1.3.1. Modèle de la Psychasthénie et des obsessions de Janet

1.3.1.a. La notion de baisse de tension psychologique

Janet (1903) est le premier à avoir donné une description claire du trouble obsessionnel-compulsif. Il a sorti les phobies et les obsessions du cadre des monomanies et par la même de la folie, des manifestations délirantes et de la théorie de la dégénérescence mentale. Il assigne un rôle central à un état psychologique et trait de personnalité particulier, un état de tension psychologique nommé la psychasthénie, dans l’étiologie de ce trouble ainsi que dans l’ensemble des pathologies névrotiques (phobies, états anxieux aigus et chroniques), en dehors de l’hystérie. Son modèle est un modèle de la tension psychologique. Il a été appliqué au trouble obsessionnel-compulsif à partir de trois cents observations d’obsessions-compulsions relatées avec minutie mais n’a pas été testé empiriquement.

Le concept de psychasthénie est défini comme un manque d’énergie mentale correspondant à un déficit, acquis et/ou inné. Janet explique la genèse des pensées obsédantes comme étant la conséquence d’une baisse de tension psychologique, l’état psychasthénique, entraînant la libération du contenu des structures mentales inférieures dont relèvent les symptômes déficitaires et l’émancipation d’idées fixes observées dans le TOC, et entravant le fonctionnement de l’activité intellectuelle supérieure de synthèse. La baisse de tension psychologique est reflétée dans les sentiments d’incomplétude. Les actions élaborées ne peuvent être par conséquent réalisées et cette baisse de tension psychologique entraîne la libération d’actes « inférieurs », peu coûteux en énergie et relatifs à des patterns moteurs stéréotypés.

Le point central de l’état psychasthénique, à l’origine des symptômes obsessionnels-compulsifs, est donc un sentiment d’incomplétude et d’imperfection. Les actions, les comportements ainsi que les pensées sont perçus comme étant imparfaits, incomplets, emprunts de doute et d’incertitude quant à leur finalité. L’indécision propre à l’état psychasthénique conduit à des comportements de procrastination ainsi qu’à des trouble de l’attention et de la concentration. Le sujet éprouve par ailleurs des difficultés à éprouver des émotions positives. Ces manifestations psychasthéniques peuvent évoluer en sévérité et conduire à une deuxième phase d’évolution du trouble dans laquelle le sujet se sent forcé, de manière irrésistible et incontrôlable, de penser à certaines choses et d’accomplir certains actes. Cette seconde étape est caractérisée par la survenue de ce que Janet nomme les “  processus obsédants  ” et les “ agitations forcées  ”. Les agitations peuvent être de trois types : mentales (“ manies ” et ruminations), motrices (tics, rituels) et/ou émotionnelles (phobies, anxiété). Janet décrit enfin un troisième stade d’évolution du trouble qui est celui des “  obsessions et des compulsions  ”. Ces termes sont réservés pour des idées et des impulsions qui sont facilement évocables et dominent la vie du patient. A ce niveau, Janet classe les obsessions en cinq catégories selon leur contenu : obsession du sacrilège, obsession du crime, obsession de la honte de soi, de la honte du corps et obsessions hypocondriaques. Il définit également les caractéristiques générales de toutes les obsessions : la peur de l’obsessionnel ne porte pas sur des objets extérieurs, comme c’est le cas dans les phobies, mais sur les actes du sujet.

Dans le modèle de Janet, deux groupes de symptômes sont finalement envisagés : les “ idées obsédantes ” qui évoluent vers les obsessions, qui sont endogènes et dont le contenu thématique renvoie toujours à la crainte associée à une action personnelle perçue comme potentiellement mauvaise et les “ agitations forcées ” qui évoluent vers les compulsions et qui sont des actes mentaux, moteurs ou émotionnels.

L’état psychasthénique observé dans le TOC s’accompagne également d’un amoindrissement de l’émission de comportements adaptés, novateurs et d’exploration, d’une perturbation des processus de perception du temps, en particulier du temps présent ainsi qu’une perturbation de la pensée logique et des processus de traitement de l’information conduisant à une perception de la réalité environnante sans incertitude. Ce déficit des processus de pensée logique et rationnelle laisse place à des processus mentaux tels que la rêverie, la pensée magique et à la survenue d’émotions inadaptées et mal coordonnées (Cottraux, 1998).

Janet ne s’inscrit donc pas dans une explication émotionnelle du trouble. L’anxiété est considérée comme secondaire à la survenue des pensées obsédantes. Par ailleurs, il est sans doute le premier à avoir rapprocher la pensée obsédante de la pensée normale. Seules la durée, la répétition et la fixité représentent des critères différentiels entre ces deux modes de pensée. Les impulsions, en particulier agressives, violentes et/ou sexuelles relevées chez les patients étudiés sont considérées comme des représentants de la perte de contrôle de la pensée consciente volontaire et de l’émergence de contenus de pensée provenant des structures mentales inférieures et subconscientes.