Un biais de négativité chez les patients acouphéniques ?

La question de savoir s’il existe, chez les acouphéniques invalidés par leur acouphène, une augmentation des réactions à des stimulations émotionnelles négatives a été testée dans deux expériences (Expériences 10 et 11). Nous avions émis l’hypothèse que la présence d’un acouphène invalidant pourrait entraîner un biais renforçant le traitement des stimuli auditifs négatifs, ce qui se traduirait par une réactivité corporelle exacerbée et une détection facilitée des stimuli négatifs. Les résultats n’ont pas permis de conclure à l’existence d’un biais de négativité dans le traitement des stimulations émotionnelles auditives chez ces patients, cependant ils suggèrent tout de même une légère exacerbation de la réactivité corporelle face à des sons sémantiquement négatifs.

Le champ de l’émotion est très vaste et très difficile à étudier. Il ne peut pas se réduire à l’analyse du jugement hédonique ou des variations neurovégétatives des individus. Le raisonnement sur lequel nous nous sommes appuyée pour rechercher l’existence d’un biais dans le traitement émotionnel chez les patients acouphéniques est sans doute trop simpliste. Nous avons cherché à étudier leur expérience émotionnelle dans le dessein d’expliquer des rétroactions entraînant la perception de l’acouphène en tant que stimulus aversif, et donc sa pertinence pour le système de traitement central, mais nous n’avons réussi qu’à étudier leur évaluation émotionnelle. Pourtant, en choisissant de nous intéresser aux variations des paramètres neurovégétatifs en réponse à des stimulations auditives émotionnelles, nous pensions nous rapprocher d’une mesure de l’expérience émotionnelle. Au vu de nos résultats, il est possible que les stimuli auditifs choisis et standardisés, c’est-à-dire émotionnels pour un ensemble d’individus, n’aient pas pu évoquer de réelle expérience émotionnelle chez un certain nombre d’entre eux. De plus, l’expérience des patients face à leur acouphène ou aux stimulations auditives de l’environnement, est sans doute encore différente, émotionnellement parlant, de la réactivité corporelle mesurée dans notre étude. Nous devrons à l’avenir nous attacher à présenter des stimulations auditives permettant d’évoquer une réelle émotion chez les participants, comme des morceaux de musique choisis pour évoquer de fortes réponses émotionnelles (Blood & Zatorre, 2001).

Cependant, il se peut aussi que notre hypothèse d’un biais de négativité, chez les acouphéniques, dans le traitement des stimuli émotionnels soit fausse. On peut imaginer que la présence d’un acouphène invalidant n’entraîne pas une exacerbation des réactions à toutes les stimulations émotionnelles négatives, mais simplement une plus grande difficulté à gérer la présence de cet acouphène. L’implication de facteurs émotionnels dans la pérennisation du symptôme se réduirait alors à l’acquisition, par celui-ci, d’une signification émotionnelle négative, à l’origine d’un renforcement de la détection automatique du signal neuronal associé à l’acouphène.