Une focalisation de l’attention sur l’acouphène ?

Pour savoir si un facteur attentionnel intervient dans la pérennisation de l’acouphène, nous avons entrepris une investigation des processus d’orientation de l’attention chez les acouphéniques, menée à travers cinq expériences (Expériences 5 à 9). Nous avions émis l’hypothèse que la présence de l’acouphène dans une oreille entraîne une focalisation de l’attention sur ce côté du champ perceptif ce qui pourrait engendrer des difficultés chez ces patients pour orienter leur attention vers l’autre côté. Les résultats obtenus suggèrent, d’une part, une facilité, chez les acouphéniques unilatéraux, à ne considérer que les informations parvenant à l’oreille acouphénique et à ignorer celles de l’oreille saine, ainsi que, d’autre part une perturbation générale de l’engagement de l’attention en modalité visuelle. Ils sont donc globalement en faveur de l’hypothèse d’une focalisation de l’attention sur l’acouphène, à savoir qu’il apparaît difficile, pour les patients acouphéniques, de ne pas traiter le signal de l’acouphène. Ce phénomène pourrait entraîner une surcharge des traitements à l’origine d’une diminution des performances cognitives. La perception de l’acouphène agirait comme un bruit à l’intérieur du système de traitement de l’information.

Dans ces conditions, on peut imaginer que l’individu possédant un acouphène se trouve en permanence dans une situation de double tâche, dont l’une consiste à traiter le signal aberrant à l’origine de la perception fantôme. Ceci peut entraîner des perturbations du traitement de l’autre tâche à réaliser, perturbations d’autant plus grandes que celle-ci est demandeuse d’attention et va nécessiter des ressources déjà engagées dans le traitement de l’acouphène, rendant ce dernier gênant. Or, les modèles du traitement de l’information comme celui de l’allocation des ressources d’Ellis et Ashbrook (1988) postulent l’existence d’un réservoir attentionnel de capacité limitée. Dans leur perspective, chaque tâche en cours nécessite une certaine quantité de ressources attentionnelles, les situations de double tâche constituent donc des conditions de compétition entre deux traitements. Par ailleurs, un traitement émotionnel va, lui aussi, demander une allocation de ressources et donc contribuer à une diminution de l’attention disponible pour les autres traitements. Par conséquent, le traitement de l’acouphène sera encore plus demandeur d’attention s’il possède une connotation émotionnelle. Même si ce modèle d’allocation des ressources reste discutable, notamment parce qu’il est très difficile à tester expérimentalement et donc à valider, nous pouvons envisager que la perception d’un acouphène sera d’autant plus perturbante qu’il possède une charge émotionnelle forte.

Comment expliquer le rôle de l’attention dans la pérenisation de l’acouphène ? Par définition, l’habituation consiste en la faculté à ne plus percevoir consciemment l’acouphène, tandis que la pérennisation reflète l’obligation de traiter son signal. Dans les premiers temps où un acouphène est perçu, il possède, comme nous l’avons déjà souligné, des caractéristiques qui engendre son traitement par le système cognitif (comme tout stimulus nouveau et/ou négatif). Ceci peut perturber les autres traitements, surcharger la mémoire de travail, et par conséquent rendre l’acouphène plus gênant. En retour, l’acouphène, gênant, va orienter le système attentionnel sur lui et être maintenu dans le focus de l’attention, contraignant le système à effectuer son traitement. L’ensemble de ces effets constituent des boucles de rétroactions auto-entretenues conduisant à une pérennisation du symptôme.