4.4.3 Etude du jugement hédonique chez des individus souffrant d’acouphènes à l’aide d’un paradigme d’écoute dichotique de sons à connotation émotionnelle

4.4.3.a Introduction

L’objectif de l’Expérience 11 était triple : savoir si les patients acouphéniques, invalidés par leur acouphène, 1/ présentent une détection facilitée des stimuli auditifs émotionnels négatifs, 2/ jugent les stimuli auditifs plus négatifs que ne le font des personnes non invalidées par un acouphène, et 3/ présentent des effets différents selon le côté de l’acouphène perçu.

En effet, les études d’Axelsson (1996) et Geoffray et Chéry-Croze (1999) permettent de penser que, si la forme la plus invalidante du symptôme semble être l’acouphène bilatéral, les acouphènes perçus dans l’oreille gauche sont, eux, ressentis comme plus gênants que ceux perçus dans l’oreille droite. Ceci peut s’expliquer, comme nous l’avons déjà souligné au Chapitre I, par la plus grande fragilité de l’oreille gauche par rapport à l’oreille droite, mais aussi comme une conséquence des spécialisations hémisphériques fonctionnelles. En effet, un des modèles les plus influents concernant l’asymétrie hémisphérique des fonctions liées au traitement de l’émotion, postule que chaque hémisphère cérébral serait spécialisé dans le traitement des stimuli possédant une valence émotionnelle donnée : l’hémisphère droit serait spécialisé dans le traitement des stimuli négatifs et l’hémisphère gauche dans celui des stimuli positifs. Cette idée se fonde sur des observations cliniques, des données expérimentales et électrophysiologiques (Davidson, 1995), ainsi que sur des données d’imagerie cérébrale (Canli, Desmond, Zhao, Glover, & Gabrielli, 1998). Bien que cette hypothèse d’une spécialisation hémisphérique selon la valence des stimuli reste très controversée (Habib, 1998; Royet et al., 2000), elle demeure cependant toujours la théorie dominante concernant le traitement des informations émotionnelles.

Si cette théorie est bien vérifée et que l’hémisphère droit est plus impliqué que l’hémisphère gauche dans le traitement des stimuli négatifs, elle permettrait d’expliquer pourquoi un acouphène perçu dans l’oreille gauche et donc traité par l’hémisphère droit, est plus invalidant qu’un acouphène perçu dans l’oreille droite (Axelsson, 1996; Geoffray & Chéry-Croze, 1999). Pour vérifier cette hypothèse, une expérience d’écoute dichotique de sons a été construite. Seules quelques études utilisant le paradigme d’écoute dichotique ont déjà été publiées (Bryden, Free, Gagné & Groff, 1991; Bryden & MacRae, 1988; Ley & Bryden, 1982). Elles se sont servies de phrases ou de mots dont on faisait varier la prosodie (phrases prononcées par des voix gaie, triste, colérique ou neutre). Aucune d’entre elles n’a utilisé des stimuli non verbaux pour étudier la latéralité auditive du traitement émotionnel. Il est en effet plus difficile d’élaborer des stimuli auditifs qui possédent une valeur affective marquée quand ils sont non verbaux. En particulier, l’enjeu est de sélectionner des stimuli dont la valeur affective n’est pas confondue avec un facteur perceptif. Or les bruits « négatifs » sont souvent caractérisés par un temps d’attaque bref et/ou un tempo rapide ; leur caractère désagréable peut résulter de leur hauteur (bruits stridents). En revanche, les bruits « positifs » sont plutôt caractérisés par un temps d’attaque plus long et/ou un tempo lent ; ils peuvent être perçus comme plus mélodieux. En dépit de cette difficulté, nous avons choisi d’utiliser des stimuli auditifs émotionnels non verbaux dans une tâche d’écoute dichotique construite pour tester l’hypothèse de l’existence d’un biais de négativité facilitant la détection des informations négatives et favorisant un ressenti négatif vis-à-vis des stimuli même faiblement négatifs. Afin de pallier le problème de la confusion entre un facteur de valence émotionnelle et un facteur physique (structure temporelle en particulier) de ces sons, nous avons sélectionné uniquement des sons de l’environnement possédant une signification précise (un chat qui ronronne, un homme qui hurle, une clef qui tourne dans une serrure, etc…). De plus, afin que la tâche d’écoute dichotique demeure suffisamment difficile, les sons devaient être courts tout en restant parfaitement identifiables.

Les résultats attendus sont exposés ci-après : premièrement, admettant l’existence d’une spécialisation hémiphérique fonctionnelle dépendant de la valence des stimuli, nous avons émis l’hypothèse d’un avantage de l’OD/HG pour le traitement des stimuli positifs et de l’OG/HD pour celui des stimuli négatifs. Deuxièmement, les patients acouphéniques devraient présenter de meilleures performances que les participants simulés-acouphéniques et que les contrôles face aux stimuli négatifs, mais aucune différence ne devrait être observée entre les groupes pour le traitement des stimuli positifs. Troisièmement, l’avantage de l’OG/HD, éventuellement obtenu en réponse aux sons négatifs, serait exacerbé chez les acouphéniques gauches et diminué chez les acouphéniques droits.