Conclusion et perspectives

La pérennisation de l’acouphène, perception auditive fantôme, est en partie sous-tendue par les traitements cognitifs impliqués dans sa perception. Les modèles qui proposent une explication de ce devenir pathologique du symptôme mettent tous l’accent sur le rôle du SNC à travers différents sous-systèmes (auditif, attentionnel, émotionnel). Les précisions apportées par Andersson (2002b) au modèle développé par Jastreboff (1990) nous paraissent plutôt pertinentes à la fois d’un point de vue théorique, c’est-à-dire pour une meilleure compréhension des mécanismes favorisant la pérennisation du symptôme, et d’un point de vue expérimental, pour tester l’hypothèse d’état-changeant.

Mais, insistons encore sur le fait que l’acouphène ne se réduit pas à un simple bruit dans une oreille ou les deux, mais est souvent associé à d’autres problèmes. Ceci pose deux questions fondamentales. Premièrement, comment choisir la population de référence à comparer (avec ou sans simulation) à celle des acouphéniques : faut-il choisir des individus possédant une perte auditive sans acouphène, des personnes anxieuses et/ou dépressives, des individus combinant plusieurs de ces problèmes ? Deuxièmement, comment choisir les patients acouphéniques à tester, sur quel(s) critère(s) : acouphène de même origine, même type de bruits, même gêne, même traitement médicamenteux, etc… ? Le contrôle de tous ces paramètres, s’il permet de comparer sereinement les différents participants, rend malheureusement le travail de recherche excessivement long et malaisé à généraliser. Nous nous sommes, comme d’autres, heurtés à ce problème et nous avons fait des choix d’exclusion de certains patients et d’inclusion de certains contrôles souvent difficiles à remplir, d’où un taux d’inclusion bas et parfois aussi des résultats difficiles à interpréter. De plus, il faut considérer qu’un acouphène invalidant engendre souvent de graves problèmes d’insomnies (de 25 % selon Sanchez & Stephens, 1997, à 71 % selon Andersson, Lyttkens, & Larsen, 1999, des patients consultant pour des problèmes d’acouphènes souffrent de problèmes de sommeil). Or, la privation de sommeil entraîne des effets néfastes sur la cognition, notamment sur l’orientation de l’attention (McCarthy & Waters, 1997).

Malgré ces difficultés, nous restons persuadée que la psychologie expérimentale peut apporter de nouvelles questions et de nouvelles réponses pour comprendre le devenir, pathologique ou non, de l’acouphène. Dans cette thèse, nous avons délibérément cherché à explorer des processus cognitifs variés. Les résultats apportent, bien entendu, de nombreuses nouvelles hypothèses de travail qu’il faudra tester. Comment l’acouphène modifierait-t-il l’organisation de fonctions cognitives ? Quelles fonctions seraient affectées ? Pourrait-on mettre en évidence, chez les acouphéniques, un décours temporel original de l’orientation de l’attention ? Un acouphène unilatéral engendrerait-il des traitements différents de ceux d’un acouphène bilatéral ? Les acouphéniques favoriseraient-ils le traitement des informations relatives à leur acouphène ? Chercher à répondre à chacun de ces questionnements devrait contribuer à une meilleure compréhension du symptôme et, en relation avec les avancées d’autres disciplines de recherche s’intéressant au même symptôme, à l’élaboration ou au perfectionnement de l’arsenal thérapeutique destiné à soulager les patients.