Cohésion sociale et travail social

Le travail social est-il une action en vue d’intégrer l’individu en regard des normes sociales et de la cohésion sociale ? Idéologie et inconscient sont des soutiens du social et il importe donc d’avoir à l’esprit les présupposés idéologiques (conscients ou non) qui les sous-tendent, ainsi que les représentations fantasmatiques projetées sur les populations et le travail social. Le ou les discours politiques actuels, concernant le travail social, s’accordent tous pour lui donner comme fonction principale la lutte contre l’exclusion et le maintien de la cohésion sociale, fonction qui doit prendre le relais de la lutte contre les inégalités sociales. Néanmoins, aucune analyse ne semble porter sur les causes de l’échec concernant la lutte contre ces inégalités, le XI ème plan, en fait simplement le constat. Ainsi, la société duale ou à deux vitesses, tant décriée, s’est mise en place. Cependant, il est à noter que le maintien de la cohésion sociale est de la responsabilité du politique et il semble que nous soyons dans un mensonge collectif quand celui-ci croit avoir une réponse en instrumentalisant les travailleurs sociaux, avec parfois la complicité des institutions sociales. Ce serait une ineptie que de vouloir faire résorber aux travailleurs sociaux “la fracture sociale” , sans en interroger l’origine.

Nous voyons donc l’importance du questionnement du politique. Nous avons évoqué auparavant que le politique devait impulser le cadre idéologique de l’action sociale. N’est-ce-pas entretenir un malentendu que de poser la question de la cohésion sociale d’un point de vue idéologique, en y répondant en terme de mesures assistancielles, qui ont pour fonction de combler les manques dûs à une société de plus en plus inégalitaire, sans agir sur ses causes ? Il semble donc qu’il y ait, d’une part, une inversion de la question et, d’autre part, une erreur, voire, pire, un mensonge, à laisser penser que l’on peut lutter contre le malheur en distribuant pour seule réponse, par ci, par là, quelques petites aumônes éphémères. Cela nous renvoie au XVII ème siècle et à notre notion de répétition historique, où le puissant tirait sa légitimité du fait qu’il devait être riche pour donner aux pauvres. Peut-on satisfaire autrui ainsi ? évidemment, non.

La multiplicité des dispositifs, leur manque d’efficience et le gâchis au cours de ces vingt-cinq dernières années nous le confirment. Le fossé se creuse entre demandes et réponses. Cela devrait questionner le politique qui a pour rôle de redéfinir le cadre d’une société qui permette aux citoyens de vivre leurs devoirs et leurs droits en toute dignité sans pour autant promettre le bonheur, plutôt que de vouloir les faire fonctionner dans des dispositifs pensés sans leur avis. L’être humain se reconnaît plus dans une quête, une curiosité, une évolution. Le travail social devrait être un outil favorisant la citoyenneté, ainsi que le définissait l’ONU en 1959, qui lui voyait pour fonction : “l’adaptation réciproque des individus et de leur milieu social.” Il semble donc que la pertinence du travail social réside dans l’interface du rapport sujet / société et que son sens soit qu’il traite de ce rapport. Cela confirmerait donc la validité de sa fonction de maintien de la cohésion sociale, certes, mais dans la création d’une harmonie et d’un épanouissement du sujet, et non dans une exclusion contenante qui viserait l’assujettissement.

Cela nous permet donc de revenir au sens du travail social et à la spécificité de l’acte en travail social.

Que ce soit dans une relation duelle ou de groupe, il rencontre toujours un ou des sujets en mouvement, en devenir, et non des individus classés ou catalogués uniquement comme consommateurs de biens. Ce sont des êtres de désir. Le rôle du travailleur social n’est donc pas, au travers de ces actes, de combler le vide et les manques mais bien au contraire d’accompagner, d’ouvrir à cette notion, pour que le désir ne soit plus comblé facilement mais réellement, en organisant la rencontre avec ce manque à être, afin de réagir. C’est dans cette dynamique que nous avons pensé les différentes expériences d’accès au savoir, tant pour les adultes que pour les jeunes et les enfants. Rappelons-nous la joie de cette femme qui s’est découverte capable de remplir un chèque pour payer son loyer, alors qu’auparavant c’était son propriétaire qui le faisait à sa place.

C’est dans cette dynamique que l’on peut arriver à penser qu’une société faite de sujets, et non d’assistés invalides, est une société riche et épanouie, où chacun trouvera sa place naturellement. C’est dans cette dimension que l’on peut envisager une vraie cohésion sociale, et non une illusion de cohésion dans un assistanat qui aurait pour fonction de maintenir une partie de la population en dépendance, afin de mieux la contrôler. La preuve en est, malgré tous les dispositifs mis en place, qui enferment, qui occupent, qui catégorisent, que le résultat n’est pas probant, puisque les objectifs visés ne prennent en compte principalement que le manque à combler au détriment du manque à être. Souvenons-nous, de cette citation de Confucius “ Si tu souhaites que je ne connaisse plus la faim, au lieu de me donner du poisson, apprends-moi à pêcher “ ( 128 ). Cela dit, lorsque nous affirmons qu’il faille requestionner le politique et ses erreurs, nous entendons aussi revenir sur ce que nous considérons comme une collusion au politique dont les acteurs de l’Action Sociale doivent assumer une partie de la responsabilité dans le manque de communication du sens de leur action.

Notes
128.

Confucius, philosophe chinois, 551-479 avt Jésus-Christ.