2. LE CONCEPT D’IMPULSIVITE

2.1. Difficulté de conceptualisation et de définition

Faire l’hypothèse que le TOC soit caractérisé par une dimension impulsive suppose de définir le concept d’impulsivité.

Ce dernier bénéficie actuellement d’un regain d’intérêt lié à des raisons d’ordre à la fois sociologique et biologique. L’augmentation apparente des comportements impulsifs de type criminels et délinquants dans les sociétés occidentales, ont conduit au développement d’hypothèses de recherche sociologiques et psychopathologiques sur ces comportements (McCown et Johnson, 1993). Les observations issues des études biologiques et pharmacologiques sur les comportements agressifs chez l’animal et par la suite chez l’homme conduisent au développement de modèles neurobiologiques impliquant l’activité de neurotransmission sérotoninergique dans les comportements impulsifs (Soubrié, 1986 ; Cocarro, 1992). Un foisonnement de recherche vise également à déterminer les bases et concomitants cérébraux et neurophysiologiques des troubles psychopathologiques (Gray, 1990 ; Siever et Davis, 1991 ; Dubois, Pillon et Sirigu, 1994 ; Stein, 1996 ; Evenden, 1999).

Une des difficulté majeure tient à l’imprécision de la définition du concept d’impulsivité. La notion d’impulsivité est moderne, d’apparition ultérieure aux concepts psychanalytiques. Elle est née des courants de recherche de la psychobiologie. Plusieurs modèles explicatifs sont utilisés. Barratt et Stanford (1995) citent en ce sens le modèle d’activation physiologique d’Eysenck (Eysenck, Eysenck et Barret, 1985), celui du traitement de l’information de Dickman (1993), les modèles basés sur les théories de l’apprentissage (Newman, Widom et Nathan, 1985) et sur les substrats neurobiologiques de l’impulsivité (Gray, 1990 ; Stein, Hollander et Liebowitz, 1993). Tous ces modèles fournissent des arguments valides en faveur de la définition qu’ils donnent de l’impulsivité, les données obtenues étant consistantes avec le concept que le modèle cherche à expliquer. Mais il n’existe pas de consensus.

Par ailleurs, l’impulsivité comme dimension et entité clinique est rarement étudiée en tant que telle. Les manifestations cliniques de l’impulsivité sont répandues, variées et sont observables dans de nombreuses entités nosographiques distinctes. Bien que la majorité des travaux portant sur l’impulsivité se focalise essentiellement sur la nature de ses manifestations comportementales dysfonctionnelles et de leurs conséquences inadaptées tant au niveau personnel que relationnel et social, l’impulsivité se manifeste également dans la sphère des processus émotionnels et cognitifs. Au point qu’il est souvent ignoré qu’elle peut posséder des aspects positifs et adaptatifs (Dickman, 1990).

L’impulsivité ne peut finalement être réduite à une approche catégorielle de la maladie mentale. Elle doit être considérée comme un concept multidimensionnel et une entité transonosologique pour lesquels il est possible de regrouper les différents domaines d’étude en deux grands niveaux d’appréhension : le niveau biologique et neurocognitif qui s’intéresse aux structures et processus fonctionnels impliqués dans l’expression observable de manifestations considérées comme impulsives et le niveau d’appréhension psychologique et clinique qui considère l’impulsivité en tant que dimension de la personnalité, donc dépendante de facteurs à la fois biologiques et environnementaux.

Malgré leur multitude et parfois leurs divergences, les nombreuses définitions qui ont été données de l’impulsivité (McCown et DeSimone, 1993) recouvrent toutes la notion d’incapacité à différer et/ou à inhiber une action. Elles renvoient à la notion de contrôle des comportements, des pensées et des émotions (Barratt et Stanford, 1995). Les notions de manque de contrôle, de prise de risque excessif, d’absence d’anticipation des conséquences d’une action et de planification se côtoient. Elles impliquent un caractère urgent et incontrôlable. L’impulsivité est ainsi vue comme l’incapacité à différer, quelles qu’en soient les conséquences, un comportement dont on attend une expérience immédiate de plaisir (Cottraux, 1998). Elle est envisagée comme 1- une absence de contrôle, d’inhibition, de contrainte, de répression ; 2- une absence de réflexion, de considération et de pensée ; 3- une absence d’anticipation, de prévision, de planification, de regard pour les conséquences ; 4- un sens de l’immédiateté, de l’urgence, de la spontanéité (McCown et DeSimone, 1993). L’impulsivité est également décrite en terme de déficit des processus d’inhibition comportementale supposés être régulés par les lobes frontaux et faisant intervenir le système de neurotransmission sérotoninergique (Evenden, 1999). Elle est aussi considérée en terme de régulation par le passage à l’acte d’une tension interne intolérable pour le sujet ou comme la recherche de risques sans considération pour les conséquences et les menaces ou encore comme un état cognitivo- émotionnel instable et une sensibilité aux stimuli nocifs ou aversifs (Barratt, 1987). Du point de vue des théories de la personnalité, l’impulsivité, généralement abordée par les approches psychométriques factorielles, est considérée comme un trait de personnalité majeur qui garde cependant une nature pluridimensionnelle et transnosologique.

En définitive, le concept d’impulsivité apparaît bien multidimensionnel. Il regroupe la capacité de différer un comportement, le contrôle des différentes émotions, en particulier sexuelles et agressives, la rapidité de traitement de l’information, la recherche de nouveauté et la capacité à retarder une récompense (Baylé et Olié, 1998).

Dans le champ de la psychiatrie, les comportements impulsifs sont reconnus en tant que manifestations symptomatiques d’un certain nombre d’entités psychopathologiques. Ils recouvrent bien les notions de déficit d’inhibition comportementale, émotionnelle et cognitive, le manque d’anticipation des conséquences, observables dans de nombreux troubles mentaux : le trouble de personnalité borderline, la boulimie, les troubles de l’attention et de l’hyperactivité chez l’enfant, les conduites suicidaires répétées, les troubles de contrôle des impulsions comme catégorisés dans le DSM-IV (APA, 1994), la psychopathie ou les troubles addictifs mais également le trouble obsessionnel-compulsif, l’anorexie ou le syndrome de Gilles de la Tourette et les tics. Les récents arguments, en particulier pharmacologiques, en faveur d’une implication sérotoninergique dans le déterminisme et la modulation de ces troubles illustrent l’hypothèse d’un spectre de troubles. L’attention est dorénavant attirée par les similarités cliniques, biologiques et neurocognitives des dimensions d’impulsivité et de compulsivité ou encore d’inhibition et de désinhibition comportementale, émotionnelle et cognitive.

Si les hypothèses et modèles théoriques sont nombreux, les tentatives de mesure de l’impulsivité restent cependant beaucoup plus discrètes et difficiles. Les mesures électrophysiologiques, de par la divergence des données, n’ont pas permis jusqu’à présent de quantifier l’impulsivité. Seule l’approche psychométrique permet aujourd’hui une telle mesure. Cependant, comme le note Barratt et Stanford (1995), l’évaluation de l’impulsivité à l’aide de tels outils cliniques (auto-questionnaires, échelles d’hétéro-évaluation et entretiens semis-structurés) constitue une approche incomplète. Il est nécessaire de se référer à des mesures biologiques, cognitives et environnementales impliquant les facteurs neurophysiologiques et sociaux, et en ce sens aux procédures cognitives dites objectives utilisées dans l’étude de l’impulsivité chez l’animal, informatisées et aujourd’hui utilisées chez l’homme mais qui n’ont encore qu’une valeur expérimentale dans le domaine de la recherche.