Objectifs de la première partie

Nous examinons, dans cette première partie, le contenu économique des travaux néoclassiques traditionnels sur la croissance et sur le changement technique. Le but est de montrer que l’analyse de la croissance s’est affranchie d’explications sur le changement technique, pour les deux raisons suivantes :

  • la première est liée à une vision linéaire du changement technique, dont l’origine est perçue comme extérieure à la sphère économique. De plus, comme nous le verrons au cours de notre examen des théories néoclassiques de la croissance, un de leurs premiers problèmes est de fournir une explication sur les liens entre la croissance des facteurs de production agrégés et le produit. Dans les économies d’Europe occidentale, la reconstruction et les investissements sont le cœur des préoccupations des gouvernants et expliquent la direction prise par les économistes à ce moment‑là ;
  • la seconde résulte d’un découpage implicite des savoirs, où les modèles agrégés de croissance et les travaux sur le changement technique sont perçus comme des analyses complémentaires. La différence vient du niveau d’analyse et des principaux points sur lesquels souhaitent se focaliser les économistes. L’exclusion du changement technique au sein de l’analyse de la croissance s’appuie sur l’idée qu’une étude pertinente ne peut être menée qu’à un niveau moins agrégé. L’économie de l’innovation fournit alors les éclaircissements nécessaires à la compréhension des mécanismes de création et de diffusion de l’innovation.

La segmentation des théories, considérées comme des compléments, permet à chacune d’elles de s’appuyer sur les autres quand le besoin s’en faire sentir, c’est‑à‑dire surtout lorsqu’il s’agit d’introduire des concepts déjà étudiés par d’autres théories. Dans le contexte des théories traditionnelles, nous voulons insister sur le sens de ce découpage lorsqu’il s’agit notamment de proposer des politiques publiques. Une telle remarque s’accorde avec une des caractéristiques des théories de la croissance endogène. Celles‑ci insistent régulièrement sur leur supériorité par rapport aux modèles de base du fait de leur capacité à concevoir une intervention publique en faveur de l’innovation et in fine de la croissance. Dans le même temps, et nous le verrons dans les deuxième et troisième parties, elles soulignent la difficulté, voire l’impossibilité, d’énoncer des conclusions de ce type, en raison du caractère agrégé de leurs modèles. De ce point de vue, les théories de la croissance endogène s’interprètent comme une tentative des modèles agrégés de croissance de se rapprocher des principales conclusions issues des travaux sur l’innovation menés au niveau des industries, des firmes ou des technologies. Le fait que ces travaux considèrent que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer, justifie la place accordée à la politique en faveur de l’innovation au sein des théories de la croissance. La complémentarité des analyses peut à nouveau être considérée comme la règle et permet aux théories de la croissance endogène de reprendre des conclusions proposées par d’autres théories.

Cependant, comme nous l’avons signalé, les travaux sur le changement technique et l’innovation sont nombreux et ne se réfèrent pas tous au même cadre théorique. Aujourd’hui, la complémentarité entre des travaux macro‑économiques sur la croissance et des études micro‑économiques sur l’innovation se retrouve également au sein de l’approche évolutionniste. Aussi, la compréhension de la problématique traditionnelle de la croissance et du changement technique est-elle nécessaire pour comprendre les développements des « nouvelles » théories de la croissance et des théories évolutionnistes. Cette présentation permet de déterminer les sources de ces deux types de théories, puisque les premières sont une nouvelle version des théories de la croissance et que les secondes interviennent sur les mêmes thèmes que l’analyse néoclassique traditionnelle de l’innovation, mais avec des hypothèses différentes.