4.5 Synthèse et conclusions

L’objectif des Expériences 10 et 11 était de caractériser les réponses émotionnelles des patients acouphéniques selon l’oreille dans laquelle l’acouphène est perçu et selon le degré de gêne qu’il engendre. Deux champs d’investigation ont été analysés : les réactions corporelles, reflêtées par les mesures de cinq paramètres neurovégétatifs, et les réactions cognitives, traduites par l’évaluation subjective de la valeur affective de stimuli présentés dans la modalité auditive. Nous avions émis l’hypothèse que les patients invalidés par leur acouphène présentent des réactions favorisant la détection des stimulations négatives, donc le sentiment négatif associé à leur perception fantôme, ce qui pourrait renforcer sa détection consciente et sa pérennisation.

L’Expérience 10 a suggéré que les patients acouphéniques présentent une réactivité corporelle forte aux stimuli auditifs positifs et négatifs, mais plus faible aux stimuli neutres. Ces résultats sont en faveur d’un plus grand éveil corporel des acouphéniques face à des stimulations négatives.

Dans l’Expérience 11, les patients acouphéniques ont présenté des temps de réponse plus lents par rapport aux autres participants quelle que soit la valence des stimuli. De plus, nous avons observé que plus l’acouphène est sévère, plus les temps sont longs. En ce qui concerne les différences interhémisphériques, si les acouphéniques gauches ont montré un avantage de l’OG/HD et les acouphéniques droits de l’OD/HG, pour le traitement des stimuli positifs, aucune différence n’a été observée pour le traitement des stimuli négatifs. En revanche, la présence d’une simulation d’acouphène a entraîné un ralentissement de la réponse aux stimuli négatifs présentés dans l’oreille simulée. Ceci suggère que la perception auditive fantôme n’entraîne pas de détection plus rapide des stimuli négatifs. Au contraire, la présence d’un acouphène réel influe sur le traitement des stimulations positives en facilitant leur traitement quand celles-ci sont présentées dans l’oreille acouphénique, alors que celle d’un acouphène simulé perturbe le traitement des stimuli négatifs en ralentissant leur traitement lorsqu’ils sont entendus dans l’oreille simulée.

Pour synthétiser, les patients acouphéniques semblent réaliser le traitement cognitif (catégorisation) des stimulations émotionnelles auditives négatives, d’une manière similaire aux participants contrôles, même si leurs performances globales sont ralenties. En fait, ils ne présentent pas de biais de traitement favorisant la détection de ces stimulations négatives ou renforçant leur caractère négatif quand elles sont présentées dans l’oreille acouphénique. En revanche, et de manière inattendue, ils semblent être plus performants pour traiter les stimulations positives quand celles-ci sont présentées dans leur oreille acouphénique plutôt que dans leur oreille saine. Cependant, leur réactivité corporelle face aux stimulations auditives émotionnelles semble ne pas se différencier suivant leur valence. Tout se passe comme s’ils effectuaient la même évaluation émotionnelle que des individus sans acouphène, tout en possédant un degré de réactivité corporelle, pour les stimuli négatifs, légèrement plus important.

Dans les théories relatives au traitement de l’émotion, on distingue en général trois composantes : l’expression émotionnelle, l’évaluation émotionnelle et l’expérience émotionnelle. Il est facile de mesurer l’évaluation émotionnelle des individus, notamment par des jugements de la valeur affective de stimuli comme dans les Expériences 10 et 11. Cependant, cette évaluation telle qu’elle est réalisée généralement (ainsi que dans nos études) correspond plus à une simple catégorisation cognitive qu’à une véritable mesure des traitements émotionnels des participants. Il était peut-être un peu simpliste de croire qu’avec des stimuli standardisés pour un échantillon d’individus, on pouvait vraiment mesurer chez des acouphéniques l’expérience émotionnelle, c’est-à-dire l’émotion évoquée par la présence d’un stimulus. D’ailleurs, de plus en plus de chercheurs préconisent d’utiliser des stimuli ayant un caractère émotionnel chez un individu donné (photographies de membres de sa famille, par exemple), donc véritablement efficaces (Bartels & Zeki, 2000). Ceci pourrait peut-être expliquer pourquoi il existe une telle variabilité dans les réponses des participants, pas seulement acouphéniques, lorsque l’on essaie de mesurer les indices du traitement émotionnel, et suggérer de nouvelles pistes de recherche utilisant des stimulations qui provoquent, de façon certaine, une expérience émotionnelle.