3.2.2. Arguments neurobiologiques et études de neuroimagerie dans le trouble obsessionnel-compulsif : implication de la circuiterie fronto-sous-corticale.

Les données de la neurobiologie et de la neuroimagerie fonctionnelle suggèrent l’existence d’un dysfonctionnement des régions cérébrales impliquées dans les processus chargés de moduler l’activité d’inhibition/ désinhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif. L’implication de perturbations fonctionnelles au niveau des ganglions de la base et de ses relations avec les circuiteries fronto-sous-corticales est suggéré, en particulier le circuit “ ventral ” qui implique le cortex orbito-frontal et les noyaux caudés (Alexander, De Long et Strick, 1986 ; Brody et Saxena, 1996 ; Saxena, Brody, Schwartz et Baxter, 1998 ; Bradshaw et Sheppard, 2000 ). Ce circuit est considéré comme faisant fonction d’interface entre le circuit dorsal (impliquant le cortex préfrontal) et les systèmes affectifs (Rauch et Baxter, 1998). Le circuit dorsal est supposé intervenir préférentiellement dans les fonctions exécutives de type mémoire de travail et processus de planification alors que le circuit ventral est typiquement associé avec les processus d’inhibition comportementale en relation avec le contexte environnemental, social et émotionnel (Zald et Kim, 1996). Cinq circuits ou boucles fronto-sous-cortico-frontales, organisées de manière parallèle, ont été ainsi identifiées (Cummings, 1993). Chacune prend son origine dans le cortex frontal, fait relais au niveau du striatum (noyau caudé, putamen), passe ensuite par le globus pallidus et le locus niger, puis par des noyaux spécifiques du thalamus, pour enfin retourner au cortex frontal.

Un certain nombre d’études ont observé, à un niveau neurométabolique, les régions cérébrales qui pourraient être impliquées dans le traitement des pensées intrusives “ pathologiques ”. Le résultat le plus constant des diverses méthodes d’imagerie cérébrale utilisées est la mise en évidence d’un hyperfonctionnement des régions frontales et plus particulièrement orbito-frontales (Pour une revue: Cottraux et Gérard, 1997) ainsi que l’implication du circuit ventral (Baxter, Phelps, Mazziota, Guze, Schwartz et Selin, 1987 ; Baxter et coll., 1988, 1992). Ce fait expérimental est retrouvé dans 70% des études engagées sur ce thème (19 études sur 27, dont Nordhal, Benkelfat, Semple, Gross, King et Cohen, 1989 ; Swedo et coll.,1989; Benkelfat, Nordhal, Semple, King, Murphy et Cohen, 1990; Sawle, Hymas, Lees et Frackowiack,1991; Machlin, Harris, Paerlson, Hoenh-Saric, Jeffery et Camargo, 1991). Trois autres groupes indépendants ont cependant eu des résultats contradictoires et retrouvent un hypométabolisme généralisé (Martinot et coll. 1990, Ananth, Villanueva-Meyer, Darcourt et Mena, 1991) ou localisé au niveau du noyau caudé (Mindus, Nyman, Mogard, Meyerson et Ericson, 1989). Enfin, Rubin, Villanueva-Meyer, Ananth, Trajamar et Mena (1992), avec le SPECT, ont montré un hypométabolisme des noyaux caudés, associés à un hypermétabolisme orbito-frontal. L’hyperfrontalité apparaît donc comme le seul résultat retrouvé le plus fréquemment, dans 70 % des études. L’implication des ganglions de la base a été, quant à elle, retrouvée moins fréquemment, dans 56 % (15 des 27 études).

D’autres études ont étudié les modifications du métabolisme frontal consécutives à l’induction de stimulations obsédantes. Dans une étude de Zohar et coll. (1989) étudiant les stimulations obsédantes chez dix patients obsessionnels présentant des rituels de lavage avec la technique du SPECT, les données indiquent un hypermétabolisme lors de stimulations imaginaires, et un hypométabolisme lors de stimulations réelles, principalement au niveau de l’hémisphère gauche, dans les régions temporales et pariéto-occipitales. Le débit sanguin cérébral local augmente durant l’exposition en imagination aux pensées obsédantes. Il décroît, à l’inverse, lorsque le sujet se trouve en situation de relaxation ainsi que pendant l’exposition in vivo. Cette décroissance est interprétée comme la mise en jeu de l’habituation qui est effectuée par des processus faisant intervenir des structures sous-corticales. Ce qui expliquerait la décroissance relative de l’activité corticale. Rauch et coll. (1994) ont également étudié chez huit patients obsessionnels des stimulations obsédantes de contamination présentées sous forme réelles, sous formes de photographie ou d’image mentale comparées à des stimulations neutres. Les stimulations obsédantes entraînent un hypermétabolisme dans le noyau caudé droit et les deux gyrus orbito-frontaux, le cingulum antérieur et une tendance à l’hypermétabolisme dans le thalamus gauche. Ces résultats sont également interprétés dans le sens d’un système de filtration cortical et sous-cortical en lutte contre les intrusions cognitives. Enfin, Cottraux et coll. (1996), dans une étude au PET SCAN, ont comparé dix patients obsessionnels vérificateurs non déprimés à dix sujets contrôles dans quatre conditions de stimulation : repos, stimulation auditive composées des obsessions normales ou pathologiques propres à chaque sujet, stimulation auditive verbale neutre et condition de repos. Les sujets entendaient donc soit leurs propres obsessions, normales ou pathologiques selon le groupe de sujets, soit des stimulations verbales auditives neutres, soit étaient dans une condition de repos (absence de stimulation). Les résultats indiquent une augmentation significative du débit sanguin cérébral dans le thalamus et le putamen dans le groupe de sujets contrôles alors qu’une tendance à une augmentation du débit sanguin est observée dans les régions temporales supérieures dans le groupe de patients obsessionnels, et ceci dans les trois conditions de stimulation (repos, stimulations neutres et obsédantes). Par ailleurs, la présentation des stimulations obsédantes entraîne une augmentation du débit sanguin cérébral significativement supérieure à celui observé dans la condition de présentation de stimulations neutres dans les régions orbitofrontales pour les deux groupes de sujets. L’activité cérébrale retrouvée dans les régions temporales et orbitofrontales est corrélée à la présentation des stimulations obsédantes dans le groupe de patients obsessionnels mais non dans le groupe de sujets contrôles. Enfin, lorsque la présentation des stimulations neutres précèdent celle des stimulations obsédantes, le débit sanguin cérébral apparaît significativement plus élevé dans le noyau caudé pour le groupe de sujets contrôles. Au regard de ces données, les auteurs suggèrent l’existence d’anormalités spécifiques dans les processus de traitement de l’information chez les patients obsessionnels présentant des compulsions de vérification, perturbations reflétées par une inhibition des structures des ganglions de la base et une hyperactivation des régions orbitofrontales et temporales.

La majorité des études thérapeutiques (6 sur 7), utilisant des méthodes d’imagerie fonctionnelle, indique également une modification métabolique, qui va dans le sens d’une diminution de l’hypermétabolisme frontal observé, corrélée à l’amélioration des symptômes obsessionnels-compulsifs consécutive à une thérapie comportementale et cognitive. La dernière étude de Baxter et coll. (1992), utilisant la technique du PET SCAN, montre que l’hypermétabolisme du noyau caudé droit, retrouvé avant traitement, disparaît aussi bien sous traitement (constitué d’un antidépresseur IRS, la fluoxétine) que après thérapie comportementale, chez des sujets TOC répondeurs à chacun des deux traitements. Ainsi l’hyperactivité métabolique retrouvée avec la caméra à positons, principalement dans le noyau caudé droit, ne représenterait pas une perturbation structurale stable (un trait) mais plutôt un marqueur d’état obsessionnel étant donné sa disparition sous traitement pharmacologique ou psychologique.

Au regard de l’ensemble de ces données, Baxter (Baxter et coll., 1987, 1988, 1992) propose un modèle explicatif des obsessions-compulsions dans lequel les boucles fronto-sous-cortico-frontales, et en particulier le circuit ventral, seraient impliquées dans le contrôle et le rejet des stimuli non pertinents et/ou distracteurs. Leur dysfonctionnement entraînerait une perturbation des mécanismes de contrôle et de rejet des stimuli. Dans ce modèle, le noyau caudé est considérée comme un médiateur entre le cortex orbito-frontal et le thalamus, structure largement impliquée dans les afférences sensorielles, et constituerait une porte d’entrée pour le traitement de l’information sensorielle. Une perturbation au niveau de cette structure serait à l’origine d’une filtration inadéquate des stimulations sensorielles externes et internes et à la libération de programmes moteurs innés et automatiques (dont les rituels) gérés par des structures sous-corticales telles les ganglions de la base. Le striatum (putamen, noyau caudé, nucleus accumbens) aurait pour fonction de gérer et de contrôler les pensées, sensations et actions, sans intervention des structures corticales, donc de manière automatique et sans passage par la conscience. L’existence d’une filtration inadéquate des ruminations anxieuses d’origine frontale est également postulée. Le striatum ne jouerait là non plus pas son rôle inhibiteur envers des pensées et images mentales générées par les régions frontales, et en particulier orbito-frontales. Les pensées obsessionnelles seraient donc traitées, selon ce modèle, par le striatum, le cortex orbito-frontal et le cortex cingulaire. L’hypermétabolisme retrouvé dans les régions frontales pourrait donc refléter la lutte que le sujet exerce contre les pensées obsédantes et intrusives. Elle pourrait également rendre compte des mécanismes de pensées fréquemment perturbées par la survenue de pensées intrusives. Par ailleurs, les rituels moteurs, mis en place dans un premier temps de manière volontaire et consciente par le sujet afin de faire face à l’anxiété résultant de la récurrence des pensées intrusives, subiraient également un déficit d’inhibition (ou au contraire un excès d’activation) et persévéreraient alors même qu’ils ne sont plus adaptés. On sait le rôle joué par les ganglions de la base dans l’entretien des mouvements volontaires et dans les mouvements automatiques et réflexes, comme l’indique les connaissances actuelles sur certains processus dégénératifs impliquant une perturbation des structures sous-corticales et par extension les circuiteries fronto-sous-corticales comme dans l’ensemble des syndromes extra-pyramidaux (maladie de Parkinson, dégénérescence cortico-basale) ou encore la Chorée de Huntigton. Se référant à l’hypothèse de l’implication de la circuiterie cortico-striato-thalamo-corticale, Brody et Saxena (1996) font également l’hypothèse d’un déséquilibre entre les deux réseaux neuronaux direct (activateur) et indirect (inhibiteur) qui entraînerait une prépondérance de la voie directe sur la voie indirecte, expliquant l’absence d’habituation aux obsessions.