1.3.1 De la sévérité de l’acouphène

Comme tout stimulus continu ou répété dans l'environnement, le signal de l'acouphène fait normalement l'objet d'une adaptation de la part de notre système nerveux central, ce que l'on appelle habituation. Celle-ci se traduit par le classement du signal de l'acouphène comme stimulus non pertinent qui n'est donc plus interprété comme un son au niveau cortical. Cette habituation se produit dans 75 % des cas, mais pour les 25 % restant, l'acouphène devient un véritable handicap, perturbant la vie de tous les jours et pouvant parfois même conduire les acouphéniques au suicide (Lewis, Stephens, & McKenna, 1994). Maux de tête, insomnies, hyperacousie sont quelques-uns des symptômes associés à l’acouphène invalidant dont les patients se plaignent le plus souvent (Erlandsson et al., 1992).

La sévérité de l’acouphène correspond à une évaluation subjective du patient. Pour un observateur extérieur, elle peut être définie et quantifiée de plusieurs manières : pendant combien de temps (jours/mois) le patient est-il gêné par son acouphène, pendant combien d’heures par jour ? de quelle(s) manière(s) l’acouphène détériore-t-il le sentiment de joie de vivre du patient, pendant combien d’heures par jour ? quelles sont les conséquences de la perception de l’acouphène sur ses activités quotidiennes ? Il est important de souligner que la sévérité de l’acouphène est indépendante des caractéristiques physiques de celui-ci (comme la fréquence ou l’intensité du bruit entendu). En effet, plusieurs études ont montré que les dimensions mesurables de l’acouphène n’expliquent pas de manière adéquate le niveau de gêne ressentie par les patients (Baskill & Coles, 1999; Meickle, Vernon, & Johnson, 1984).

De nombreux instruments ont été développés, d’abord en langue anglaise, puis traduits et validés en Français, pour évaluer la sévérité de l’acouphène. Pour la plupart, ils correspondent à des questionnaires auto-administrés par les patients. Citons l’Echelle subjective de mesure de la sévérité de l’acouphène (Meric, Pham, & Chéry-Croze, 1996), l’Echelle subjective de mesure de la détresse de l’acouphène (Meric, Pham, & Chéry-Croze, 1997a) et le questionnaire « Mesure du handicap lié à l’acouphène » (Meric, Pham, & Chéry-Croze, 1997b). Dans les travaux de thèse présentés plus loin, nous n’utiliserons qu’une seule échelle, l’Echelle subjective de mesure de la sévérité de l’acouphène, par souci d’homogénéité du score calculé pour chaque patient dans les différentes études et d’économie de temps pour chaque sujet. Cette échelle est destinée à estimer le retentissement du symptôme dans la vie des patients. Elle ne permet pas de préciser quels sont les domaines particuliers affectés par la présence d’acouphènes, mais elle donne une évaluation globale qui présente l’avantage, par rapport aux deux autres questionnaires, d’être indépendante du profil psychopathologique du patient (Meric et al., 1998).

Un écueil important, quand on parle de l’impact de l’acouphène sur l’individu, réside dans le fait que l’acouphène n’est qu’un symptôme et que de nombreuses pathologies lui sont associées. Ainsi, il est très difficile, mais pourtant fondamental, de savoir si la présence seule de l’acouphène entraîne les souffrances de la vie quotidienne qui lui sont imputées ou bien si ce sont les problèmes associés qui en sont la cause. Zaugg, Schechter, Fausti et Henry (2002) suggèrent que les acouphéniques surestiment souvent l’impact de leur acouphène sur leur vie quotidienne par rapport à celui de leur perte auditive. En effet, d’après ces auteurs et surtout chez les acouphéniques possédant une audition moyenne à mauvaise, la plupart des plaintes des patients attribuées à leur acouphène (comme les difficultés de compréhension par exemple) résultent plus de la perte auditive que de la présence de cette perception auditive fantôme.

Par ailleurs, nous l’avons déjà souligné, l’acouphène co-existe parfois avec des psychopathologies, les plus communes étant l’anxiété ou la dépression. Il est par conséquent possible qu’une partie au moins des souffrances liées à cette perception fantôme soient en fait les conséquences de ces problèmes psychologiques. Zöger, Svedlund et Holgers (2002b) rapportent, dans une étude portant sur 70 acouphéniques, que le sous-groupe de patients présentant un risque élevé de développer un acouphène sévère et chronique est aussi celui qui possède une prévalence plus élevée de désordres dépressifs et/ou anxieux.

Enfin, l’étude de Meric et al. (1998) suggère que le retentissement de l’acouphène sur la vie quotidienne résulterait de l’association entre la perte auditive et un profil psychopathologique particulier chez un acouphénique donné, plutôt que des propriétés du seul acouphène, d’où l’intérêt, pour calculer le score de sévérité de l’acouphène, d’utiliser un questionnaire indépendant, dans la mesure du possible, de ce profil.

La notion de sévérité de l’acouphène ayant été précisée, nous allons maintenant présenter les différents modèles explicatifs de l’évolution de l’acouphène vers l’adaptation (acouphène non sévère) ou vers la pérennisation (acouphène sévère).