3.1. Le spectre des troubles apparentés au trouble obsessionnel-compulsif

Jenike (1990) est le premier auteur à avoir suggéré l’existence d’un spectre de troubles reliés au trouble obsessionnel-compulsif. Plus récemment, certains auteurs (Hollander, 1993 ; Stein et Hollander, 1993 ; Stein, 1996) ont proposé une approche dimensionnelle de la pathologie mentale dans laquelle la compulsivité et l’impulsivité représenteraient les deux extrêmes d’un continuum phénoménologique de la contrainte versus la désinhibition. La dimension impulsive versus compulsive se situerait le long d’un continuum psychopathologique phénoménologique et étiologique incluant des syndromes tels que le TOC, les troubles de contrôle des impulsions (trichotillomanie, jeux pathologique, kleptomanie, achats compulsifs, troubles des conduites alimentaires - anorexie, boulimie, trouble dysmorphophobique, syndrome de Gilles de la Tourette, trouble de personnalité borderline et antisociale).

Dans une revue de la question, Hollander et Benzaquen (1996) considèrent que la conceptualisation d’un tel spectre nécessite de prendre en considération les modalités d’évaluation et de diagnostic, les modalités de traitement, les facteurs génétiques et biologiques ainsi que les modes de prévention de la maladie. Sur la base de ces critères, les traits communs partagés par l’ensemble des troubles apparentés à ce spectre se situent à plusieurs niveaux :

  1. au niveau du profil symptomatique, les troubles du spectre sont caractérisés par « des pensées obsessionnelles ou des préoccupations concernant un défaut imaginaire de l’apparence physique (trouble dysmorphophobique), les sensations corporelles (dépersonnalisation), le poids (anorexie nerveuse) ou l’idée ou la crainte d’être atteint d’une maladie grave (hypocondrie) ; ou par des comportements stéréotypés, ritualisés tels que des tics (syndrome de Gilles de la Tourette), des compulsions sexuelles de type paraphilies ou encore des conduites impulsives (jeux pathologique ou autres troubles du contrôle des impulsions » (Hollander et Benzaquen, 1996). Ces traits cliniques communs suggèrent donc un chevauchement entre des troubles psychiatriques en apparence distincts comme le TOC, les troubles somatoformes, dissociatifs, les troubles des conduites alimentaires et du contrôle des impulsions, le trouble de personnalité borderline et antisociale. Par ailleurs, l’observation clinique de symptômes compulsifs dans certaines pathologies neurologiques d’étiologie organique comme le syndrome de Gilles de La Tourette, la maladie de Parkinson, la Chorée de Huntington, le déficit d’attention et d’hyperactivité de l’enfant, l’autisme, le trouble d’Asperger et certains troubles épileptiques et développementaux conduit également à les inclure dans ce spectre.

  2. au niveau des composantes associées de type démographique, familiale, historique, de comorbidité et d’évolution clinique de maladie. Une forte incidence d’antécédents familiaux de troubles apparentés au spectre ainsi que de troubles de l’humeur est en effet observée dans l’ensemble de ces troubles, ainsi qu’une évolution chronique des manifestations symptomatiques.

  3. au niveau neurobiologique, illustré par l’implication du système de neurotransmission sérotoninergique aux deux pôles, impulsif et compulsif, du spectre (Hollander, 1996).

  4. et au niveau étiologique, illustré par les hypothèses concernant l’implication de facteurs environnementaux tels que certaines toxines et infections ainsi que de facteurs génétiques. La production de symptômes obsessionnels-compulsifs associés avec la chorée de Sydenham, l’association du trouble avec certaines infections du système nerveux central (séquelles suite à épidémie d’encéphalites spongiformes de von Economo au début du siècle aux Etats-Unis, méningite, encéphalopathie poliomyélite) ainsi que la présence d’anomalies immunitaires dans plusieurs troubles neuropsychiatriques (TOC, syndrome de Gilles de la Tourette et PANDAS - Pediatric Autoimmune New Psychiatric Disorders Associated With Streptococcal Infections) fournit des arguments en faveur de facteurs étiologiques génétiques et environnementaux communs.

La localisation du TOC sur ce continuum reste cependant flou. Pour certains auteurs (Hollander, 1993 ; Stein et Hollander, 1993 ; Oldham et coll., 1996), il se situerait sur le pôle compulsif, à l’un des extrêmes du continuum alors que pour d’autres (Lopez-Ibor, 1990 cité dans Summerfeldt et coll., 1998) il serait plus proche du pôle impulsif, partageant de nombreuses similarités phénoménologiques avec les troubles de contrôle des impulsions,. D’autres encore, tels Hoehn-Saric et Barksdale (1983) proposent que soit faite une distinction entre deux sous-groupes impulsif versus non-impulsif au sein des sujets présentant un TOC, une place à part dans ce modèle étant faite aux sujets TOC exhibant un déficit de contrôle de soi pouvant se traduire par des passages à l’acte, une labilité émotionnelle avec crises de colère, une agressivité et une hostilité importante. Ces traits comportementaux et émotionnels sont en effet caractéristiques de pathologies où l’impulsivité constitue la symptomatologie dominante comme dans la personnalité borderline et antisociale ou encore dans les troubles de contrôle des impulsions.

L’ensemble des pathologies qui font partie de ce spectre partage des traits symptomatiques communs : la présence de pensées intrusives et/ou des comportements répétitifs impulsifs et/ou compulsifs. Trois grands catégories de troubles peuvent être distinguées au sein de ce spectre selon la prédominance des préoccupations de type obsessionnel et des comportements ritualisés répétitifs qui visent à diminuer l’anxiété résultant de ces préoccupations (TOC, trouble dysmorphophobique, hypocondrie, trouble de dépersonnalisation), des conduites impulsives (kleptomanie, jeu pathologique, compulsions sexuelles, trichotillomanie, trouble de personnalité borderline et antisociale) ou encore selon la présence d’une sémiologie incluant des symptômes de type obsessionnels-compulsifs iatrogéniques dans le cadre de troubles neurologiques (syndrome de Gilles de la Tourette, maladie de Huntington, maladie de Parkinson, chorée de Sydenham, autisme, syndrome d’Asperger, trouble de l’attention et hyperactivité chez l’enfant, torticolis). La figure 2. présente l’ensemble des pathologies psychiatriques, neuropsychiatriques, neurodeveloppementales et neurologiques considérées comme appartenant au spectre des troubles associés au trouble obsessionnel-compulsif. Hollander et Benzaquen (1996) proposent par ailleurs trois approches dimensionnelles distinctes qui permettent de relier les troubles appartenant à ce spectre. La première se base sur la prédominance de la dimension impulsive versus compulsive. La deuxième considère la prédominance des aspects cognitifs ou au contraire celle des perturbations motrices. Enfin la troisième approche dimensionnelle se base sur la polarité entre un versant égosyntonique et un versant égodystonique (Figures 3., 4. et 5.).

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Figure 2. Spectre des troubles associés au trouble obsessionnel-compulsif (Hollander et Benzaquen, 1996)
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Figure 3. Aspects dimensionnels d’après Hollander, 1993
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Figure 4. Dimensions cognitive versus motrice d’après Hollander, 1993
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Figure 5. Dimensions égodystoniques versus égosyntoniques d’après Hollander, 1993

Le trouble obsessionnel-compulsif constituerait donc le prototype des troubles compulsifs, le trouble de personnalité borderline le prototype des troubles impulsifs. Les troubles impulsifs sont placés aux antipodes des obsessions-compulsions mais ils pourraient se situer sur la même dimension caractérisée par un déficit du contrôle comportemental. Les différences et similarités entre impulsivité et compulsivité ne sont en effet pas toujours tranchées. Les impulsions sont des comportements obligatoires. Les compulsions le sont aussi même si elles représentent une lutte contre les obsessions. Les éléments cliniques qui les distinguent correspondent aux mécanismes “ pulsionnels ” et émotionnels qui conduisent à la production des symptômes impulsifs versus compulsifs. Dans le premier cas, l’acte impulsif, répondant à la satisfaction immédiate d’un besoin impérieux, est considéré comme étant source directe de plaisir et le sujet ne résiste pas à ses impulsions ; en ce sens il constitue un acte égosyntonique. Dans le second cas, l’acte compulsif n’est pas considéré comme étant source de plaisir pour le sujet qui tente de lutter contre lui ; en ce sens il constitue un acte égodystonique. Dans les deux cas cependant, le passage à l’acte impulsif ou le comportement compulsif peuvent être considérés comme une décharge incoercible et immédiate dans un acte ou un comportement d’une état de tension émotionnelle. Tous deux ont pour fonction de faire cesser à court terme la tension et l’état d’anxiété ou d’angoisse interne. L’acte compulsif qui nous intéresse plus particulièrement contribue en effet à une diminution de l’anxiété provoquée par les pensées intrusives et leur interprétation. Le tableau 1. compare les troubles impulsifs aux troubles compulsifs et montre qu’ils présentent autant de points communs que de points divergents. Le dénominateur commun de ces troubles pourraient être une perturbation des processus d’inhibition et des capacités à différer et à inhiber un comportement.

Tableau 1. Compulsivité et impulsivité : différences et similarités dans les symptômes
IMPULSIVITE COMPULSIVITE
URGENCE
DEFICIT DU CONTRÔLE COMPORTEMENTAL
DEFICIT DU CONTRÔLE COGNITIF
DEFICIT DU CONTRÔLE EMOTIONNEL
INADAPTEE
LIEE A L’AGRESSIVITE
PLAISANTE DEPLAISANTE
ACTION INHIBITION
RECHERCHE ET PRISE DE RISQUE EVITEMENT DU RISQUE / DANGER
MENACE MINIMISEE MENACE EXAGEREE
NON CONVENTIONNEL CONVENTIONNEL