Les notions de Kuhn offrent la possibilité de comprendre l’évolution d’un corpus théorique, lorsque celui‑ci n’est pas remis en cause par une rupture scientifique éventuelle. C’est le cas pour la théorie néoclassique de la croissance, puisque les travaux néo‑cambridgiens n’ont jamais eu la constance nécessaire pour s’imposer 58 . Evidemment, cette remarque ne peut être faite qu’a posteriori, conformément en ce sens au point de vue de Kuhn. Aussi, comme la démarche de Kuhn a pour but de justifier la science telle qu’elle s’est faite et non de définir une méthodologie scientifique, nous adoptons, dans cette première partie, une approche descriptive de l’évolution de la science. Les concepts de Kuhn nous permettent de définir l’analyse de la croissance et l’analyse du changement technique telles qu’elles ont été menées depuis les années cinquante au sein du « maintream » et jusqu’au milieu des années quatre‑vingts. Cette démarche revient implicitement à considérer les deux points suivants :
La dichotomie proposée par l’analyse néoclassique entre la croissance et le changement technique la conduit à proposer deux paradigmes complémentaires, où les propositions de l’un sont acceptables par l’autre. Elle implique la séparation entre un paradigme centré sur les facteurs de production agrégés et un paradigme intéressé par les mécanismes de création et de diffusion de la technologie. Nous allons maintenant voir en détail ces deux paradigmes. Ce travail est indispensable, comme nous l’avons déjà suggéré, parce que les théories évolutionnistes proviennent des travaux traditionnellement axés sur le changement technique, alors que les théories de la croissance endogène correspondent à une nouvelle version des théories néoclassiques de la croissance.
Ce point est abordé dans le deuxième chapitre, voir pp. 43 et suivantes.