2.4.3.d Discussion

L’objectif de cette Expérience 4 était de vérifier l’existence d’une modification de l’organisation cérébrale des fonctions du langage associée à la présence continue d’un acouphène. Afin de contrôler au mieux la distribution de l’attention des participants entre leurs oreilles, les différences latérales reflétant l’asymétrie hémisphérique fonctionnelle ont été mesurées à l’aide d’un paradigme d’écoute dichotique de mots avec indiçage auditif spatial.

Les résultats ont révélé un avantage de l’OD/HG sur l’OG/HD pour le traitement des mots chez tous les participants sauf les acouphéniques droits et les simulés-acouphéniques droits. De plus, ils ont montré que les patients acouphéniques gauches présentaient un avantage de l’OD/HG exacerbé par rapport aux autres participants. Ces résultats ne sont donc que partiellement conformes à nos hypothèses et en accord avec les résultats des Expériences 1 et 3 précédentes. En effet, ils tendent à confirmer que la présence d’un acouphène dans l’oreille droite entraîne l’absence d’avantage de l’OD/HG dans une tâche d’écoute dichotique de mots et que, présente dans l’oreille gauche, cette perception auditive fantôme engendre une exacerbation de cet avantage de l’OD/HG. Ces résultats seraient essentiellement dus à une baisse des performances dans l’oreille porteuse de l’acouphène dans le cas d’un acouphène unilatéral. En effet, comme dans l’Expérience 1, les patients acouphéniques bilatéraux n’ont pas présenté ici de performances diminuées par rapport à celles de participants contrôles.

Cette étude a de plus révélé un résultat non attendu et non conforme à l’Expérience 3 décrite précédemment, puisque les participants simulés-acouphéniques droits ont aussi présenté une absence d’avantage de l’OD/HG sur l’OG/HD. Ceci impliquerait que la présence d’un acouphène simulé dans l’oreille droite suffirait à supprimer l’avantage de l’OD/HG dans la tâche d’écoute dichotique proposée. Ce résultat semble donc en faveur d'une interférence perceptive (périphérique ou centrale) entre le signal d'acouphène (réel ou simulé) et les signaux de parole. Cependant, à la lumière des résultats précédemment obtenus en simulant un acouphène dans l’oreille droite et en analysant plus finement ceux des sujets de ce groupe, nous nous sommes aperçus qu’il existait une très forte variabilité des performances, plus forte que dans les autres groupes. En particulier, deux participants femmes ont montré un pattern de performances totalement inversé, c’est-à-dire avec un avantage prononcé de l’OG/HD. Or on sait que chez les individus de latéralité manuelle droite, un faible pourcentage présente une asymétrie en faveur de l’oreille gauche et que ceci est particulièrement vrai chez les femmes (Sergent, 1998). Cette inversion chez deux de nos sujets pourrait expliquer cette absence d’avantage de l’OD/HG chez les simulés-acouphéniques droits dans cette expérience, pattern ressemblant à celui des acouphéniques droits, mais, selon nous, non sous-tendu par les mêmes mécanismes. Ceci paraît d’autant plus vraisemblable que nous n’avons pas observé d’exacerbation de l’avantage de l’OD/HG chez les simulés-acouphéniques gauches, c’est-à-dire que ces derniers n’ont pas présenté un pattern analogue à celui obtenu par les patients acouphéniques gauches. Toutefois, ce résultat inattendu se doit d’être considéré et il serait souhaitable d’augmenter les effectifs testés afin de l’infirmer ou le confirmer.

De manière globale, les résultats observés dans cette tâche d’écoute dichotique de mots avec oreille indicée semblent donc conformes à ceux obtenus dans une tâche d’écoute dichotique de mots sans indiçage. En effet, aucun effet de l’indiçage spatial n’a pu être montré dans l’expérience présente. Si l’on considère que l’indiçage spatial auditif proposé a bien eu pour conséquence de distribuer équitablement l’attention entre les deux oreilles, les modifications de l’avantage de l’OD/HG reflèteraient l’asymétrie hémisphérique fonctionnelle sans influence d’un biais attentionnel. Ceci serait donc un argument supplémentaire en faveur d’une modification de l’organisation des fonctions cérébrales du langage chez les patients acouphéniques. Cependant, l’attention est un système complexe impliquant des mécanismes nombreux et variés, et il est difficile d’empêcher d’autres processus de distribution de l’attention d’interagir avec les effets recherchés dans cette étude. Ainsi, on peut envisager que, malgré le contrôle réalisé par l’intermédiaire d’un indiçage attentionnel, d’autres processus, par exemple des choix stratégiques, interviennent pour une part dans les effets observés. Cependant, cette remarque s’applique aux individus de chacun des groupes considérés, acouphéniques ou pas ; vraisemblablement, les asymétries hémisphériques fonctionnelles reflètent à la fois des facteurs structuraux et des facteurs attentionnels. Il est d’ailleurs possible que ce soient des facteurs structuraux qui déterminent le rôle de l’attention dans la latéralité. Ainsi, l’effet de latéralité typiquement observé dans les tâches de rappel libre devrait être considéré comme résultant de la combinaison de facteurs structuraux et attentionnels.