4.3 Rôle du système nerveux autonome dans l’habituation à l’acouphène

4.3.1 Orientation de la recherche : Expérience 10

Une intervention du système nerveux autonome (SNA) peut être envisagée en tant que système favorisant ou non l'habituation. En effet, nous pouvons tous faire l'expérience d'un acouphène transitoire, ceci implique que nous possédons tous un “générateur” périphérique ou central d'acouphène. Cependant, son existence n'est pas suffisante pour expliquer l'expression durable du symptôme de l'acouphène, celle-ci suppose la suppression préalable du ou des filtres rejetant habituellement les bruits d'origine interne lors de l'extraction des signaux du bruit de fond. Cette suppression pourrait résulter d'un déséquilibre du SNA qui, s'exerçant via le faisceau olivo-cochléaire et en particulier via le système efférent médian, permettrait au générateur périphérique de s'exprimer. D'après le modèle neurophysiologique de Jastreboff, chez les acouphéniques non habitués, la composante émotionnelle associée au signal de l’acouphène étant toujours aversive, elle induit une activation du SNA qui facilite et renforce sa détection. On peut donc envisager des réponses autonomes exagérées chez les patients acouphéniques invalidés par leur acouphène, d'autant plus que certains se plaignent de troubles de la sudation, de problèmes digestifs, ou encore de palpitations, manifestations physiologiques souvent liées à une situation de stress marqué. En résumé, la pérennisation de l'acouphène pourrait résulter d'un dysfonctionnement du SNA (stress, niveau d'éveil élevé, troubles du sommeil, fatigue) suffisamment important pour perturber le fonctionnement du système efférent de manière qu'il ne puisse plus réprimer le générateur d'acouphène. Une boucle de rétroaction positive s'installerait alors, la présence de l'acouphène renforçant le stress, bloquant ainsi les mécanismes d'habituation à l'acouphène et même éventuellement le renforçant.

De plus, sachant que l'hémisphère droit semble être plus efficace que l'hémisphère gauche dans la cardiomodulation (Zamrini et al., 1990) et plus impliqué dans les manifestations du SNA en général (Wittling, 1995), la présence d'un acouphène dans l'oreille gauche pourrait entraîner des réponses autonomes différentes de celles d'un acouphène droit. Ceci pourrait expliquer en partie pourquoi les acouphènes unilatéraux gauches sont rapportés comme étant plus gênants que les acouphènes droits (Hazell, 1987).

L'objectif de l’Expérience 10 est de tester l'hypothèse selon laquelle les patients non habitués à leur acouphène présenteraient un dysfonctionnement du SNA en comparaison avec des patients habitués à leur acouphène ainsi qu'avec des sujets contrôles (sans acouphène). Afin de contrôler au maximum les différences de perception entraînées par des stimulations très différentes et afin de mesurer les réactions neurovégétatives des patients en réponse à des stimuli écologiquement plausibles, la valeur émotionnelle des stimuli auditifs choisis pour cette étude résulte de leur signification (par exemple, des rires d’enfants, un chien aboyant de manière agressive) et non pas de leurs caractéristiques physiques (son fort ou faible, attaque rapide ou longue). Nous avons émis l’hypothèse que, lors de la présentation de ces sons à connotation sémantique émotionnelle positive, négative ou neutre, les réponses physiologiques enregistrées seraient plus importantes chez les sujets acouphéniques non habitués que chez les sujets habitués ou sains, en particulier pour les stimulations négatives. Enfin, on s'attendait à une différence selon l'oreille porteuse de l'acouphène : une stimulation auditive aversive devrait entraîner une activation du SNA encore plus forte chez les acouphéniques unilatéraux gauches que chez les acouphéniques droits.