2.4.3 Influence de la présence d’un acouphène réel ou simulé sur les performances à une tâche d’écoute dichotique indicée

2.4.3.a Introduction

Les résultats concernant le traitement de stimulations auditives verbales dans une tâche d’écoute dichotique de mots (Expérience 1) ont révélé chez les acouphéniques droits, l’absence d’avantage de l’oreille droite sur l’oreille gauche et, chez les acouphéniques gauches, l’exacerbation de cet avantage. De plus, l’adjonction d’un bruit simulant le signal de l’acouphène chez des participants sains soumis à la même tâche, n’a pas altéré l’avantage de l’oreille droite classiquement observé. Cependant, ces expériences ne permettent pas de conclure avec certitude à une modification de l’organisation des fonctions cérébrales engendrée, chez les patients acouphéniques unilatéraux, par la présence du symptôme. En effet, ces résultats peuvent aussi s’expliquer, au moins en partie, par la présence d’un biais attentionnel favorisant ou inhibant l’une ou l’autre oreille. Ainsi, l’acouphène pourrait automatiquement orienter l’attention. D’une part, l’attention pourrait être dirigée de manière irrépressible vers le signal de l’acouphène, ce qui le rendrait particulièrement perturbant soit par interférence avec les autres traitements, soit en empêchant l’attention de se réorienter dans une autre direction que celle de l’oreille porteuse de l’acouphène. Une autre possibilité serait que les patients orientent, au contraire, de manière délibérée leur attention sur l’oreille saine, sans acouphène, dans un processus d’évitement de l’oreille porteuse de l’acouphène. Une telle stratégie expliquerait l’absence de l’avantage de l’oreille droite chez les patients acouphéniques droits ainsi que l’exacerbation de cet avantage chez les patients acouphéniques gauches.

Afin d’analyser plus finement les modifications de l’organisation des fonctions cérébrales associées au langage, engendrées par la présence d’un acouphène, nous avons tenté de supprimer ces éventuels biais attentionnels par un paradigme d’écoute dichotique de mots avec indiçage spatial sonore. L’enjeu était d’orienter de manière automatique et indépendamment de leur volonté, l’attention des participants de façon à la distribuer équitablement entre l’oreille droite et l’oreille gauche sur l’ensemble de la tâche. Ainsi, nous nous sommes inspirés du protocole décrit par Voyer & Flight (2001) et avons modifié la tâche d’écoute dichotique de mots présentée dans l’Expérience 1 en y ajoutant un indiçage spatial sonore. Afin de contrôler l’attention des participants, il était essentiel que ceux-ci ne soient pas prévenus de l’apparition de cet indice. De même, celui-ci devait être très bref et le délai entre son apparition et celle des mots cibles (Stimulus Onset Asynchrony : SOA) devait être manipulé et donc varier, de manière à ce que les participants ne puissent pas développer d’attente.

Le protocole a donc été conçu pour contrôler à la fois les éventuelles différences perceptives dues à la présence du signal de l’acouphène (comme dans l’Expérience 1) et les éventuels biais attentionnels chez les participants acouphéniques unilatéraux. Enfin, pour apporter de nouveaux arguments répondant à la question d’une éventuelle réorganisation due à la présence continue d’un acouphène, nous avons délibérément choisi de tester à la fois des hommes et des femmes. En effet, ainsi que nous l’avons déjà souligné, les études de l’asymétrie hémisphérique fonctionnelle portent principalement sur des individus masculins parce qu’il a été montré que les femmes présentent de moindres différences interhémisphériques. Or, le fait que le degré d’asymétrie varie selon le genre, pourrait signifier soit que des mécanismes de traitement différents sont impliqués chez les femmes et les hommes, soit qu’ils sont organisés différemment. Rechercher et, le cas échéant, préciser les éventuelles modifications des fonctions du langage chez les acouphéniques des deux sexes présente donc un intérêt plus général qu’une étude portant uniquement sur les individus de sexe masculin.

Nous avons donc émis l’hypothèse que les performances à la tâche d’écoute dichotique de mots reflèteraient l’organisation des fonctions cérébrales associées au traitement des stimuli auditifs verbaux chez les participants. En particulier, dans cette perspective, une absence d’avantage de l’oreille droite sur l’oreille gauche quel que soit le côté indicé chez les acouphéniques droits et une exacerbation de cet avantage quel que soit le côté indicé chez les acouphéniques gauches suggèreraient que la présence permanente d’une perception auditive fantôme modifie l’organisation des fonctions du langage dans la modalité auditive. Au contraire, si, quel que soit le côté de l’acouphène, l’indice spatial sonore entraîne un avantage de l’oreille droite sur l’oreille gauche quand il est présenté du côté droit, et un avantage de l’oreille droite sur l’oreille gauche moindre, voire nul, quand il est présenté du côté gauche, alors les résultats de l’écoute dichotique pourront être interprétés plutôt en termes de facilitation ou inhibition par une orientation de l’attention due à la présence d’une perception auditive fantôme.