4.3.3.d Discussion

L’objectif de cette expérience était de caractériser l’état de réactivité neurovégétative de patients acouphéniques à la présence de stimulations auditives sémantiques émotionnelles, selon la gêne due à l’acouphène et le côté où il est perçu. Leur réactivité a donc été comparée avec celle de participants contrôles sans acouphène. Une première condition de validité de cette étude était que l’analyse des différents indices de l’activité autonome permette de différencier les stimuli auditifs selon leur valence hédonique.

Les résultats ont montré que les stimuli présentés à l’ensemble des participants possédaient effectivement des valences hédoniques différenciées. Mais, parmi les cinq paramètres neurovégétatifs mesurés, seule la DPO a caractérisé les stimuli selon leur valence. En effet, les stimuli positifs ont engendré une DPO plus longue que les stimuli neutres ou négatifs, quel que soit le groupe (contrôle ou acouphénique) considéré. On peut remarquer qu’aucune différence significative n’a émergé de la comparaison entre les DPO engendrées par les stimuli négatifs et celles associées aux stimuli neutres. Ce sont donc les stimuli positifs qui semblent former un groupe à part. Ce résultat va à l’encontre d’autres études dans lesquelles ce sont les stimuli négatifs qui engendrent des DPO plus importantes (Alaoui-Ismaïli et al., 1997; Vernet-Maury et al., 1995). Cependant, ces études concernaient uniquement la modalité olfactive, or il est probable que les modalités auditive et olfactive, même si elles partagent un certain nombre de processus liés au traitement de l’émotion, ne font pas intervenir exactement les mêmes connexions transmettant les informations au SNA.

De plus, les stimuli auditifs choisis possédaient une valeur émotionnelle par leur signification. Ceci constitue une différence fondamentale entre l’étude présente et d’autres études associant émotion et SNA. Le traitement des stimulations émotionnelles sémantiques pourrait ne pas faire appel aux mêmes systèmes que celui des stimulations plus directement émotionnelles. Un tel double système de traitement des émotions (« purement émotionnel » et « émotionnel-sémantique ») a déjà été suggéré par des études de Versace et Padovan (Versace, Nevers, & Padovan, 2002). Le caractère émotionnel-sémantique des stimuli choisis a pu entraîner, chez les participants, des traitements différents de ceux impliqués par des stimulations plus purement émotionnelles. En particulier, l’allongement de la DPO pour les stimuli sémantiques positifs pourrait traduire une attirance vers ces stimuli et la remémoration de représentations liées à ceux-ci. Au contraire, les stimuli négatifs ou neutres pourraient entraîner plutôt un désintéressement. D’autre part, à la différence des stimuli négatifs purement émotionnels, les participants pourraient se détacher facilement des stimuli émotionnels-sémantiques dans une situation expérimentale contrôlée.

Les analyses qui ont porté sur les résultats des participants acouphéniques n’ont pas révélé beaucoup de résultats supplémentaires. En effet, seuls les stimuli positifs engendrent des DPO différentes de celles engendrées par les stimuli neutres, mais ils ne se différencient pas des stimuli négatifs. Cet effet semble dû au fait d’une part, que les DPO associées aux stimuli neutres sont petites et, d’autre part, que les stimuli négatifs ont entraîné des DPO un peu plus importantes que la moyenne de tous les sujets. Ceci tend à suggérer que les acouphéniques réagissent moins aux stimuli neutres et plus aux stimuli négatifs. Cependant, rappelons qu’aucune différence significative n’a été montrée pour l’analyse de la DPO entre les deux groupes (contrôles et acouphéniques), ce qui oblige à la prudence pour interprêter ce résultat qu’un plus grand échantillon de patients pourrait permettre de confirmer. Deuxièmement, contrairement à nos hypothèses, l’analyse de la DPO n’a révélé aucune différence significative selon la gêne ou le côté de l’acouphène perçu. Enfin, l’analyse des questionnaires a mis en évidence, chez tous les participants, des corrélations positives entre les scores de dépression et d’anxiété-trait, ainsi qu’entre ceux obtenus pour les deux formes d’anxiété (anxiété-état et anxiété-trait). Pourtant, des études (Bouvard & Cottraux, 1996) suggèrent que le DAS est bien capable de différencier les individus dépressifs des individus anxieux. Nos résultats pourraient par conséquent s’expliquer par le fait que très peu d’individus ont montré un score élevé au DAS. Plus intéressantes sont les corrélations positives entre les scores de sévérité de l’acouphène et ceux obtenus pour les deux formes d’anxiété, résultat en accord avec ceux d’autres études (Andersson et al., 2000b).

L’absence de variations significatives des paramètres neurovégétatifs différents de la DPO pourrait s’expliquer de plusieurs manières. La très grande variabilité des réponses a parfois eu pour conséquence de rapprocher les variations moyennes de zéro ; ceci a été le cas pour le paramètre de TC par exemple. D’après Ekman, Levenson et Frieson (1983), la TC serait davantage un indicateur qualitatif que quantitatif. Les variations négatives et positives, rapprochées des variations des autres paramètres neurovégétatifs, permettraient de déterminer un motif émotionnel (la colère ou la joie par exemple), ce qui n’était pas l’objectif recherché dans cette expérience. Les variations de FC obtenues à la suite de la présentation des stimuli auditifs ont été relativement faibles, par rapport à celles d’autres études rapportant des variations de FC deux à trois fois plus grandes (Alaoui-Ismaïli et al., 1997). Ceci pourrait expliquer l’absence de différence significative entre les FC engendrées par les stimuli de différentes valences et renforce l’idée que l’impact émotionnel des stimuli choisis pourrait être différent de celui des stimuli choisis dans d’autres études ou d’autres modalités sensorielles. De plus, comme nous l’avons souligné précédemment, le caractère émotionnel-sémantique des stimulations auditives choisies ici leur a certainement conféré un statut particulier qui a pu engendrer un traitement cognitif très spécifique. Ceci pourrait aussi en partie expliquer pourquoi les variations en REDp observées ont toujours été positives, alors qu’une variation négative peut être engendrée suite à une forte émotion (Vernet-Maury et al., 1996). Enfin, les réponses en ISC dépendent de la même commande que les réponses en REDr (Vernet-Maury et al., 1991). On aurait donc pu s’attendre à des variations similaires de ces deux paramètres, ce qui n’a pas été le cas. Toutefois, la REDr apparaissant toujours, dans les études des indices neurovégétatifs, comme le paramètre le plus discriminant, l’observation de variations de la DPO selon la valence des stimuli est un argument en faveur de la validité de notre étude.

En conclusion, quoique les patients invalidés par leur acouphène rapportent souvent des problèmes liés au système neurovégétatif, il s’est avéré difficile d’objectiver chez eux une importante réactivité corporelle suite à la simple écoute de stimulations auditives comportant une signification émotionnelle. De très faibles différences sont apparues entre les patients testés et les participants contrôles ; cependant, la petite taille du groupe de patients testés et la très grande variabilité des réponses nous oblige à la prudence. Augmenter les effectifs paraît nécessaire pour obtenir des effets stables et plus convaincants. Il serait de plus intéressant de pouvoir comparer les résultats des acouphéniques sévères et d’individus souffrant d’anxiété afin de vérifier la spécificité des réactions neurovégétatives dues à la présence de l’acouphène.