Chapitre 4 : LES PRATIQUES SOCIALES AU COEUR D’UN CHANGEMENT DE SOCIÉTÉ

4.1- De l’ordre naît le désordre

En fait, tout acte n’est constructif ou destructif qu’à partir du sens que lui donne le “corps social”. Dans notre société en crise de valeurs, en changement, l’accent doit sans doute être mis sur ce phénomène de la perte de sens.

Ainsi, nous fabriquons des déviants, ce sont “les stocks résiduels” générés par le fonctionnement de notre société. Nous ne reprendrons pas ici les analyses de la déviance, cependant, il serait intéressant de rappeler que celle-ci entendue comme phénomène individuel n’a jamais été une hypothèse sérieusement retenue, le phénomène social semble davantage être pris en considération. Par exemple, le marxisme a élaboré une conception structurelle de la pauvreté et de la déviance. Des facteurs autres qu’économiques ou politiques ont été également avancés comme explication de la pauvreté et de la déviance : l’école de Chicago la relie à la désorganisation urbaine. La délinquance est le produit des grandes agglomérations urbaines, des chocs culturels qu’elles imposent et des poches de pauvreté qu’elles sécrètent. Une autre explication fréquemment invoquée en sociologie, à propos des phénomènes de déviance, repose sur des notions “d’intégration sociale” ou de “fonction”; ainsi, la personne déviante joue le rôle de bouc émissaire, qui renforce la cohésion du groupe, puisqu’en transgressant les normes sociales elle s’exclut de la société. Nous retrouvons là l’approche fonctionnaliste, qui traite de l’aspect intégrateur des normes sociales.

Oscar LEWIS parle de culture de pauvreté. Selon lui, la pauvreté est interprétée comme “une structure et un système de rationalisation et d’auto-défense”. LEWIS considère comme universels les traits culturels qui caractérisent les milieux sous-prolétaires qui vivent dans l’instant le jeu, le fatalisme social ou la valorisation de la force virile. Donc, si nous fabriquons des déviants, il semble également que nous les fassions se développer, dans la mesure où nous les repérons comme tels ou plutôt comme signe de désordre. Chacun sait, par exemple, que la vision des bandes d’adolescents dans les cages d’escaliers des grands ensembles nous les fait percevoir comme potentiellement délinquants.

De même le chahut, parfois normal à cet âge, provoque des explosions de colères capables d’engendrer des folies meurtrières (parfois tacitement acceptées comme un rituel de période estivale). Ces phénomènes sont des projections des fantasmes des uns ou des autres, entretenus par des informations éparses, (rappelons-nous ce que nous disions à propos de la médiatisation de certains événements) souvent à la limite du mensonge, mais qui grise un public parfois en proie aux désirs les plus malsains. Ces projections qui viennent d'une perversité refoulée, donnent un sens particulier à des scènes de la vie quotidienne.

Tous ces mécanismes participent à l’élaboration d’images sociales, que nous projetons sur le monde dans un jeu complexe de miroirs. C’est aussi à ce décryptage d’une réalité fantasmatique que doit s’employer l’action sociale, si elle veut retrouver sa justification rationnelle. Il nous faut donc poser les bonnes questions.

Cette dimension de l’analyse permettrait de nous rendre compte que le travail social, dans la logique d’interprétation des exclus de la société, atteint en réalité le but contraire, c’est-à-dire les enferme dans leur identité d’exclus et, par-là-même, les maintient et les conditionne dans une attitude permanente d’assistance. Il semble qu’il y ait un public spécifique, identifiable comme tel, et relativement homogène, qui bénéficie, depuis parfois plusieurs générations, du même type de prestations, au détriment d’un autre public, non touché mais tout aussi nécessiteux. Ce constat ne peut faire l’économie d’une réflexion préalable sur cette société en crise, qui influe sur l’Action Sociale en général et sur les réponses qu’elle veut apporter, en particulier.