3.3. Hypothèses cognitives

3.3.1 Données psychométriques : exploration de la dimension impulsive dans le cadre de symptômes obsessionnels-compulsifs 

Les différentes études qui ont cherché à explorer la dimension impulsive dans le cadre des manifestations obsessionnelles-compulsives sont peu nombreuses. Elles utilisent par ailleurs des instruments d’évaluation variés et fournissent des données divergentes. Le tableau 2, situé enfin de ce chapitre, fournit une synthèse des études engagées sur ce thème.

Les études sur le sujet se sont tout d’abord interrogées, par le biais de l’expérience clinique et des études de cas, sur la place des émotions d’hostilité et de colère dans le trouble obsessionnel-compulsif, référence étant faite au modèle psychanalytique.

Walker et Beech (1969) ont cherché à valider l’hypothèse psychanalytique et l’impression clinique selon lesquelles l’anxiété ne constituait pas le seul trait émotionnel caractéristique et symptomatique du TOC mais que les émotions d’hostilité et de colère étaient également des traits émotionnels proéminents dans cette pathologie. Leur étude n’a cependant porté que sur un seul cas, pour lequel ils observent une association significative entre la dimension émotionnelle d’hostilité, les symptômes dépressifs et les comportements ritualisés. Nous ne retenons cependant pas cette étude étant donné le caractère unique du cas étudié.

Stern et Cobb (1978) ont également postulé l’existence d’émotions hostiles dans la phénoménologie du TOC qui serait compensée par l’émission des symptômes obsessionnels et compulsifs. Le contrôle de sentiments de haine inconscients serait un trait particulièrement significatif du trouble obsessionnel-compulsif. On retrouve ici la conception psychanalytique des manifestations obsessionnelles et compulsives en tant que mécanisme de défense de type formation réactionnelle. Les auteurs n’ont cependant pas démontré leur hypothèse.

Afin, entre autre, de valider cette hypothèse, Marks (1966) a comparé 20 sujets souffrant de TOC, 20 sujets diagnostiqués comme psychopathes et 20 sujets contrôles sur les échelles du Différenciateur Sémantique d’Osgood (Osgood, 1957 cité dans Marks, 1966). Il s’intéresse aux traits d’agressivité chez les patients obsessionnels et à la place des sentiments de culpabilité chez les sujets psychopathes. Il a cherché, d’une part, à tester le modèle psychanalytique des obsessions-compulsions et, d’autre part l’hypothèse concernant l’absence de sentiments de culpabilité, de remords, d’anxiété dans la psychopathie. Les deux groupes de sujets pathologiques évalués représentent les deux versants opposés de la dimension comportementale inhibition/désinhibition, Marks (1966) considérant que l’inhibition comportementale est caractéristique des sujets obsessionnels et contraste fortement avec les comportements et attitudes impulsives caractéristiques de la psychopathie. La tâche est une technique d’association entre des concepts personnels (“myself” “my father” “my mother”), émotionnels (5 concepts émotionnels négatifs “de colère-hostilité”, 5 concepts “de peur-anxiété” et 5 “d’amour-affection”), un concept neutre contrôle (“ugly”) et des adjectifs dont le contenu sémantique renvoie à quatre facteurs (un facteur général d’évaluation, un facteur de danger, un facteur d’activité et un facteur de force et de puissance). Le sujet doit évaluer la force des associations qu’il fait entre chacun des concepts proposés et plusieurs échelles de 7 points, chacune comprenant un adjectif à une extrémité et son contraire à l’autre extrémité (exemple présenté dans la figure 6.).

message URL FIGURE05.gif
Figure 6. Exemple d’une page du Différenciateur Sémantique d’Osgood. 19 pages sont présentées au total, chacune comprenant un concept et plusieurs échelles de 7 points.

Un intérêt particulier a été porté aux interprétations données aux cinq concepts émotionnels de “colère-hostilité” (“my feelings when I was angry”, “my resentment of people”, “dislike of a person”, “spitefulness”, “annoyance”) par les trois groupes de sujets. Les scores des trois groupes apparaissent similaires pour la cotation du concept neutre “ ugly ”. En ce qui concerne les cinq concepts de “ colère/hostilité ”, le groupe de sujets psychopathes diffère significativement des deux autres groupes pour les facteurs d’évaluation générale et de danger concernant les concepts “Mes sentiments ressentis lorsque je suis en colère” et “mon ressentiment envers autrui”. Les sujets obsessionnels obtiennent par contre des scores similaires à ceux des sujets contrôles. Les sujets psychopathes et obsessionnels montrent une seule similarité de leurs scores en ce qui concerne l’évaluation du concept “anxiété” qu’ils évaluent comme étant plus dangereux pour autrui que les sujets contrôles. Les résultats de l’étude indiquent donc que les sujets psychopathes évalués font l’expérience de sentiments d’anxiété, de remords et de culpabilité, invalidant la première hypothèse. Marks discute par ailleurs l’hypothèse de la présence de sentiments d’agressivité et d’hostilité chez les sujets obsessionnels. Dans cette étude, les sujets obsessionnels évaluent de la même manière que les sujets contrôles le facteur danger associé aux cinq concepts d’hostilité et de colère. Ils n’apparaissent donc pas plus effrayés de leurs sentiments agressifs envers autrui que les sujets contrôles. Pour Marks, l’inhibition comportementale et l’absence de comportements agressifs ouverts caractéristiques des sujets obsessionnels doivent être expliquées autrement que par l’idée d’un contrôle exercé par le sujet devant la dangerosité évaluée de ses comportements et des conséquences désastreuses qu’ils pourraient entraîner. On peut cependant observer que la tâche utilisée ne tient pas compte de la dimension inconsciente défensive de type formation réactionnelle mise en place par le sujet pour contrôler ses émotions agressives. Millar (1983) note, en ce sens, qu’il existe une différence importante entre la peur, née d’une réflexion consciente, concernant ses propres émotions de haine et d’hostilité ressenties comme égosyntoniques et la peur née du sentiment d’être menacé par des pensées, des impulsions et des idées impulsives, violentes et agressives intrusives et égodystoniques, comme observées dans les obsessions. Les émotions d’hostilité, de haine et de colère vécues comme égodystoniques peuvent par conséquent ne pas être perçues dans leur intensité réelle. Ce qui pourrait expliquer l’absence de résultats obtenus par Marks, la tâche utilisée requérant une auto-évaluation du sujet sur son propre fonctionnement psychologique et sur son ressenti émotionnel.

A la suite des travaux de Walker et Beech (1969) et dans le cadre d’une conception psychanalytique de la névrose obsessionnelle, Millar (1983) a également évalué les expériences conscientes de colère/hostilité vécues par 11 femmes présentant une névrose obsessionnelle comparées à 11 femmes présentant une dépression. Deux échelles ont été utilisées : une échelle évaluant l’hostilité et l’orientation de celle-ci vers l’intérieur (contre soi) ou vers l’extérieur (contre autrui) (The Hostility and Direction of Hostility Questionnaire - HDHQ -, Caine, Foulds et Hope, 1967, cités dans Millar, 1983) et une échelle évaluant l’irritabilité dirigée contre soi (intrapunitive) ou contre autrui (extrapunitive) (The Irritability, Dépression, Anxiety - IDA -, Snaith, Constantopoulos, Jardine et McGraffin, 1978, cités dans Millar, 1983). Les résultats n’indiquent pas de différence significative entre les deux groupes pour les scores d’hostilité et d’irritabilité/colère des deux échelles. Par contre, des patterns corrélationnels distincts des aspects de colère et d’hostilité apparaissent entre ces deux groupes. Pour le groupe de patientes obsessionnelles, une corrélation positive significative est observée entre l’hostilité dirigée contre autrui (vers l’extérieur) et l’irritabilité dirigée contre autrui (extrapunitive). Une corrélation positive significative est par contre observée entre l’hostilité et l’irritabilité dirigée contre soi dans le groupe de patientes dépressives. Le pattern émotionnel retrouvé pour les patientes dépressives est en accord avec la place donnée aux émotions hostiles dans la dépression, l’hostilité “ intrapunitive ” et dirigée contre soi pouvant étant le reflet d’une faible estime de soi et d’un processus d’attribution interne des événements de vie négatifs. Le pattern émotionnel retrouvé dans le trouble obsessionnel-compulsif est par contre inattendu. Il contraste fortement avec les attitudes relationnelles des sujets obsessionnels ainsi qu’avec les émotions exprimées de manière ouverte envers autrui. Une telle contradiction implique, selon Millar, l’existence simultanée d’émotions opposées et l’existence d’une attitude ambivalente. Les sentiments de colère et d’irritabilité contre autrui seraient contrebalancés par une attitude et des comportements de sollicitude et d’empathie envers autrui. Cette attitude renvoie à nouveau au mécanisme de défense de type formation réactionnelle. Il est également possible d’interpréter ces résultats en fonction des théories cognitivistes et de la notion de schémas de responsabilité et de culpabilité excessive qui n’autorisent pas l’expression d’émotions négatives et hostiles envers autrui.

L’ensemble de ces études anciennes échouent donc à montrer de manière claire l’existence d’émotions de haine, d’agressivité et d’hostilité envers autrui dans le TOC. Nous posons plusieurs hypothèses :

  1. Le registre émotionnel d’hostilité, d’agressivité et de colère dirigé contre autrui est, dans le cas du trouble obsessionnel-compulsif, supérieur en intensité au même pattern émotionnel éprouvé par des sujets contrôles ainsi que dans le cadre d’autres pathologies névrotiques. Le registre émotionnel agressif n’est cependant ni verbalisable ni éprouvable étant donné, d’une part, le mécanisme de formation réactionnelle qui conduit à l’expression d’émotions et de comportements ouverts contraires et, d’autre part, les symptômes obsessionnels et compulsifs qui visent à lutter et à contrôler ces émotions refoulées et détournées de leur forme première. Il apparaît alors difficile de mettre en évidence ce pattern émotionnel par le biais d’outils d’évaluation requérant une auto-évaluation du sujet sur son propre fonctionnement.

  2. Une seconde hypothèse consiste à considérer que le registre émotionnel de colère et d’agressivité dirigé contre autrui ne diffère pas chez les sujets obsessionnels. Comme pour les pensées intrusives, dont il a été démontré qu’elles constituent un phénomène cognitif normal, les émotions de colère et d’agressivité des sujets obsessionnels seraient équivalentes en intensité aux mêmes émotions éprouvées par des sujets non obsessionnels. Il existerait cependant une différence dans le traitement et l’interprétation de l’information émotionnel. Dans le TOC, le traitement de l’information émotionnel serait biaisé par l’existence de schémas cognitifs relatifs à un sentiment de culpabilité et de responsabilité exagéré. Cette hypothèse s’inscrit plus dans le courant du modèle cognitiviste de Salkovskis (1999).

  3. Une troisième hypothèse consiste à considérer que l’intensité des émotions agressives et hostiles envers autrui sont potentialisées du fait de la focalisation de l’attention sur elles, consécutive à l’activation des schémas cognitifs de culpabilité/responsabilité excessive. L’activation des schémas cognitifs de culpabilité et de responsabilité excessive entraînerait, suivant le même processus que celui développé dans l’hypothèse précédente, une interprétation négative des affects et émotions de haine, de colère, d’irritabilité et d’hostilité envers autrui. Un tel biais dans le traitement cognitif des émotions négatives ressenties conduirait secondairement à une augmentation de l’orientation et de la focalisation des processus attentionnels sur elles. Le sujet deviendrait, de ce fait, hyperattentif à ces ressentis et réactions émotionnels négatifs, renforçant par la même leur impact émotionnel anxiogène. Un tel processus attentionnel produirait, en conséquence, leur potentialisation et une augmentation et de leur intensité. On rejoint ici, les hypothèses cognitives de Salkovskis (Salkovskis, Forrester et Richards, 1998) concernant le rôle des processus d’attention sélective dans le renforcement des caractéristiques de fréquence, de durée et d’impact émotionnel des obsessions. Plus une pensée est refusée, plus le sujet tente de l’ignorer et de l’éviter, plus elle gagne en ampleur et en intensité. Cette règle pourrait également être appliquée aux émotions. Plus le sujet tente de lutter contre des réactions émotionnelles qu’il refuse et ne s’autorise pas à éprouver et à exprimer, plus elles gagnent également en ampleur, en intensité et en impact émotionnel du fait même de la focalisation de l’attention du sujet sur elles afin de pouvoir les maîtriser et les contrôler.

L’ensemble des études rapportées ici sont anciennes et interrogent seulement une des composantes de la dimension d’impulsivité, la composante émotionnelle et le déficit du contrôle des émotions d’agressivité et de colère associées à l’intolérance à la frustration. Quelques études, inspirées par l’hypothèse du spectre des troubles apparentés au trouble obsessionnel-compulsif, ont cherché à évaluer la place de la dimension impulsive dans le TOC en tant que déficit dans la capacité à inhiber un comportement et plus spécifiquement en lien avec la sémiologie compulsive.

Une étude intéressante est celle menée pat Hoehn-Saric et Barksdale (1983). Ces derniers ont identifié et comparé un groupe de 10 patients obsessionnels présentant une “ histoire d’un mauvais contrôle des impulsions ” avec un groupe de 10 sujets obsessionnels “ non-impulsifs ”. Bien que la symptomatologie obsessionnelle-compulsive des deux groupes soit comparable, le groupe de sujets “ impulsifs ” rapporte plus de perturbations des comportements durant l’enfance (troubles de l’apprentissage, faible tolérance à la frustration, relations interpersonnelles pauvres et des comportements attirant l’attention d’autrui). Les comportements impulsifs et passages à l’acte relevés dans l’histoire personnelle des sujets obsessionnels du groupe “ impulsif ” sont les suivants: destruction de la propriété et vandalisme chez 70 % d’entre eux, passages à l’acte sexuels dont des tentatives de viol chez 50 % des patients, périodes d’abus de drogue ou de boisson chez 50 % des patients et violences physiques chez 30 % des patients. Cette difficulté de contrôle des impulsions est apparue durant l’enfance et apparaît secondairement associée à un TOC. Les efforts systématiques pour contrôler ces comportements impulsifs sont apparus à un âge moyen de 30,7 ans et les premiers symptômes obsessionnels-compulsifs à 32,6 ans. Les évaluations et entretiens semis-structurés pratiqués, indiquent que le désir de contrôler les comportements impulsifs n’est pas directement relié au niveau de l’anxiété du sujet mais fait plutôt suite à la perte de relations sociales et affectives importantes. Ce sous-groupe obtient par ailleurs des scores significativement plus élevés à l’échelle de neuroticisme du Questionnaire de Personnalité de Eysenck, forme A et à l’Echelle d’Impulsivité de Barratt, version 7. Les auteurs observent également une tendance à des scores significativement supérieurs dans le sous-groupe de sujets obsessionnels « impulsifs » à la dimension d’extraversion de l’EPQ ainsi qu’à la dimension d’externalité du sens du contrôle à la Mastery-Powerlessness Scale. Au terme de cette étude, les auteurs suggèrent que le désir de contrôler des comportements impulsifs peut contribuer au développement de certains symptômes obsessionnels-compulsifs chez des sujets présentant des antécédents de déficit de contrôle des impulsions. Par ailleurs, les sujets « impulsifs » de leur étude ont plus de difficulté à accepter les reponsabilités pour eux-mêmes et pour leurs actes.

Dans une autre étude, Carey, Baer, Jenike, Minichiello, Schwartz et Regan (1986) ont administré l’Inventaire Multiphasique de la Personnalité du Minnesota (MMPI) (Graham, 1977 cité dans Carey et coll., 1986 ; Greene, 1980 ; Hathaway et MCKinley, 1966, 1996) à 32 patients présentant un TOC pur. Cet inventaire est considéré comme un outil objectif d’évaluation du comportement anormal. Son but est de dégager un ensemble de traits psychopathologiques, en fonction de critères psychiatriques classiques. C’est plus une mesure “ multitraits ” d’états psychopathologiques qu’un inventaire de traits de personnalité. Les résultats obtenus par Carey et coll. (1986) indiquent une élévation des échelles cliniques de “ psychasthénie ”, “ dépression ”, “ schizophrénie ” et “ déviation psychopathique ” aussi bien pour les sujets TOC masculins que féminins. Les sujets présentant des scores pathologiques à l’échelle de “ déviation psychopathique ” sont considérés comme coléreux, impulsifs, imprédictibles, non conformes socialement, en conflit avec les figures d’autorité et non respectueux des normes et des lois. En l’absence de comportements antisociaux évidents, l’hostilité peut-être orientée vers soi. Cette échelle est donc censée caractérisée des sujets présentant des comportements antisociaux, mais non forcément exprimés ouvertement (Greene, 1980). Les 32 sujets obsessionnels-compulsifs évalués dans cette étude présentent donc un profil psychopathologique pour lequel la dimension impulsive considérée dans ses composantes de déficit d’inhibition, de difficulté à différer un comportement, d’intolérance à la frustration et de contrôle des émotions hostiles est présente.

Cottraux et coll. (Cottraux et coll., 1990, Cottraux et Mollard, 1992) ont retrouvé le même profil de résultats dans une étude contrôlée comparant thérapie comportementale, pharmacothérapie par antidépresseurs et combinaisons des deux chez 44 sujets TOC répartis dans trois groupes distincts selon la modalité thérapeutique et ayant été évalués avant et après traitement à l’aide du MMPI version abrégée (Minimult) (Hathaway et McKinley, 1966 ; Perse et Lebeaux, 1977). Les patients obsessionnels évalués présentent des scores anormalement élevés sur l’échelle clinique de “ déviation psychopathique ” du Minimult avant tout traitement. Ces patients ne présentent par ailleurs pas de personnalité antisociale associée selon les critères diagnostiques du DSM-IV. Après traitement, seuls les patients ayant reçu la combinaison des deux traitements (thérapie comportementale et antidépresseurs) présentent une diminution statistiquement significative de leur score à l’échelle de déviation psychopathique (Figure 7.). Les auteurs, pour qui cette échelle mesure “ l’absence de réponse émotionnelle profonde, l’incapacité à tirer du profit de l’expérience ainsi que l’impulsivité et l’irrespect des normes sociales ”, interprètent son élévation chez les obsessionnels comme l’expression d’une impulsivité contenue, les symptômes compulsifs, classiquement situés à l’opposé des manifestations impulsives, reflétant un hypercontrôle des gestes antisociaux ou dangereux. Les auteurs insistent également sur le fait que ces sujets peuvent être considérés comme impulsifs du fait de leur incapacité à différer la satisfaction et le soulagement immédiats associés à la réduction d’anxiété que procure la réalisation des rituels.

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Figure 7. Comparaison intergroupe en pré- et post-traitement de 3 groupes de patients obsessionnels-compulsifs sur les échelles cliniques du Minimult (Cottraux et coll., 1990, 1992)

Se référant à une théorie neurobiologique du TOC et au modèle du spectre des troubles apparentés au TOC, Stein, Hollander, Simeon et Cohen (1994) ont exploré la relation entre trouble obsessionnel-compulsif et dimension impulsive auprès de 431 patients TOC comparés à 151 étudiants constituant un échantillon contrôle à l’aide de l’Echelle d’Impulsivité de Barratt, version 10 révisée (BIS-10 R, Barratt et Patton, 1983 ; Barratt, 1993). Les résultats indiquent que les patients TOC ne diffèrent pas des sujets contrôles quant aux scores d’impulsivité motrice, cognitive et de non planification de la BIS-10 R. Par contre, une corrélation positive significative est retrouvée entre les scores d’impulsivité cognitive et de non planification et la sévérité des symptômes obsessionnels-compulsifs évalués à l’aide de l’Echelle d’Obsessions-compulsions de Yale-Brown (Y-BOCS, Goodman et coll., 1989a, 1989b). Dans le groupe de sujets TOC, les scores d’impulsivité apparaissent par ailleurs corrélés positivement avec les symptômes sexuels et agressifs mais négativement avec les symptômes de lavage et de vérification. Les auteurs insistent sur la difficulté d’interprétation de cette absence de différence entre les deux groupes au regard de l’hypothèse suggérant soit une inhibition marquée dans le TOC ou au contraire un déficit de contrôle comportemental dont rendrait compte les compulsions. Il est important de noter cependant que la population contrôle était constituée d’étudiants d’âge inférieur aux sujets TOC, variable négativement corrélée avec la dimension impulsive. Par ailleurs, les auteurs, reprenant l’étude de Hoehn-Saric et Barksdale (1983), considèrent que leurs résultats n’excluent pas l’existence possible d’un sous-groupe de patients présentant un trait d’impulsivité marqué.

Frost, Steketee, Cohn et Griess (1994) ont, à l’inverse, mis en évidence des scores de prise de risque significativement plus faibles chez des sujets contrôles présentant des symptômes obsessionnels-compulsifs par rapport à des sujets contrôles “ non-cliniques ”à l’Inventaire des Risques Quotidiens de Stekeete et Frost (Everyday Risk inventory) ainsi qu’à l’Inventaire de personnalité de Jackson (JPI). Dans d’autres études, également pratiquées sur des populations contrôles “ clinique ” et “ non-clinique ”, les différences observées n’apparaissent cependant pas significatives (Richter, Summerfeld, Joffe et Swinson, 1996 cités dans Summerfeldt et coll., 1998 ; Pfohl et coll., 1990). Les divergences observées peuvent être expliquées en fonction de la définition opérationnelle donnée à la notion d’impulsivité et des outils de mesure utilisés en conséquence. Le contenu des items des échelles d’impulsivité peut considérablement varier, en particulier concernant le thèmes abordés : l’impulsivité motrice, cognitive ou/et émotionnelle ainsi que la dimension morale et sociale qu’une telle notion implique qui peut être plus ou moins présente.

Hantouche, Bourgeois et Bouhassira (1997) ont interrogé les rapports entre impulsivité et trouble obsessionnel-compulsif en référence aux études et hypothèses neurobiologiques actuelles impliquant de manière plus ou moins sélective un dysfonctionnement de l’activité sérotoninergique dans la modulation des phénomènes de colère, d’impulsivité et d’obsessions-compulsions. Dans le cadre d’une enquête nationale sur le dépistage, la reconnaissance et le traitement du TOC, ils ont évalué l’impulsivité chez 155 patients présentant un TOC à l’aide de l’échelle de dyscontrôle comportemental (EDC) (Hantouche, Chignon et Adès, 1992) et d’un questionnaire semi-structuré du spectre des syndromes apparentés aux TOC en référence aux critères du DSM III-R. Les résultats indiquent la présence de notes élevées à cette échelle pour les patients présentant un TOC familial, des antécédents de troubles anxieux ou dépressifs et une histoire antérieure de comportement suicidaire. De plus chez les sujets présentant un ou plusieurs syndrome(s) comorbides appartenant au spectre des syndromes apparentés aux TOC, la note à l’EDC est significativement augmentée. Reprenant les travaux de Janet (1903) sur la psychasthénie, les auteurs distinguent plusieurs arguments allant dans le sens d’une “ impulsivité primaire ” (agitations forcées, conduites antisociales, hypersensibilité interpersonnelle, sentiments hostiles) conduisant à des stratégies d’hypercontrôle secondaire.

Toujours en référence aux hypothèses neurobiologiques actuelles et à l’hypothèse du spectre des troubles apparentés au TOC, Hood, Richter, Antony, Summerfeldt et Swinson (1999), ont également interrogé la dimension impulsive dans le trouble obsessionnel-compulsif. 41 sujets présentant un diagnostic de TOC selon le DSM-IV et divisés en deux sous-groupes selon la présence d’une histoire médicale de tics moteurs ou vocaux, ont été évalués sur l’Echelle d’Impulsivité de Barratt, version 10 révisée (BIS-10 R) et sur la Y-BOCS. Les résultats indiquent que les patients présentant une histoire de tics obtiennent des scores d’impulsivité significativement supérieurs, en particulier pour l’échelle d’impulsivité cognitive et motrice, et ceci indépendamment de la sévérité des symptômes obsessionnels-compulsifs qui apparaît équivalente dans les deux sous-groupes. Selon les auteurs, ces données confirment l’hypothèse d’une hétérogénéité du trouble obsessionnel-compulsif, avec différents facteurs étiologiques possibles.

Enfin, dans une étude récente, McKay, Kulchycky et Danyko (2000) ont comparées les profils cliniques au sein d’un groupe de 32 patientes hospitalisées et présentant une personnalité borderline et distinguées en deux sous-groupes en fonction de la présence de conduites à type d’automutilation (20 patientes) ou leur absence (12 patientes). Les auteurs ont mis en évidence une corrélation positive significative entre la présence de conduites automutilatoires et la présence de symptômes obsessionnels et compulsifs évalués à l’aide de l’échelle d’obsessions-compulsions de Yale Brown (Y-BOCS) (Goodman, Price, Rasmussen, Mazure, Fleischman, Hill, Heninger et Charney, 1989a, 1989b ; Mollard, Cottraux et Bouvard, 1989 ; Bouvard, Sauteraud, Note, Bourgeois, Dirson et Cottraux, 1992). Dans le cadre de la théorie du déficit de régulation des émotions (Linehan, 1993), les automutilations sont considérés comme ayant une fonction de décharge d’un état de tension incoercible. Elles expriment un comportement qui vient soulager un état de colère, d’anxiété ou encore de douleur interne dépassant les capacités de gestion du sujet. Les auteurs font l’hypothèse que les patients borderline présentant des conduites d’automutilations présentent plus fréquemment des symptômes associés à un haut niveau d’anxiété. Dans une étude de Gardner et Gardner (1975) (cités dans McKay et coll., 2000), les patients rapportent d’ailleurs que leurs conduites auto-mutilatoires (coupures, scarifications) sont précédées par la survenue d’un sentiment déplaisant de tension. Une telle conception des conduites d’automutilations peut-être rapprochée de celle des rituels compulsifs, tous deux ayant pour fonction de diminuer, voir de faire disparaître un état de tension interne source de détresse pour le sujet. McKay et coll. (2000) postulent que les actes compulsifs ont la même fonction de régulation des affects que les conduites d’automutilations mais qu’ils constituent un pattern de comportements plus “ acceptables ” et “ contrôlés ” pour pallier un déficit de contrôle.

Tableau 2. Tableau récapitulatif des données psychométriques concernant l’évaluation de la dimension impulsive dans le trouble obsessionnel-compulsif
ETUDE SUJETS HYPOTHESE & METHODE RESULTATS LIMITES
Marks, 1966 20 TOC
20 Psychopathes
20 Contrôles
Hypothèse : Intérêt pour la dimension agressive. Rituels en tant que mécanisme de défense (formation réactionnelle) contre agressivité.
Méthode : auto-évaluation
Echelle du Différenciateur sémantique d’Osgood (intérêt pour les cinq concepts de colère/hostilité) 
Scores des sujets TOC et contrôles sont équivalents : Hypothèse non validée
utilisation d’un outil d’auto-évaluation des sentiments consciemment perçus pour l’évaluation de processus inconscients.
Millar, 1983 11 femmes TOC
11 femmes
dépressives
Hypothèse : évaluation des expériences conscientes de colère et d’hostilité dans le TOC
Méthode : auto-évaluation
Hostility en Direction of Hostility
Questionnaire (HDHQ)
The Irritability, Depression, Anxiety
Scale (IDA)
Scores des sujets TOC et dépressifs équivalents

Différence significative des profils de corrélation.
TOC : corrélation positive entre hostilité et irritabilité dirigée contre autrui (extrapunitive)
Dépression : corrélation positive entre hostilité et irritabilité dirigée contre soi (intrapunitive)



Hypothèse validée uniquement sur la base d’une étude de corrélation. Scores des sujets TOC et dépressifs étant équivalents.
Hoehn-Saric et Barksdale, 1983 10 sujets TOC avec antécédents de « mauvais contrôle des impulsions »
10 sujets TOC sans antécédents de
comportements impulsifs.
Hypothèse : évaluation de la dimension impulsive dans le TOC . Approche psychiatrique (DSM).
Méthode : hétéro et auto-évaluations
Diagnostic clinique d’axe I selon DSM-III
Entretien semis-structuré : Childhood History Scale (évaluation des antécédents de comportements impulsifs : mesure des comportements perturbés durant enfance)
Questionnaire de Personnalité de Eysenck (EPQ, forme A) (mesure d’extraversion et de neuroticisme)
Echelle d’Impulsivité de Barratt (BIS, version 7)
Mastery-Powerlessness Scale (version modifiée de Rotter’s Locus of Control Scale)
Groupe de TOC avec antécédents d’impulsivité :
Différence significative entre les deux groupes à la Childhood History Scale
Scores significativement plus élevés à échelle de Neuroticisme (EPQ) et à BIS-7
Tendance à supériorité pour le score d’extraversion et score d’externalité à la Mastery-Powerlessness Scale (p < ; .10)

Conclusion :
Désir de contrôler impulsivité peut contribuer au développement de comportements obsessionnel-compulsifs chez des sujets présentant des antécédents de déficit de contrôle des impulsions.
Sujets TOC de sous-groupe « impulsif » sont moins capables d’accepter des responsabilités pour eux-mêmes et pour leurs actions.
Dimension impulsive démontrée dans un sous-groupe de sujets présentant un TOC. Hétérogénéité du TOC et caractère non systématique de dimension impulsive dans ce trouble.
Carey et coll., 1986 32 sujets TOC Hypothèse : évaluation du profil psychologique caractéristique des sujets TOC
Méthode :
Inventaire Multiphasique de la Personnalité (MPPI)
Elévation pathologique des scores aux échelles cliniques de “déviation psychopathique”, “psychasthénie”, “dépression” et “schizophrénie”

Conclusion :
Etude qui a mis en évidence le profil psychologique typique des sujets présentant un TOC au MMPI.
Cottraux et coll., 1990, 1922 44 sujets TOC répartis en 3 sous-groupe. Hypothèse : évaluation de la place de la thérapie comportementale et des antidépresseurs dans le traitement du TOC. Modèle cognitivo-comportemental.
Méthode : Comparaison de 3 groupes selon modalité thérapeutique (3) avant et après traitement :
MMPI version abrégée (Minimult)
Avant traitement : élévation pathologique des échelles clinique de “déviation psychopathique”, “psychasthénie”, “dépression” et “schizophrénie”

Après traitement :
effet thérapeutique observé à partir des modifications des scores au MMPI = seule différence significative pour échelle de “déviation psychopathique” entre les trois groupes. Combinaison de 2 traitements > ; puis traitement pharmacologique seul.
ETUDE SUJETS HYPOTHESE & METHODE RESULTATS LIMITES
Frost et coll., 1994 Echantillon 1 = 13 contrôles “cliniques” et 15 contrôles “non cliniques”
Echantillon 2 = 21 contrôles “cliniques” et 23 contrôles “non cliniques”
Hypothèse : intérêt pour dimension de prise de risque versus notion de responsabilité, culpabilité et perfectionnisme dans le TOC. Modèle cognitif.
Méthode : auto-évaluations
Jackson Personality Inventory (JPI) (dimensions de responsabilité, prise de risque et rigidité morale)
Everyday Risk Inventory (EPI) (évaluation de l’évitement des situations à risque)
Scores aux dimensions de prise de risque plus faibles chez sujets contrôles présentant des symptômes obsessionnels-compulsifs (cliniques) que chez sujets contrôles “non cliniques” (dans les deux échantillons)


Sujets non psychiatriques
Stein et coll., 1994 431 sujets TOC
151 contrôles
(étudiants)
Hypothèse : exploration du lien entre TOC et impulsivité. Modèle bio-psychologique et neurobiologique (spectre des troubles apparentés au TOC.
Méthode : hétéro et auto-évaluation
Echelle d’Impulsivité de Barratt, version 10 révisée (BIS-10 R)
Echelle d’Obsessions-compulsions de Yale-Brown (Y-BOCS)
Absence de différence significative entre sujets TOC et contrôles pour scores d’impulsivité motrice, cognitive et de non-planification
Corrélation positive significative entre scores d’impulsivité cognitive et de non-planification et sévérité des symptômes obsessionnels-compulsifs
Corrélation positive significative entre scores d’impulsivité et obsessions agressives et sexuelles
Corrélation négative significative entre scores d’impulsivité et compulsions de lavage et de vérification
Différence d’âge entre les deux groupes (sujets contrôles lus jeunes) qui peut rendre compte de l’absence de différence entre les deux groupes.
Hantouche et coll., 1997 155 sujets TOC Hypothèse : exploration du lien entre impulsivité et TOC (dysfonctionnement sérotoninergique et rôle de la sérotonine dans modulation des phénomène de colère, impulsivité et symptômes TOC). Modèle bio-psychologique et neurobiologique.
Méthode : hétéro-et auto-évaluation
Entretien semi-structuré du spectre des troubles apparentés au TOC (DSM-III R)
Echelle de Dyscontrôle Comportemental (EDC)

Score élevé à L’EDC chez sujets TOC présentant un TOC familial, des antécédents de troubles anxieux ou dépressifs et une histoire antérieure de comportement suicidaire.

Chez sujets présentant un ou plusieurs troubles comorbides du spectre des syndromes apparentés au TOC, score à échelle EDC significativement augmentée
Dimension impulsive démontrée dans un sous-groupe de sujets présentant un TOC. Hétérogénéité du TOC et caractère non systématique de dimension impulsive dans ce trouble.
Hood et coll., 1999 41 sujets TOC
Comparaison entre deux sous groupes de patients selon la présence ou
l’absence de tics moteurs ou vocaux
Hypothèse : exploration du lien entre TOC et impulsivité. Modèle bio-psychologique et neurobiologique (spectre des troubles apparentés au TOC).
Méthode : auto-évaluations
Echelle d’Impulsivité de Barratt, version 10 révisée (BIS-10 R)
Echelle d’obsessions-compulsions de Yale-Brown (Y-BOCS)
Yale Family/Genetic Study Self-report Questionnaire (YFGSSQ)


Sujets TOC avec histoire de tics présentent des scores d’impulsivité significativement supérieurs (impulsivité motrice et cognitive)
Sévérité symptômes TOC équivalente dans les deux sous-groupes
Dimension impulsive démontrée dans un sous-groupe de sujets présentant un TOC. Hétérogénéité du TOC et caractère non systématique de dimension impulsive dans ce trouble.
Mckay et Coll., 2000 32 femmes avec trouble de
personnalité
borderline &
hospitalisées :
20 avec conduites d’automutilations
12 sans conduites d’automutilation
Hypothèse : les actes compulsifs comme les conduites impulsives de type auto-mutilatoire ont une fonction de régulation des affects. Modèle psycho-biologique et neurobiologique (spectre des troubles apparentés au TOC).
Méthode : hétéro-évaluations
évaluation des symptômes à type d’automutilation (entretien clinique)
Echelle d’obsessions-compulsions de Yale-Brown (Y-BOCS)
Corrélation positive significative : patientes identifiées comme présentant des conduites d’automutilation présentent significativement plus de symptômes obsessionnels et de symptômes compulsifs.
Etude ne portant pas sur des sujets TOC.