1er paradoxe : Ou de l’identité de l’image sociale à l’image de l’être

L’identité de la personne s’organise à partir de deux éléments historiques et d’un élément d’actualité : le territoire d’où l’on est issu, où les ancêtres ont fait souche; l’héritage qu’ils nous ont laissé ( héritage psychologique, culturel ou social ), et dont c’est l’utilisation qui permet à la personne de vivre en harmonie avec elle-même, mais sous le regard du groupe social qui unifie ces trois composantes, forgeant un miroir dans lequel la personne se reconnaît. Cette notion de miroir représente ce que nous appelons l’image sociale et constitue l’essentiel du statut des personnes. Que viennent à se briser un ou plusieurs de ces éléments fondamentaux, et le miroir sera vide de reflet ou, au contraire, profondément chargé d’une image bloquante, pétrifiante.( 119 ).

Etre sans image ou être chargé d’une image (souvent négative) composée exclusivement par la société et les médias revient strictement au même, c’est-à-dire à subir une crise chronique d’identité. Le travail social intervient dans ce processus de renvoi d’images, notamment dans le cadre de l’assistance : l’action a pour public une population en difficulté et, notamment, en crise d’identité : les parents n’ont pas réussi, se sont déplacés, les enfants n’ont pas de formation, etc... Notre société renvoie peu d’images à ces exclus sans présent et à peu d’avenir (à moins qu’ils ne commettent quelques délits qui les habillent de l’auréole du délinquant). Le travail social compensera ce “manque” par le fonctionnement d’un système d’aide, un peu comme le font ces parents absents de milieux favorisés, qui compensent leur manque de disponibilité affective envers leurs enfants en leur donnant de l’argent (ce qui n’empêche nullement ces derniers de s’adonner aussi à des conduites délinquantes, toxicomaniaques ou à risques). Pouvant justifier de leurs difficultés à vivre, ils recevront des prestations qui les aident, mais qui, dans le même temps, les rendront vulnérables ; ils ne devront alors présenter d’eux que cette image d’êtres en difficulté. Fragilisés, ils feront tout ce qu’ils pourront pour maintenir cette relation d’aide et de dépendance qui leur conférera un statut social d’assisté, au détriment de leur être. Ainsi, l’effet pervers du travail social consiste à maintenir les populations assistées en état d’assistance et la justification de l’argent dépensé se trouve alors dans le contrôle exercé sur elles et non pas dans l’objet premier : l’autonomie.

Notes
119.

P. Selosse, revue du creai n° 96 août-septembre 1984 “ des transgressions des règles au risque de la vie”.