1.2.3 Analogie avec le symptôme de douleur chronique

Les perceptions de membres fantômes sont le plus souvent douloureuses, c’est sans doute en partie pourquoi l’acouphène a été rapproché de la douleur afin de mieux comprendre ses mécanismes d’apparition et de pérennisation. De nombreux auteurs ont recherché les points communs entre les perceptions chroniques de l’acouphène et de la douleur. Des similarités entre ces deux perceptions ont notamment été listées par Tonndorf (1987) :

D’après Tonndorf (1987), l’acouphène résulterait d’un déséquilibre périphériqueentre l’activité des grosses fibres innervant les CCI et celle des fibres fines innervant les CCE, deséquilibre causé par des dommages partiels de l’un et/ou l’autre des deux systèmes, de la même manière que la douleur chronique, d’après le modèle de Melzack et Wall (« modèle de la porte », 1965, cité dans Tonndorf, 1987), résulterait d’un tel déséquilibre au niveau somato-sensoriel.

De plus, d’après Moller (1997), la douleur chronique ainsi que certains acouphènes se caractérisent par une hypersensibilité aux stimulations sensorielles (40 % des acouphéniques seraient hyperacousiques d’après Fabijanska, Rogowski, Bartnik, & Skarynski, 1999).

D’après Moller, les localisations anatomiques des structures neuronales engendrant l’acouphène sont, comme dans le cas de la douleur chronique, différentes des voies classiques de transmission de l’information de la modalité considérée. Ainsi, pour les acouphènes invalidants, l’information du système auditif ascendant classique serait déroutée vers le système auditif non classique. Moller, Moller et Yokota (1992) ont montré qu’une stimulation électrique du nerf médian, nerf impliqué dans la transmission de l’information somesthésique, pouvait modifier la sonie de l’acouphène chez environ 38 % des participants de leur étude. Ils ont alors suggéré que le système plurisensoriel (voie extra-lemniscale) pourrait être impliqué dans les mécanismes générateurs de l’acouphène. Ces expériences suggèrent que le site anatomique des problèmes physiologiques responsables des acouphènes invalidants n’est pas localisé à l’oreille, au nerf auditif ou aux parties les plus périphériques des voies auditives ascendantes. Levine (1999) a d’ailleurs observé que la modulation des caractéristiques perceptives de l’acouphène par des stimulations somesthésiques était un phénomène répandu (68 % des 70 patients ayant participé à son étude pouvaient modifier leur acouphène en réalisant des mouvements de la tête et du cou). Il a donc proposé que les acouphènes pourraient émerger à partir du noyau cochléaire dorsal (NCD), premier lieu d’intégration plurisensorielle des voies auditives. En effet, l’activité de cette structure peut être modifiée par des informations provenant d’autres modalités sensorielles. Ainsi, une diminution des entrées auditives ou somatiques pourrait induire une désinhibition du NCD, entraînant une augmentation d’activité à ce niveau. Cette activité propagée jusqu’aux cortex auditifs associatifs constituerait le signal nerveux initiant l’acouphène. Il existe ainsi plusieurs arguments pour que l’activité neurale à l’origine de la perception d’acouphènes soit générée dans d’autres parties du SNC auditif que celles qui traitent normalement l’information. L’implication de la voie auditive non primaire dans la perception de l’acouphène semble être un argument fort en faveur d’une cause centrale de l’acouphène (Moller, 1999).

Enfin, l’acouphène, de même que la douleur chronique (Sweetow, 1986), s’accompagne souvent d’une forte composante psychologique, ce qui est en faveur de l’hypothèse d’une implication d’autres aires cérébrales (système limbique, système nerveux autonome) que celles responsables de ces sensations (Folmer, Griest, & Martin, 2002).