1.3.4. Modèles cognitifs

L’approche cognitive est une théorie des schémas de pensées. Les modèles cognitifs du TOC sont basés sur une hypothèse générale de normalité de l’existence des pensées intrusives et d’une perturbation des interprétations des pensées obsédantes chez les sujets qui développent un TOC. Une continuité entre phénomènes obsessionnels normaux et pathologiques est donc postulée

L’obsession ou pensée intrusive, définie comme une pensée d’origine interne qui interrompt l’activité cognitive ou motrice en cours, qui apparaît difficile à contrôler et est ressentie comme génératrice d’anxiété et d’inconfort (Rachman, 1981), a été démontrée expérimentalement comme normale. Plus de 80 % des sujets contrôles présentent en effet des obsessions et il n’existe pas de différence de contenu entre les obsessions normales et pathologiques. Les différences se situent au niveau de leur fréquence moindre, de leur durée limitée et le fait qu’elles peuvent être rejetées sans difficulté chez le sujet normal (Rachman et Da Silva, 1978 ; England et Dickerson, 1988 ; Niler et Beck, 1989 ; Salkovskis, 1990 ; Freeston et Ladouceur, 1993 ; Bouvard et Cottraux, 1997). La différence fondamentale entre obsession normale et pathologique résiderait dans l’interprétation qui est faite de l’occurrence et du contenu de ces pensées.

Les modèles les plus utilisés actuellement dans la cadre de la recherche clinique ainsi que thérapeutique sont ceux développés par Salkovskis (Salkovskis, 1985 ; Salkovskis et coll., 2000) et Rachman (Rachman, 1998). Ils distinguent les pensées intrusives (ou obsessions) des pensées automatiques négatives qui constituent une interprétation et une appréciation négative de la pensée intrusive et qui sont reliées à des schémas cognitifs et des croyances particulières et enfin les pensées et/ou comportements neutralisants (les compulsions comportementales ou mentales). L’idée centrale de ces modèles est que la pensée obsessionnelle constitue un stimulus interne dont l’interprétation négative conduit à une réponse émotionnelle d’angoisse et d’anxiété, secondairement soulagée par la réalisation des compulsions. Ces dernières, non seulement, réduisent l’intensité de la réponse émotionnelle, mais préviennent également la réalisation du contenu de l’interprétation négative. Le trouble obsessionnel-compulsif est ainsi apparenté à un trouble idéique plutôt qu’émotionnel.

La pensée intrusive devient donc un stimulus interne source de perturbation émotionnelle uniquement dans le cas d’une interaction entre cette pensée intrusive et des schémas cognitifs spécifiques. Les études cliniques expérimentales suggèrent que les sujets obsessionnels présentent effectivement des schémas cognitifs de culpabilité (Rachman, 1993 ; Shafran, Watkins et Charman, 1996) et de responsabilité excessive (Salkovskis, 1985 ; Loptaka et Rachman, 1995 ; Yao, 1999 ; Shafran, 1997). Les sujets obsessionnels reconnaissent avoir plus de croyances ou de pensées concernant la responsabilité que des sujets contrôles, les différences entre les deux populations résidant essentiellement dans le traitement de l’information en terme de gravité, de probabilité et de pouvoir de contrôle et de maîtrise du sujet sur les événements (Bouvard et Cottraux, 1997). Certaines études, cependant, ne confirment pas complètement l’hypothèse de schémas cognitifs de responsabilité excessive en tant que facteur étiologique des manifestations obsessionnelles et compulsives. Les études ayant recours à des procédures expérimentales en laboratoire ne montrent pas de biais dans les processus de traitement de l’information (supposé provoqué par l’activation de ces schémas) pour des stimulations neutres (Ladouceur et coll., 1995 ; Jones et Menzies, 1997). L’activation des schémas apparaît préférentiellement associée au traitement de stimulations en rapport avec les préoccupations obsessionnelles des patients (Sauteraud, Cottraux, Michel, Henaff et Bouvard, 1995). Yao, Cottraux, Martin et Bouvard (1996) ont également montré que la dimension de responsabilité excessive n’était pas spécifique à la pathologie obsessionnelle mais était retrouvée dans d’autres pathologies anxieuses ainsi que dans le trouble dépressif. Ces données ne contredisent cependant pas le modèle proposé par Salkovskis (1985), ce dernier insistant bien sur le fait que seules certaines pensées activent les schémas de responsabilité excessives et sont sources d’une perturbation émotionnelle secondaire importante.

Par ailleurs, d’autres schémas cognitifs ou système de croyances irrationnelles ont été mis en évidence concernant la surestimation de probabilité de survenue d’un danger (dont le sujet serait responsable), l’intolérance à l’incertitude (un événement non contrôlé et imprévu étant un événement potentiellement dangereux), l’importance accordée aux pensées (phénomène de pensée magique et de fusion pensée/action), l’importance par conséquent accordée au contrôle des pensées, une attitude perfectionniste (l’erreur étant une menace, un danger) (Obsessive-compulsive Cognitions Working Group, 1997). Ces schémas regroupent tous les concepts de responsabilité, de culpabilité ou d’infériorité.

Les modèle cognitifs postulent donc que le trouble réside plus dans le système d’interprétation et dans la tentative de contrôle consécutive de la pensée intrusive plutôt que dans son contenu, somme toute assez banal.

L’existence de schémas cognitifs de responsabilité/culpabilité postulée par les modèles cognitivistes s’accordent relativement bien avec le modèle d’impulsivité perçue et de compulsivité compensatoire (Cottraux, 1995, 1998) postulée dans le TOC. Une interaction entre une dimension d’impulsivité et certains facteurs environnementaux familiaux et sociaux (principe éducatifs rigides, culpabilisant et responsabilisant) conduiraient le sujet à développer des schémas cognitifs de responsabilité/culpabilité excessive. En retour l’activation de ces schémas conduirait le sujet à une interprétation dysfonctionnelle du contenu de ses pensées intrusives, souvent fait d’impulsions antimorales et antisociales.

La notion d’impulsivité est un concept récent issu des modèles biologiques et psychométriques de la première moitié du XXème siècle. Dans cette étude, nous nous référerons à l’approche cognitive du TOC ainsi qu’aux modèles biopsychologiques et neurocomportementaux de l’impulsivité.