3.3.6 Etude des mécanismes d’orientation de l’attention à l’aide du paradigme d’indiçage spatial

3.3.6.a Introduction

L’objectif de cette étude était de rechercher, chez les patients acouphéniques, la présence d’éventuelles difficultés dans les processus d’orientation de l’attention à l’aide du paradigme d’indiçage spatial. Dans celui-ci, l’expérimentateur cherche à orienter, par la présentation d’un indice, l’attention du participant à un endroit particulier de l’espace avant l’apparition d’une cible à détecter. La procédure classiquement utilisée en modalité visuelle est illustrée dans la Figure 28. Il s’agit d’attirer l’attention du participant à l’aide d’un indice visuel, tel que la sur-brillance d’un carré. Après un délai variable, une cible, que le participant doit détecter, apparaît dans l’un des deux carrés. Différentes conditions d’apparition de la cible sont observées : la condition « valide » dans laquelle la cible apparaît dans le carré indicé ; la condition « non-valide » dans laquelle la cible apparaît dans l’autre carré, et la condition « contrôle » (ou neutre) pour laquelle les deux carrés sont indicés alors que la cible est présentée dans l’un des deux. La répartition des conditions dans les essais varie selon les situations expérimentales.

Les principaux résultats obtenus (Posner, 1980) dans ces tâches montrent que, dans la condition valide, le traitement de la cible est facilité, par rapport à la condition neutre ; ce bénéfice correspond à une accélération des temps de réponse de l’ordre de 30 à 40 ms. La variation de l’intervalle temporel entre l’indice et la cible permet de voir que cette facilitation se met en place progressivement, l’indice doit en effet apparaître entre 50 et 150 ms avant la cible pour que son traitement soit favorisé.

En revanche, dans la situation non-valide, le temps de réponse augmente, non seulement par rapport aux essais valides, mais aussi par rapport aux essais contrôles. On interprète ce ralentissement en postulant que, dans cette condition, l’indice a provoqué des phénomènes d’inhibition, avec un coût d’environ 35 ms.

Selon Posner, ces effets d’attente reflètent une orientation de l’attention, c’est-à-dire un alignement de l’attention avec une source externe ou avec une représentation sémantique stockée en mémoire. Le paradigme d’indiçage spatial met en évidence trois composantes de l’orientation de l’attention : engagement, désengagement et déplacement de l’attention. En effet, l’indiçage provoque un engagement de l’attention dans une partie du champ visuel, impliquant une facilitation quand l’endroit ciblé correspond à celui où l’attention est orientée. Mais, dans la condition non-valide, l’attention passe par trois étapes : un désengagement de sa position d’indiçage, un déplacement puis un réengagement vers la position ciblée, ce qui entraîne un délai de réponse du sujet, donc un ralentissement par rapport aux deux autres conditions, valide et neutre.

D’autre part, un second type d’inhibition se produit lorsque le temps séparant l’indice et la cible est supérieur à 300 ms. Appelée inhibition de retour, celle-ci reflète un effet sensoriel de l’indice, à savoir que le système ne favorise pas l’orientation de l’attention dans les endroits de l’espace déjà inspectés.

L’orientation de l’attention spatiale utilise donc un ensemble de facilitations et d’inhibitions pour se déplacer dans le champ visuel. Ces mécanismes d’orientation s’effectuent en fonction de deux processus attentionnels distincts. L’attention peut en effet être dirigée par des processus centraux, volontaires et intentionnels, qui vont créer des effets d’attentes et permettre à l’individu de se préparer au traitement de la cible (orientation endogène). Cette préparation attentionnelle est liée à la répartition des essais valides et non-valides. Au contraire, l’attention peut être dirigée de manière réflexe et automatique (orientation exogène), correspondant à la capture de l’attention par tout événement brutal, comme le changement d’énergie dans les régions non focalisées provenant de l’indice.

L’étude des deux modalités visuelle et auditive nous a paru intéressante afin de déterminer plus précisément les éventuelles perturbations attentionnelles chez les acouphéniques. En effet, la tâche en vision pourrait caractériser l’atteinte à un niveau central, c’est-à-dire amodal, et la tâche auditive permettrait de se rapprocher de la modalité sensorielle affectée par l’acouphène et d’observer les perturbations spécifiques à cette modalité. Cependant, les différentes étapes de l’orientation de l’attention spatiale ayant été décrites essentiellement dans la modalité visuelle, il nous a été nécessaire de modifier le protocole pour l’appliquer à la modalité auditive. En particulier et afin d’être le plus proche possible du protocole décrit ci-dessus, nous avons cherché à présenter un point de fixation auditif car il nous semblait que cette condition manquait dans d’autres protocoles auditifs (Mondor & Zatorre, 1995).

Les patients très invalidés par leur acouphène, présentant une focalisation de l’attention du côté de l’oreille portant l’acouphène, pourraient présenter des perturbations dans l’orientation de l’attention spatiale se traduisant par une difficulté dans les processus de désengagement, déplacement et/ou réengagement de l’attention, d’autant plus grande que c’est la modalité auditive qui est testée. Plus précisément, nous avons émis les hypothèses suivantes. Premièrement, dans la condition valide, les participants acouphéniques présenteront des temps de réaction plus courts que les participants simulés-acouphéniques, qui eux-mêmes seront plus rapides que les contrôles, quand la cible apparaîtra du côté où l’acouphène ou la simulation d’acouphène sont perçus. Deuxièmement, dans la condition non-valide, les temps de réponse des acouphéniques seront plus longs que chez les simulés-acouphéniques, eux-mêmes plus lents que les contrôles, quand la cible apparaît du côté opposé à celui où l’acouphène ou la simulation d’acouphène sont perçus. Troisièmement, nous avons émis l’hypothèse d’un ralentissement dans l’orientation de l’attention, ce qui se traduirait aussi par l’apparition plus tardive du phénomène de l’inhibition de retour chez les patients.