1.3.2.b. Notion d’impulsion et relation avec le concept d’impulsivité

L’approche freudienne n’a que peu abordé la question des comportements impulsifs et ne fait pas référence à la notion d’impulsivité, qui est une notion plus récente issue des modèles psychobiologiques (Adès et Lejoyeux, 1999). Freud a seulement abordé le concept d’impulsion (du latin impulsio, impello : “je pousse”), définie comme une décharge incoercible et immédiate d’un état de tension émotionnelle dans un acte, répondant à la satisfaction immédiate d’un besoin impérieux ou d’un stimulus significatif. Cette décharge est incontrôlée, soudaine dans sa réalisation, imprévisible. Elle est irrationnelle, soumise à des motivations subjectives et inconscientes. Elle est par ailleurs considérée comme un processus à la base du psychisme, donc normale chez l’enfant : la non satisfaction immédiate d’un besoin et la frustration qui en résulte détermine un état de tension vécu comme un traumatisme menaçant et dangereux. C’est au cours du développement psychique ultérieur que l’acquisition de la pensée rationnelle qui coordonne et hiérarchise l’acte et diffère la réaction motrice permet de contrôler les impulsions. Toutes les agressions environnementales qui conduisent à un abaissement du seuil de ce contrôle, en fixant l’affectivité à des stades de développement archaïques, fait apparaître l’impulsion chez le sujet adulte. Selon la théorie originale des pulsions de Freud, l’impulsion est interprétée comme l’expression comportementale ou motrice soudaine, non préméditée et irrépressible d’une pulsion primaire et brute agressive et/ou sexuelle visant à la réduction de l’état de tension pulsionnelle originelle.

Freud a, par ailleurs, cherché à intégrer le concept d’impulsion dans son modèle des topiques (le Ça, le Moi et le Surmoi) : l’impulsion constitue une représentation inconsciente provenant du Ça et survenant à la conscience (le Moi) du fait d’un échec des mécanismes de censure et de refoulement, représentation qui engendre un décalage problématique pour le sujet entre les instances du Moi et celles du Surmoi. Il postule l’existence d’un type de personnalité “ érotique ”, dominé par les pulsions inconscientes provenant du Ça. Les sujets présentant des impulsions et des passages à l’acte impulsifs sont catégorisés dans ce type de personnalité, dominés qu’ils sont par des exigences pulsionnelles, non contrôlables. Le passage à l’acte constitue en fait une manoeuvre défensive contre l’émergence d’un conflit psychique, qui ne peut être mentalisé, sublimé et verbalisé. En ce sens, il a également une valeur communicative importante. Des différences interindividuelles existent en rapport avec la faiblesse supposée des instances psychiques (Moi et Surmoi) : 1/ une faiblesse du Surmoi conduisant à des comportements agressifs et des passages à l’acte justifiés rationnellement dans l’après-coup et dont sont absents les sentiments de culpabilité et les remords, 2/ les comportements du même type pour lesquels le sujet éprouve de la honte, des remords et de la culpabilité, enfin 3/ les comportements agressifs retournés contre soi, les automutilations, qui n’impliquent pas la notion de gratification directe d’une pulsion mais traduisent le soulagement d’une tension interne insupportable pour le sujet dans un agir retourné contre soi.

Dans le modèle de relations à l’objet, les impulsions et les comportements agressifs sont à nouveau expliqués en référence au point de vue topique par une défaillance dans le développement du Moi et/ou du Surmoi. Les impulsions constituent des réactions aux frustrations et aux privations émises par les adultes protecteurs. Dans le développement psychique normal, la balance entre expériences de frustration et de gratification permet à l’enfant de développer la capacité d’anticipation de la gratification et de tolérance à un délai, qui conduit à la mise en place d’un processus d’autorégulation des affects. La dominance d’expériences de frustrations est nuisible et peut rendre compte de comportements agressifs ultérieurs. Kernberg (1975, 1976) (cité dans Vaughan et Salzman, 1996) suggère ainsi que lorsque les expériences de frustrations ont dominé les expériences précoces de l’enfant avec les adultes “protecteurs” (situations de carence affective, de maltraitances, de manque affectif, d’abandon), les pulsions agressives deviennent supérieures et inhibent les capacités de l’enfant à intégrer de manière non clivée les représentations bonnes et mauvaises de soi et des autres. Dans ce cas, l’élaboration ultérieure de défenses primaires telles que identification projective, clivage, déni, idéalisation/dévaluation conduit à une faible tolérance à l’anxiété et un faible contrôle des pulsions. De la même manière, une surabondance d’expériences de gratification empêche le développement de la capacité à supporter des frustrations et un délai de la gratification. L’enfant peut-être alors incapable de supporter des affects négatifs ou de patienter pour satisfaire des affects positifs. Dans les deux cas cependant, les impulsions et les comportements agressifs surviennent du fait d’une incapacité à tolérer des sentiments ambivalents (d’amour et de haine) chez une même personne (Perry, 1996) et par une perturbation des processus d’autorégulation des émotions.

Ces deux approches psychanalytiques se recoupent. Les impulsions et les comportements agressifs en tant que manifestation psychopathologique peuvent servir deux fonctions :

  1. ils peuvent représenter la décharge d’une pulsion primaire agressive et/ou sexuelle, source d’un conflit intrapsychique non verbalisable.

  2. ils peuvent traduire également la modification et le soulagement d’un état affectif interne intolérable et la mise en acte d’une relation à l’objet spécifique.

Impulsion et impulsivité comportementale sont donc fortement dépendantes de la dimension émotionnelle. Elles traduisent un déséquilibre entre la force des pulsions et des affects et la capacité des instances psychiques (Moi et Surmoi) à les contenir et à les moduler (Vaughan et Salzman, 1996). La décharge d’une tension dans l’agir constitue un mode particulier de défense qui permet de maintenir l’homéostasie psychique chaque fois que l’équilibre économique est menacé (Adès et Lejoyeux, 1999). Les actes impulsifs et agressifs court-circuitent l’activité psychique et constituent une stratégie de gestion des émotions, des états d’angoisse et d’anxiété. Ils sont sous-tendus par la pulsion de mort et s’inscrivent dans la dynamique de la compulsion de répétition.