Discussion

L’Expérience 8 avait pour objectif de déterminer si la présence d’un acouphène pouvait entraîner des processus de focalisation de l’attention sur l’oreille acouphénique et engendrer de ce fait des difficultés dans les mécanismes de désengagement/déplacement/réengagement de l’attention spatiale. Les résultats obtenus ont tout d’abord gobalement montré les effets classiquement attendus dans le paradigme d’indiçage spatial, et décrits originellement par Posner (1980). Ainsi, nous avons relevé une facilitation du traitement de la cible en condition valide par rapport à la condition neutre, traduisant l’engagement de l’attention des participants à un endroit du champ visuel à la suite de la présentation de l’indice. Nous avons aussi observé une inhibition dans la condition non valide par rapport à la condition neutre, reflétant un ralentissement du traitement de la cible lorsque celle-ci était présentée dans une partie du champ visuel non indicée. Selon Posner (1980), ce ralentissement rendrait compte du décours temporel de l’orientation de l’attention spatiale : après avoir été engagée dans la position indicée, l’attention doit se désengager, se déplacer et se réengager dans la nouvelle position ciblée.

Deuxièmement, les résultats obtenus ont montré que les participants répondaient plus lentement quand l’indice et la cible étaient séparés du plus petit intervalle de temps, suggérant une mise en place progressive de l’engagement de l’attention, 50 ms après l’apparition de l’indice. De plus, ces effets étaient modulés selon la condition. Ainsi, dans les conditions valide et neutre, les participants ont présenté des temps de réponse plus longs entre l’ISI de 350 ms et celui de 250 ms, tandis qu’ils ont présenté des temps de réponse globalement de plus en plus rapides entre l’ISI de 50 ms et celui de 350 ms. Ces effets rendent compte du phénomène d’inhibition de retour, intervenant environ 300 ms après l’apparition de l’indice et traduisant le fait que l’attention ne se réengage pas dans un endroit du champ visuel déjà exploré. En effet, dans les conditions valide et neutre, l’indice visuel attire l’attention à un endroit précis et, 300 ms après, la cible apparaît à cet endroit déjà exploré, le participant devant alors réengager son attention à ce même endroit. L’ensemble de ces résultats est tout-à-fait conforme à ceux décrits dans un tel paradigme d’indiçage spatial (Camus, 1996).

Troisièmement, il est apparu des résultats intéressants concernant les différences entre les groupes de participants. En effet, les patients SAD et SAG se sont révélés présenter des temps de réponse moyens plus importants que les participants contrôles, suggérant une difficulté globale dans cette tâche. Cet effet n’a pas interagi avec le côté de présentation de la cible comme nous en avions émis l’hypothèse, ce qui suggère une perturbation globale de l’orientation de l’attention chez les acouphéniques, mais n’a pas permis de mettre en évidence une difficulté due à une focalisation de l’attention du côté de l’acouphène perçu. Comme dans d’autres expériences, ce sont plus particulièrement les acouphéniques unilatéraux qui ont présenté plus de difficultés que les patients bilatéraux. Pourtant des études (Geoffray et Chéry-Croze, 1999) ont déjà montré que l’acouphène perçu dans les deux oreilles semble le plus gênant. Ceci tend quand même à suggérer un effet plus délétère de l’acouphène sur l’attention quand il est unilatéral et pourrait traduire une équilibration (ou un retour à l’équilibre) entre les deux oreilles, facilitée lorsque l’acouphène n’affecte pas un seul côté de l’espace perceptif mais globalement tout l’espace.

De manière surprenante, les participants simulés-acouphéniques gauches ont aussi montré des temps de réponse plus grands que les participants contrôles ou que les participants simulés-acouphéniques droits. Ainsi, la simulation de l’acouphène est apparue plus influente et perturbatrice quand elle est délivrée à l’oreille gauche plutôt qu’à l’oreille droite. Ce résultat paraît particulièrement difficile à expliquer ; cependant, les patients acouphéniques gauches sont aussi les moins performants de tous les patients acouphéniques testés, comme si la présence dans l’oreille gauche d’une stimulation auditive non pertinente pour la tâche rendait la détection particulièrement difficile, par rapport à la situation où elle est présente dans l’oreille droite. Ces deux groupes de participants SAG et SIM AG sont d’ailleurs ceux présentant le plus de variabilité dans les réponses. Cette plus grande variabilité des réponses traduit parfois une plus grande fatigabilité. Il se pourrait donc que la présence d’un acouphène réel ou simulé dans l’oreille gauche soit plus gênant que dans l’oreille droite. D’autres études ont déjà suggéré que l’oreille gauche était plus fragile que l’oreille droite (Chung, Wilson, & Gannon, 1983). Il se pourrait aussi que les participants aient plus de difficultés quand l’oreille gauche est perturbée par la présence continue d’une stimulation non pertinente, mais ceci reste une piste à explorer et les résultats obtenus n’autorisent pas à émettre une conclusion nette.

Enfin, les résultats de l’Expérience 8 ont révélé que les effets de facilitation et d’inhibition ne se traduisaient pas de la même façon dans tous les groupes de participants. Ainsi, leur analyse plus précise nous a permis de regrouper les participants selon trois groupes : les contrôles, les simulés-acouphéniques et les acouphéniques. Les participants contrôles ont présenté une facilitation dans la condition valide par rapport aux conditions neutre et non valide, mais pas de différence entre les conditions neutre et non valide (pas d’inhibition). Les participants simulés-acouphéniques ont présenté une facilitation dans la condition valide par rapport à la condition non valide uniquement, mais pas de différences entre les conditions valide et neutre ou entre les conditions neutre et non valide. Enfin, les patients acouphéniques ont présenté une inhibition dans la condition non valide par rapport à la condition neutre, et une facilitation dans la condition valide par rapport à la condition non valide, mais pas de différence entre les conditions neutre et valide. Pour synthétiser, le fait de présenter la cible à un endroit du champ visuel non indicé perturberait surtout les patients acouphéniques. Il faut noter que tous ces effets ont été obtenus indépendamment du côté de l’acouphène perçu et que nous n’avons donc pas pu vérifier nos hypothèses d’interaction entre le côté de l’acouphène, le coté d’apparition de la cible et la condition.