CHAPITRE 3 : QUELS SONT LES ENJEUX DU TRAVAIL SOCIAL ?

3.1 : Un décalage entre “ discours” et dispositifs mis en place

3.1.1 - Réponses institutionnelles et besoins des individus

L’idée de partenariat local, développée depuis la décentralisation par la politique de la ville, est évoquée comme une nécessité. Elle devrait permettre, à travers la mise en commun des spécificités professionnelles, de nos analyses respectives du terrain et de nos moyens, d’avancer plus efficacement dans la prise en compte des populations. C’est dans le “faire ensemble” qu’il est possible d’imaginer des réponses nouvelles, plus adaptées aux problématiques rencontrées et de participer à la construction d’un projet global sur les communes tenant compte de toutes ses composantes. C’est être “force de propositions” auprès de nos institutions respectives et des décideurs politiques avec qui nous sommes en lien. Cependant, cette idée de partenariat est mise à mal depuis quelques années face à la lourdeur des dispositifs institués et à l’absence de consultation et de cohérence entre les différents acteurs sociaux.

Nous sommes sollicités pour faire fonctionner des dispositifs pensés d’en haut. C’est-à-dire pour “faire rentrer” des catégories de personnes à l’intérieur de ceux-ci pour les canaliser et exercer ainsi un contrôle social, plutôt que de partir de l’endroit où en sont les individus et élaborer avec eux des réponses en fonction de leur fragilité et de leur rythme. Les institutions tendent toujours plus du côté de la norme et de la conformité. Écouter l’originalité, la spécificité des personnes, innover, c’est une démarche qui se raréfie. La rigidité et le cloisonnement des institutions s’opposent à la souplesse des actions qui tendraient à s’adapter aux problématiques des individus. Cette logique est synonyme d’incertitude et de risques, mais aussi de diminution des coûts sur les plans humain et financier, à long terme.

C’est à partir des personnes qu’il faut mettre en place des démarches, et non pas l’inverse. Tendre à les “caser” dans des dispositifs en décalage avec leurs rythmes, leurs capacités à un moment “T” et leurs limites, s’avère inefficace.

L’absence forte de la réalisation de certains besoins autres que la consommation explique le mal-être, la souffrance, la marginalisation, la difficulté des individus à s’inscrire dans un processus de vie ou de cheminement constructif, positif, porteur de changement. La théorie de la motivation d’Abraham MASLOW définit ces différents besoins. La hiérarchisation qu’il propose a sans doute ses limites. Toutefois, cette théorie nous permet de repérer que c’est à partir du degré de satisfaction de ces besoins que se structurent les personnes.( 118 ) Or ceux-ci sont de moins en moins pris en compte dans les réponses institutionnelles et les dispositifs.

Ce constat renvoie aux enjeux du travail social aujourd’hui ; depuis les lois de décentralisation, notamment celle du 22 juillet 1983, le transfert des compétences a donné le relais aux départements pour l’organisation de l’action sociale. Ainsi, le Conseil Général vote les budgets et a en charge l’organisation des services médico-sociaux. De plus, il a toute latitude pour créer des prestations et/ou de décider les conditions d’attribution des aides légales voire d’en augmenter le montant. Devant la part importante des budgets sociaux, la majorité des départements ont privilégié des critères purement gestionnaires. La qualité de proposition d’action sociale a été rapidement convertie en divers arguments électoraux, tant au niveau départemental que communal. Paradoxalement, ce saupoudrage de sommes importantes dispersées dans une dynamique d’assistanat et d’achat illusoire de paix sociale (malgré les rigueurs budgétaires invoquées) ne connaîtra aucun “retour sur investissement”.

Il semble bien que ce soit la paix sociale à court terme plutôt que la souffrance individuelle et l’étiolement des liens sociaux, moins visibles, qui conditionne la mise en oeuvre de moyens et de réponses. Nous sommes confrontés, dans le même temps, à l’heure où l’on parle beaucoup d’évaluation de l’action sociale, à la difficulté de faire reconnaître et légitimer nos pratiques. Notre connaissance du terrain n’est ni reconnue (diagnostic et analyse de la réalité sociale, émergence de propositions, évaluation), ni suffisamment prise en compte dans l’élaboration d’un projet social global. Etre considérés comme des conseillers techniques dans le domaine de l’action sociale, par rapport à notre fonction particulière, plutôt que comme des exécutants instrumentalisés aux ordres de pouvoirs locaux, serait plus efficace.

Il semblerait qu’il y ait confusion et tentation, de la part du politique, de substituer au “contrôle”, en terme d’évaluation des actions, la notion de “prise de contrôle”. Bien évident, ce constat nous améne à nous interroger également sur notre capacité à communiquer la valeur et le sens de notre travail, sens qui reste néanmoins étroitement liée à la conception que les décideurs en ont et à et à la considération qu’ils lui accordent dans la mesure où nos enjeux respectifs divergent parfois.

Notes
118.

Cf. Annexe 6