5.1.2 : Quel choix de société ?

Tout comme nous avons réfléchi sur les enjeux du travail social, il nous faut penser les enjeux de demain. Face à des populations de plus en plus “exclues”, à la dégradation du tissu social dans certains quartiers et à la violence, quels choix allons-nous effectuer, quelles valeurs allons-nous défendre ? Pour quelle société ?

La société de consommation, à laquelle certains n’ont plus accès, semble avoir pour effet d’anéantir la personne humaine en la privant de sa capacité de décider et de créer, entraînant, ainsi, un désengagement de chacun dans la vie sociale, une difficulté à se projeter dans l’avenir à travers la construction de projets de vie, un repli sur soi. Ce constat est plus prégnant et plus visible dans les quartiers fragilisés, où les problèmes sociaux se conjuguent. Les rapports sociaux se sont complexifiés ; ce repli sur soi, cette impuissance sociale distendent de plus en plus les liens sociaux.

Comment, alors, redynamiser des populations en rupture avec elles-mêmes et avec le tissu social autour de projets de vie, leur offrant la possibilité de s’impliquer ou de se réimpliquer dans la vie sociale, si ce n’est en privilégiant des valeurs de solidarité, de justice sociale, de reconnaissance de l’utilité sociale de chacun, en les resituant au coeur des actions entreprises ?

Ce sont ces choix que peuvent orienter les pratiques institutionnelles et les travailleurs sociaux en tant que praticiens de l’Action Sociale, mais il doivent être portés par le politique qui impulse le cadre. Maintenir la cohésion sociale passe par une reconnaissance et une exigence de tous à s’impliquer dans la vie sociale et politique. Cette démarche se concrétise tout d’abord dans sa vie, dans son quartier, dans sa ville. Les réponses proposées aujourd’hui ne peuvent être les mêmes que celles d’hier. Les valeurs universelles telles que la justice sociale, la solidarité et le respect des droits, représentent toujours le fondement de notre action et sa légitimité. Il s’agit, aujourd’hui, de répondre avec les populations et de participer au maintien de la cohésion sociale dans le respect des différences. Nous sommes à l’interface entre les populations les plus “fragilisées”, qui dérivent vers une forme de “sous-citoyenneté”, et le champ du politique, qui définit les orientations sociales à travers les institutions.

Face à l’évolution des problèmes sociaux, les professionnels constatent, en effet, des blocages institutionnels de plus en plus importants et la présence insuffisante de vrais partenaires dans les actions menées en direction des populations “défavorisées”. Ces difficultés confirment une dichotomie croissante entre ce que les politiques défendent ; à savoir la cohésion sociale ; (ce qui peut avoir pour conséquence, rappelons-le, une évacuation des réponses aux besoins sociaux de l’homme en tant que sujet et personne) et l’éthique du travail social qui fonde nos différentes pratiques et à pour visée de promouvoir et restaurer l’usager dans ses droits. Alors que le politique s’intéresse à des valeurs de paix sociale et de sécurité, l’Action Sociale devrait se référer à des valeurs humaines de respect des droits de l’homme, de dignité, de développement individuel et de solidarité, sans lesquelles une société dite démocratique ne peut exister.

La démarche des travailleurs sociaux se définit par des méthodes, des savoir-faire professionnels diversifiés, qui nous permettent de repérer la souffrance sociale des individus se trouvant dans une position d’écrasement et qui n’ont plus la force de puiser dans leurs propres ressources pour trouver eux-mêmes des solutions à leurs difficultés. Notre action consiste également à repérer et à faire émerger en les valorisant les potentialités et les ressources de chacun et des communautés.

Comme nous le disions précédemment, la démarche humanitaire, fortement médiatisée, ne reconnaît l’individu qu’à travers sa souffrance or les pratiques des professionnels de l’Action Sociale devraient permettre de penser l’individu dans sa dimension politique. Elles doivent viser, à notre sens, la dignité de l’homme et la restauration de la citoyenneté. On ne peut faire ni pour, ni à la place de, mais bien avec. Il s’agit de donner aux populations “hors circuit” des outils pour se redresser, pour prendre la parole dans une société qui tend de plus en plus à la leur refuser. Il faut les aider à reprendre elles-mêmes leur place en retrouvant l’énergie nécessaire pour surmonter les obstacles et trouver les réponses qui leur conviennent le mieux dans le jeu social. Reconnaître quelqu’un dans ses droits et dans sa dignité est un des premiers éléments de restructuration de la personne : aider, soutenir, accompagner l’usager pour qu’il ne perde pas sa condition de citoyen ; là devrait être la place des professionnels.

Au lieu d’une aide accrue développée à travers la multiplication des dispositifs administratifs lourds à gérer, qui n’ont pour seul projet que de faire à la place de... pour calmer le jeu et qui font abstraction de la dimension psychologique, affective, “irrationnelle”, intervenant dans les processus de marginalisation, ne faudrait-il pas essayer de canaliser les énergies en participations positives ? Favoriser et reconnaître des actions reposant sur une intervention active des personnes dans la vie collective ? Et non se positionner dans des réponses à l’urgence, qui s’inscriraient dans des logiques de services, logiques qui entraînent très fréquemment les travailleurs sociaux dans une dynamique purement instrumentale, qui ne convient pas au contenu politique et éthique de leur position et mission.