2.2.1 Réseaux corticaux activés pendant la perception d’un acouphène

Nous présenterons ici une sélection des principales recherches entreprises pour analyser les différents réseaux neuronaux impliqués dans la perception de l’acouphène. La plupart des travaux ont été réalisés grâce à la technique d’imagerie appelée Tomographie par Emission de Positons (TEP). Son principe général repose sur le fait que l’on infère l’activité cérébrale générée par une activité demandée au participant à partir des variations de son flux sanguin cérébral. Ces variations sont calculées par la soustraction entre l’activité pour laquelle on souhaite déterminer les aires corticales impliquées (par exemple, écouter une syllabe) et une activité de référence (par exemple, écouter un clic). On voit donc ici l’importance de ces différentes activités de référence.

Une étude en TEP, menée par Arnold, Bartenstein, Oestreicher, Römer et Schwaiger (1996) a montré pour la première fois des activations associées à la présence de l’acouphène, au niveau des aires auditives corticales et au niveau du cortex limbique. En comparaison à des participants contrôles, une activité anormalement asymétrique du gyrus temporal transverse est rapportée chez les acouphéniques, se traduisant, dans la plupart des cas, par une activité plus élevée dans le gyrus gauche que dans le gyrus droit. Cependant, dans cette étude, les auteurs ont comparé les activités des patients acouphéniques à celles observées dans un groupe contrôle alors que les deux populations n’étaient pas équivalentes par leur statut auditif, puisque tous les patients présentaient une perte auditive alors que les contrôles étaient tous normo-entendants. La même équipe a réalisé une autre étude comparant uniquement acouphéniques et contrôles en situation de repos pendant l’acquisition des données (Oestreicher, Willoch, Lamm, Arnold, & Bartenstein, 1999). Ses résultats montrent, chez les acouphéniques, une diminution de l’activité d’aires non auditives  (le cortex pariétal postérieur et la partie antérieure de l’insula et, dans une moindre mesure, le cortex cingulaire antérieur), mais pas de différences localisées aux aires auditives, ce qui suggère une réorganisation apparaissant, en premier lieu, au niveau de structures limbiques et seulement à un degré moindre au niveau des aires auditives. Mais, répétons encore une fois que, dans cette étude, la présence de l’acouphène était confondue avec la perte auditive.

Afin de pallier le problème du recours à des participants sans acouphène (et possédant donc souvent un statut auditif différent), des auteurs ont cherché à utiliser les patients eux-mêmes comme contrôles. Les recherches se sont alors développées selon deux axes. Le premier concerne l’investigation de patients particuliers qui ont la faculté de modifier l’intensité de leur acouphène par des mouvements de la face ou de la mâchoire, ou bien encore des yeux. Ainsi, Lockwood et al. (1998, 2001) ont réalisé une étude TEP chez des acouphéniques ayant la faculté d’augmenter l’intensité de leur acouphène par des mouvements oro-faciaux. La soustraction des activations engendrées par la perception d’un acouphène de forte intensité à celles produites lors de la perception d’un acouphène de faible intensité révèle une augmentation de l’activité au niveau des aires auditives primaires et secondaires ainsi qu’au niveau des aires limbiques. De même, Giraud et al. (1999), étudiant des acouphéniques capables d’induire un acouphène par des mouvements horizontaux des yeux, ont montré que la perception d’acouphènes s’accompagnait d’activations dans les aires auditives associatives, sans aucune activation des aires primaires. Cependant, dans ces deux études, on ne peut pas écarter, l’éventualité de modifications de l’activité corticale dues à la présence d’une perte auditive (et pas dues à la seule présence d’un acouphène), puisque, encore une fois, tous les patients étudiés présentaient une perte auditive parfois très prononcée.

Le deuxième axe de recherche a utilisé la possibilité de supprimer la perception de l’acouphène, chez un patient, par un agent pharmacologique, la lidocaïne, ou par un masquage acoustique extérieur. Les données de la TEP ont alors été acquises sans suppression (avec acouphène), avec suppression par lidocaïne, avec suppression par masquage, ou encore avec suppression par lidocaïne et masquage. Ainsi, Mirz et al. (1999, 2000) ont montré une activité cérébrale, dans la condition sans suppression d’acouphène, plus forte dans les gyri frontaux supérieur et médian, dans le gyrus temporal médian et le corps amygdaloïde. Ceci suggère que l’acouphène serait lié à des activations des régions préfrontales, du cortex auditif associatif et du système limbique, régions impliquées dans le traitement des signaux auditifs mais aussi dans l’attention et l’émotion. De même, Andersson et al. (2000a), étudiant le cas d’une patiente acouphénique, ont montré des activations différentes dans la condition d’acouphène par rapport à une condition de suppression par la lidocaïne, ou par rapport à une condition de stimulation sonore. De nouveau, les auteurs suggèrent que l’acouphène serait associé à des activations des aires auditives primaires, secondaires et associatives, mais aussi des aires relatives à l’attention auditive et au traitement émotionnel. Ces dernières études ont le mérite d’utiliser comme contrôles les patients eux-mêmes, cependant, rien n’exclut un effet confondu soit avec celui de la lidocaïne, soit avec celui du masquage.

En conclusion, toutes ces études semblent suggérer que la perception de l’acouphène impliquerait non seulement des aires auditives mais aussi d’autres régions corticales. En effet, même si les études réalisées en imagerie restent encore en nombre limité, il est raisonnable de penser que l’acouphène serait associé à a) un traitement auditif de son signal (aires corticales auditives primaires et/ou secondaires et associatives), et b) un traitement attentionnel et émotionnel de sa perception (cortex frontaux et cingulaires). Cependant, la difficulté de trouver une bonne condition contrôle et celle de rassembler un groupe de patients homogène quant aux types d’acouphène, causes de l’acouphène, types d’autres symptômes associés, etc…, sont autant de sources de variations et d’obstacles pour l’obtention d’une conclusion claire.