2.2.2. L’Echelle d’Impulsivité de Barratt (BIS-10)

Ernest S. Barratt est le pionnier des études sur l’impulsivité. Considérant que la personnalité doit être définie par la convergence d’un nombre varié de mesures provenant d’approches différentes, et pas seulement de l’approche psychométrique, il a cherché à mettre en évidence des corrélats biologiques, comportementaux et cognitifs aux traits de personnalité. Les traits de personnalité sont envisagés par Barratt comme des patterns de réponses comportementales qui, de par leur fréquence, deviennent des prédispositions comportementales, et sont associés aux structures et fonctions neurophysiologiques. C’est en 1959 que Barratt a construit une première échelle d’impulsivité. Ses objectifs étaient les suivants : 1- décrire la dimension de personnalité “ impulsivité ” dans la population contrôle ; 2- déterminer le rôle de l’impulsivité dans le champ de la psychopathologie et 3- développer un modèle de la personnalité au sein duquel l’impulsivité, en tant que trait de la personnalité, puisse être reliée aux autres traits (Barratt, 1959, 1965). La dimension d’impulsivité est considérée comme un trait de personnalité de second ordre, intégré dans une dimension de personnalité plus générale, nommée “ action-oriented ”, ayant pour fonction principale le contrôle de l’expression des pensées et des actes et qui implique l’intervention de structures cérébrales telles que le cortex oribito-frontal, les ganglions de la base, le cerebellum et les noyaux amygdaliens. Le trait d’impulsivité est par ailleurs postulé comme étant composé de deux dimensions qui peuvent être évaluées de manière psychométrique, une dimension motrice et de planification, et une dimension cognitive qui apparaît difficile à mesurer à l’aide d’auto-questionnaires, les processus cognitifs et les cognitions étant toujours inférentiels. Les travaux en laboratoire de Barratt ont confirmé que son échelle d’impulsivité est significativement reliée aux performances perceptivo-motrices ainsi qu’à certaines mesures de variables psychophysiologiques considérées comme des corrélats des réponses du système nerveux autonome.

L’Echelle d’Impulsivité de Barratt, version 10 (BIS-10) (Barratt, 1993 ; Patton, Stanford et Barratt, 1995 - Traduction et validation française Baylé et coll., 2000) (Annexe X.), que nous utilisons dans cette étude, est une échelle d’auto-évaluation comportant 34 items. Son administration prend entre 10 et 15 minutes et peut-être réalisée chez des sujets à partir de l’âge de 13 ans. Elle fournit une évaluation de l’impulsivité comprise comme un trait de personnalité comprenant trois dimensions. Déterminés à priori, en se basant sur les résultats des analyses factorielles précédentes, sur ceux d’expérimentations cliniques et sur les données de la littérature, ces trois sous-traits sont “ l’Impulsivité motrice ”, “ l’Impulsivité cognitive ” et “ la Difficulté de planification ”.

Le mode de réponse correspond à une cotation de chaque item sur une échelle de 4 points (Rarement/Jamais ; Occasionnellement ; Souvent ; Presque toujours/ Toujours). Dans la 10 version de Barratt et dans la version traduite de Baylé et coll.(2000), les items sont cotés 0, 1, 3, 4 ; 4 étant considérée comme la réponse la plus impulsive. Plus le score total est élevé, plus le niveau d’impulsivité l’est également. Le score total peut aller de 0 à 136. Pour des raisons statistiques (des analyses étant difficilement praticables à partir d’échelles de cotation discontinue), nous avons choisi de revenir à une échelle de cotation continue : les items sont ainsi cotés 1, 2, 3, 4 ou 4, 3, 2, 1. Dans la version révisée de la BIS-10, la BIS-11, Patton et coll. (1995) ont décidé, de la même manière, de modifier le mode de cotation pour utiliser une cotation continue allant de 1 à 4. Le score total peut aller de 34 à 136. L’absence de réponse à un item est considérée comme une réponse non-impulsive et est cotée en conséquence.

La répartition des items selon les trois dimensions d’impulsivité évaluées est la suivante :

Les scores élevés obtenus par différentes populations présentant des comportements considérés comme cliniquement impulsifs dans différents travaux ont permis de vérifier la validité de critère de cette échelle (Kelly, Soloff, Cornelius, George, Lis et Ulrich, 1992 ; Luengo, Carrillo-De-La-Peña, Otero et Romero, 1994 cités dans Baylé et coll., 2000). L’analyse factorielle exploratoire initiale a permis de confirmer les trois sous-dimensions postulés à priori par Barratt : une rotation oblique a produit 3 facteurs dont l’intercorrélation moyenne est de 0.34. Cependant, les analyses ultérieures pratiquées par Barratt et d’autres auteurs (Luengo, Carrillo-De-La-Peña et Otero, 1991) n’ont pas permis d’extraire le facteur “ Impulsivité cognitive ”. Barratt suggère la possibilité d’une mauvaise appréciation par les sujets de cette sous-dimension et considère qu’elle existe bel et bien constituant un trait important de la dimension impulsive. La validité concourante de cette échelle avec d’autres instruments mesurant l’impulsivité a également été vérifiée.

Des valeurs normatives sont disponibles mais ne constituent pas des normes standards et elles ne peuvent être prises comme normes de référence dans notre étude étant donné l’utilisation d’une échelle de cotation discontinue par les auteurs (voir Luengo et coll., 1991 qui ont voulu comparer la BIS-10 avec l’Echelle d’impulsivité de Eysenck (IVE 7) ainsi que Baylé et coll., 2000). Une traduction française et une analyse factorielle de la BIS-10 a également été faite et est disponible (Baylé et coll., 2000), sachant qu’elle utilise à nouveau une échelle de cotation des items discontinue. Elle a été étudiée sur une population générale composée de 280 sujets. L’analyse en composantes principales sur cette version française permet bien de retrouver 3 facteurs de second ordre qui correspondent globalement aux dimensions proposées par Barratt. Une faible corrélation est observée entre l’âge et le score total. Par contre une influence du sexe sur l’impulsivité est retrouvée : la dimension “ Impulsivité cognitive ” apparaît plus élevée chez les femmes.

Une version révisée et définitive de la BIS-10, la BIS-11, a été construite par Patton et coll. (1995) étant donné les problèmes posés par l’absence du facteur “ Impulsivité Cognitive ” dans nombre d’analyses factorielles pratiquées dans différentes études. L’analyse de corrélations sur le total des items a mis en évidence 5 items pour lesquels les critères d’une corrélation significative n’étaient pas retrouvés. Seuls 30 items ont donc été conservés. Il n’existe pas de normes standardisées pour cette 11 version. Une analyse en composantes principales exploratoire des items de cette 11 version identifie 6 facteurs primaires et 3 facteurs de second ordre : un facteur “ Impulsivité attentionnelle ” qui regroupe des items se référant à l’instabilité cognitive et attentionnelle, un facteur “ Impulsivité motrice ” qui regroupe des items se référant à l’impulsivité idéomotrice et aux attitudes de persévération et un facteur “ Difficulté de planification ” qui regroupe des items concernant le contrôle de soi, l’organisation et la planification d’une action orientée vers le futur et la capacité à traiter des tâches cognitives complexes. Les items “ cognitifs ” composant le facteur “ Impulsivité cognitive ” de la 10 version de Barratt se répartissent sur tous les facteurs. Cette sous-dimension n’est donc toujours pas retrouvée et finalement est abandonnée dans cette nouvelle version. La distinction entre la composante cognitive et motrice de l’impulsivité faite dans la BIS-10 apparaît plus difficile à faire et ses deux composantes sont combinées dans la BIS-11 derrière la notion d’impulsivité idéomotrice. Cette dernière version reste cependant toujours en développement.

La BIS-11 utilisée actuellement dans les pays anglo-saxons et la BIS-10 utilisée dans les pays francophones constituent sans doute la mesure psychométrique de l’impulsivité la plus étudiée et la mieux connue. Elle s’avère modérément corrélée avec d’autres mesures d’impulsivité et de traits associés (tels que l’agressivité) et s’avère comparable à d’autres auto-questionnaires dans sa capacité à discriminer entre des groupes de sujets impulsifs et non impulsifs. En particulier, l’étude de Luengo et coll. (1991), comparant la BIS-10 et l’Echelle d’Impulsivité d’Eysenck (IVE 7), indique une très forte corrélation entre ces deux échelles, la dimension d’Impulsivité d’Eysenck corrélant préférentiellement avec le facteur “ Impulsivité Motrice ” et la dimension de Recherche d’aventure corrélant préférentiellement avec le facteur “ Difficulté de planification ”.

Les divergences en ce qui concerne les analyses factorielles pratiquées sur ces échelles qui fournissent une meilleure validité pour le score total que pour les sous-scores associés aux trois différents facteurs extraits, conduisent à considérer que cette échelle fournit une mesure générale de l’impulsivité plutôt que des mesures distinctes des sous-dimensions qui lui sont attribuées. Il n’existe pas de normes standardisées ce qui limite actuellement son utilité en tant qu’outil d’évaluation clinique. Un tel outil psychométrique apparaît finalement utile dans le cadre de la recherche plutôt que dans le cadre de l’évaluation clinique individuelle ou en tant que marqueur prédictif du développement de comportements impulsifs. Il peut par contre s’avérer intéressant dans un cadre individuel et thérapeutique en tant que mesure du changement au cours du temps.

Une question importante reste entière, qui ne s’applique pas seulement à cette échelle mais à tous les auto-questionnaires portant sur l’impulsivité, celle des capacités du sujet à évaluer correctement, c’est à dire le plus objectivement possible, son propre comportement (par exemple dans des items du type “ Je suis quelqu’un de réfléchi ”, “ Je suis maître de moi ”, “ Je réfléchis soigneusement ”), de telles capacités cognitives pouvant être par ailleurs d’autant plus compromises chez des sujets hautement impulsifs, pour lesquels le contrôle de l’expression des pensées et des actions est, selon l’approche théorique de Barratt, déficitaire.