4.2. Principe d’évitement passif et impulsivité psychopathologique

Plusieurs auteurs ont fait l’hypothèse de similarités fonctionnelles entre les comportements observés chez des sujets présentant des lésions du septum, de l’hippocampe et du cortex frontal et les comportements impulsifs observés en psychopathologie (Gorenstein, 1982). Gorenstein et Newman (1980) suggèrent que l’ensemble des syndromes psychopathologiques comprenant des troubles du contrôle des impulsions et un déficit des processus d’inhibition comportementale (“ the human disinhibitory syndromes ” : trouble de personnalité psychopathique, comportements antisociaux de l’enfant et de l’adolescent, trouble de l’hyperactivité et de l’attention chez l’enfant, trouble du contrôle des impulsions et trouble de personnalité borderline) partage des points communs avec les troubles neurologiques impliquant le cortex préfrontal, le septum et l’hippocampe. Newman et coll. (1985) proposent un modèle psychologique complémentaire des modèles neurophysiologiques et neuroanatomiques proche de celui de Gray (1982) dans lequel la fonction du système septo-hippocampal, nommé “ the behavioral inhibition system ”, est supposée intervenir dans l’inhibition des comportements associés à un renforcement négatif (frustration, punition ou absence de récompense).

Le paradigme expérimental Go / no go mis en place afin de démontrer l’hypothèse d’un déficit d’inhibition comportementale associé à des contingences de renforcement négatif dans certains troubles psychopathologiques a été utilisé pour la première fois par Lykken (1957) chez des sujets répondant aux critères de personnalité psychopathique. Il correspond à un paradigme Go / no go avec apprentissage par essais-et-erreurs et contingences de renforcement. Il consiste dans l’apprentissage de réponses comportementales accompagnées de renforcements négatifs (type choc électrique). Dans une telle situation expérimentale, le sujet apprend à éviter le renforcement négatif en ne fournissant pas la réponse comportementale qui y est associée. Cette attitude de réponse est nommée une réponse d’évitement des conséquences aversives d’un comportement (“ passive avoidance response ”). Dans le cas des troubles caractérisés par un déficit d’inhibition, les sujets ont tendance à produire significativement plus de réponses de commission que les sujets contrôles. Plusieurs études ont répliqué les résultats de Lykken (1957) (pour une revue de littérature voir Newman et coll., 1985) et ont montré que les sujets présentant une personnalité antisociale montraient un processus d’évitement passif d’un renforcement négatif déficitaire. Newman et coll. (1985) sont les premiers à avoir utilisé un paradigme de “ Go / no go learning ” avec des contingences de renforcement de type monétaire : un gain est associé à une réponse comportementale pour le stimulus Go et une perte d’argent est au contraire appliquée lorsqu’une réponse motrice est émise pour le stimulus No go (erreur de commission) (condition R+/R-). Désirant contrôler les effets liés à l’apprentissage, à la motivation ainsi qu’à la capacité de discriminer entre les différents stimuli, les auteurs ont ajouté deux autres conditions expérimentales dans lesquelles les contingences de renforcement sont différentes : 1- une condition dans laquelle un gain monétaire est attribué au sujet lorsqu’il émet une réponse motrice pour le stimulus Go ainsi que lorsqu’il évite d’émettre et inhibe la réponse pour le stimulus No go (condition R+/R+) et 2- une condition dans laquelle l’absence de réponse pour le stimulus Go (erreurs d’omission) et une réponse motrice pour le stimulus No go (erreur de commission) sont accompagnées d’une perte d’argent (condition R-/R-). Ils ont par ailleurs amélioré la procédure en informatisant la tâche. L’application d’une telle procédure chez des sujets répartis en quatre groupes selon la dimension de personnalité psychopathie d’une part et selon la dimension de personnalité introversion/extraversion, évalués dans la cadre de deux expérimentations distinctes, met en évidence un déficit des performances d’évitement passif (augmentation du nombre d’erreurs de commission) pour le groupe de sujets catégorisés comme psychopathes et pour celui de sujets extravertis. Ce déficit est observable dans la condition R+/R- mais non dans les conditions R+/R+ et R-/R-. Ils observent également une augmentation du nombre d’erreurs d’omission pour tous les groupes de sujets dans la condition R+/R- par rapport à celles n’impliquant qu’une seule contingence de renforcement. Newman et Kosson (1986) ont répliqué ces résultats auprès de deux groupes de sujets masculins incarcérés répartis selon le diagnostic de personnalité psychopathique. Seules deux des trois conditions de renforcement ont été appliquées (R+/R- et R-/R-). Leurs résultats indiquent que les sujets incarcérés psychopathes font significativement plus d’erreurs de commission dans la condition R+/R-. Par ailleurs, pour les deux groupes de sujets, le nombre d’erreurs de commission apparaît plus élevé que celui des erreurs d’omission dans les deux conditions de renforcement. Les auteurs concluent que c’est seulement lorsque les sujets se trouvent dans une situation de compétition des contingences de renforcement, que la mise en place d’une conduite d’évitement passif devient déficitaire. Patterson, Kosson et Newman (1987) ont réutilisé ce paradigme auprès de deux groupes de sujets considérés comme extravertis versus introvertis. Leurs données vont à nouveau dans le sens d’une augmentation du nombre d’erreurs de commission dans le groupe de sujets extravertis. Par ailleurs, les temps de latence des sujets extravertis apparaissent plus rapides suite à l’attribution d’un renforcement négatif alors que le profil inverse est observé pour les sujets introvertis (Nichols et Newman, 1986 ; Patterson et coll., 1987). La diminution de la latence des réponses est, de plus, corrélée au nombre d’erreurs de commission.

Deux facteurs sont proposés par Patterson et coll. (1987) pour rendre compte du déficit d’évitement passif observé dans les syndromes psychopathologiques caractérisés par une désinhibition comportementale :

  1. dans le cas où les conséquences de l’émission d’un comportement peuvent être négatives ou positives (contingences de renforcement en compétition), les sujets adoptent une attitude de réponse orientée préférentiellement vers l’obtention de la conséquence positive. Cette interprétation rejoint l’une des caractéristiques inhérentes à la définition du concept d’impulsivité en tant qu’absence d’anticipation des conséquences d’une action, l’absence de planification et la recherche immédiate de plaisir.

  2. la survenue d’une conséquence négative à l’émission d’un comportement jouerait un rôle d’augmentation du niveau d’activation du système nerveux autonome supposé hypoactivé dans les troubles caractérisés par un déficit d’inhibition. Cette interprétation rejoint les considérations concernant les modèles de dysrégulation émotionnelle postulée dans les troubles impulsifs (Zuckerman, 1990 ; Linehan, 1993 ; Levine, Marziali et Hood, 1997 ; Herpertz, Gretzer, Steinmeyer, Muelhbauer, Schuerkens et Sass, 1997 ; Herpertz, Kunert, Schwenger, Eng et Sass, 1999 ; Pham, Philippot et Rime, 2000).

De manière plus générale, on sait actuellement que l’initiation de deux réponses indépendantes dans une succession de temps brève s’avère difficile. Cet effet est nommé “  the psychological refractory effect  ” (Muroi, Naito et Matsumura, 1997). Les processus d’exécution motrice comme ceux d’inhibition motrice sont sous la dépendance de cet effet. L’application d’un paradigme Go / no go avec variation de l’intervalle inter-stimulus montre que les temps de latence associés à la réponse pour le stimulus Go comme pour les erreurs de commission est significativement plus long lorsque l’intervalle inter-stimulus (ISI) est de 400 millisecondes plutôt que de 800 millisecondes. Par ailleurs, le nombre d’erreurs de commission est supérieur pour un ISI de 400 millisecondes (Muroi et coll., 1997). Dans leur étude, Newman et coll. (1985) n’utilisent pas une tâche informatisée ; il est seulement indiqué que les sujets ont 2 secondes pour fournir une réponse avant qu’un nouveau stimulus ne soit présenté. Dans les expérimentations de Newman et Kosson (1986) et Patterson et coll. (1987), l’ISI est de 1 seconde. On peut supposer, que dans ces différentes études, le “ psychological refractory effect ” n’intervient pas.