3.3.6.d Discussion générale

Deux expériences ont été élaborées afin de tester les mécanismes d’orientation de l’attention spatiale chez des patients acouphéniques, à l’aide d’un paradigme d’indiçage spatial. Leur but était de déterminer si la présence d’un acouphène, focalisant l’attention des patients sur l’oreille porteuse de celui-ci, pouvait entraîner des difficultés dans les processus de désengagement, déplacement et/ou réengagement de l’attention.

La première expérience, réalisée en vision, a pu mettre en évidence des effets de facilitation du traitement de l’information cible dans la condition valide et de perturbation dans la condition non-valide, reflétant les mécanismes impliqués dans l’orientation de l’attention spatiale visuelle. La mise en place progressive de ces processus a également été observée au travers de la diminution des temps de réponse entre l’ISI de 50 ms et ceux de 150, 250, et 350 ms. De plus, le phénomène d’inhibition de retour, caractérisé notamment par un ralentissement dans la détection des cibles en condition valide à partir de 300 ms après l’apparition de l’indice, a été observé. Les participants acouphéniques ont montré des temps de réponse globalement plus longs que les participants contrôles. Ils ont aussi présenté des effets d’inhibition dans la condition non valide par rapport à la condition neutre, mais pas d’effets de facilitation de la condition valide par rapport à la condition neutre, tandis que les participants contrôles ont, eux, montré des effets de facilitation entre ces deux conditions, mais pas d’inhibition entre les conditions non valide et neutre. Ceci suggère non seulement une difficulté globale des acouphéniques à réaliser cette tâche d’orientation de l’attention spatiale visuelle, mais aussi des perturbations spécifiques entraînant moins de bénéfices dans la condition valide et plus de coûts dans la condition non valide. Enfin, les résultats de l’Expérience 8 ont montré que la présence d’un acouphène réel ou simulé dans l’oreille gauche perturbait plus les participants que sa présence dans l’oreille droite.

La seconde expérience, menée en modalité auditive, n’a révélé aucun des effets escomptés. Les différences observables dans les temps de réponse obtenus dans les deux modalités semblent indiquer que les mécanismes d’orientation de l’attention spatiale auditive se mettraient en place plus tardivement. Ceci pourrait suggérer d’utiliser en modalité auditive des intervalles temporels plus longs entre la disparition du son indice et l’apparition du son cible, afin de mettre en lumière le décours temporel des mécanismes d’orientation de l’attention spatiale.

Quoique les mécanismes d’orientation de l’attention semblent présenter des caractéristiques communes entre les modalités visuelle et auditive, liées d’une part au fait que les processus d’orientation endogène sont centraux, et d’autre part à la proximité anatomique existant entre les représentations de l’espace sonore et visuel (respectivement les tubercules quadrijumeaux inférieurs et supérieurs), il existerait des mécanismes spécifiques à ces modalités, qui pourraient refléter l’organisation particulière de chacune de ces modalités, au niveau cortical notamment. En effet, certaines aires du cortex visuel montrent une organisation rétinotopique dans laquelle les informations sont distribuées en respectant la position relative de leur origine rétinienne, ainsi deux groupes adjacents de neurones corticaux vont traiter deux points adjacents de la rétine. De plus, le cortex visuel présente une ségrégation fonctionnelle des traitements avec la distinction entre un système ventral traitant les formes, et un système dorsal spécialisé dans les représentations des cartes visuo-spatiales. Ceci confère donc une importance particulière aux coordonnées spatiales de l’information visuelle traitée. Le cortex auditif, quant à lui, possède une organisation tonotopique, ce qui signifie que des groupes de neurones voisins répondent préférentiellement à la même gamme de fréquences sonores et sont organisés en « bandes d’isofréquences » depuis les basses fréquences jusqu’aux plus élevées le long du gyrus de Heschl. L’information auditive va ainsi être codée sur la base de ses caractéristiques fréquentielles. Le système auditif n’accorde donc pas la même importance aux caractéristiques spatiales de l’information que le système visuel, ce qui pourrait expliquer les différences observées entre ces deux modalités.

En conclusion, cette étude n’a pas permis de mettre en évidence, chez les patients acouphéniques, un déficit attentionnel central qui aurait été reflété par une difficulté dans les processus d’orientation de l’attention visuo-spatiale ou auditivo-spatiale. Néanmoins, en modalité visuelle, nous n’avons pas pu mettre en évidence le classique effet de facilitation dans la condition valide par rapport à la condition neutre, ce qui suggère tout de même une difficulté de ces patients, peut-être dans le mécanisme d’engagement de l’attention. D’autres études appliquant un protocole d’indiçage spatial qui utiliserait des tâches visuelles ou auditives plus complexes ainsi que des mesures électrophysiologiques telles que les potentiels évoqués, pourraient permettre d’analyser le décours temporel de l’orientation de l’attention chez les acouphéniques et de préciser cette probable difficulté à engager l’attention.