces pratiques sociales tendent à renforcer le sentiment “d’anormalité” des populations et à accroître une attitude de rejet, de la part du reste de la population qui les identifie comme source de tous les maux.

Nous sommes, ainsi, en prise directe avec les effets de telles pratiques. Ils se matérialisent, à travers l’occupation par les jeunes de l’espace public déserté par les adultes, leurs parents qui se retrouvent dans l’impuissance sociale, ainsi que la violence et l’exigence du “toujours plus” de ceux qui sont les plus en rupture avec le tissu social. Mis hors de la réalité de la vie par rapport au fait ”d’agir” pour “avoir”, ils sont écartelés entre opter pour une attitude consumériste face à ce qui leur est proposé pour répondre au plaisir immédiat, et la prise de conscience de l’absence de réponses durables pour construire des projets de vie à long terme.

Au travers de nos actions, nous avons pu renvoyer une autre image de ces jeunes en faisant émerger et en valorisant leurs potentialités, la richesse qu’ils peuvent représenter et en montrant qu’il est possible d’oeuvrer autrement, à partir d’une volonté réelle de “désenclavement”. La politique de la ville, à travers l’élaboration de réponses nouvelles, pourrait endiguer le fossé entre les citoyens “intégrés” et les “sous-citoyens” relégués dans des zones géographiques excentrées et réservées aux laissés-pour- compte. Cependant, face à la réalité qui nous dit le contraire et au delà des discours, il reste à penser les réels enjeux du travail social.

Notes
117.

Ph. Meirieu - “Éducation et action sociale aujourd’hui, un même enjeu,citoyenneté et exclusion” - Extrait du Colloque : Les raisons d’agir - mai 1993 - p. 20)