La séparation des analyses de la croissance et du progrès technique rompt avec les travaux de Smith, pour qui ces liens sont indissociables. Dès l’apparition de l’économie politique moderne, dont on accorde généralement la paternité à Smith et à la parution de An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations en 1776, les liens entre la croissance économique de long terme et le progrès technique sont établis. Pour Smith, la croissance économique résulte de l’augmentation de la productivité du travail qui découle elle‑même de la division du travail. Dès l’introduction du chapitre premier du livre premier, il précise que « les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de l’habileté, de l’adresse et de l’intelligence avec lesquelles il est dirigé ou appliqué, sont dues, à ce qu’il semble, à la division du travail » 59 . Ce qui est fondamental dans la pensée de Smith, c’est que la division du travail résulte de l’échange et non l’inverse. Parce que « les hommes ont un penchant à trafiquer, à faire du troc et des échanges d’une chose pour une autre » 60 , ils vont permettre la division du travail et la spécialisation. La division du travail ne précède pas l’échange, mais lui est consécutive. Les travaux de Smith mettent également l’accent sur l’extension du marché qui permet et nécessite la spécialisation de la production et de ses processus (Boyer ‑ Schmeder [1990]). La prise en compte des relations entre la division du travail et l’extension du marché souligne l’importance des relations entre la production et le marché. La division du travail permet un accroissement des rendements physiques. Toutefois, elle ne crée des richesses que dans la mesure où elle augmente la demande. En d’autres termes, les gains de productivité et la croissance de la demande sont étroitement liés (Gaffard [1994]). La croissance cumulative smithienne mise en évidence par Young [1928] 61 et Kaldor [1972] 62 résulte de la réaction en chaîne de la propension à l’échange, de la division du travail, de la spécialisation, de l’essor de la productivité et du dynamisme de la demande. Ce processus met en avant un changement technique endogène résultant de l’approfondissement de la division du travail productif ou intellectuel. La réaction en chaîne ainsi formulée permet de soulever un problème qui est au centre des développements contemporains et qui est absent dans l’analyse néoclassique traditionnelle : la possibilité de non‑convergence des taux de croissance entre pays et même le renforcement des divergences existantes. Toutefois, si les liens entre la croissance et le progrès technique sont depuis longtemps établis, la prise en compte systématique du progrès technique dans l’analyse de la croissance est beaucoup plus récente. Comme le souligne Boyer [1992], « la théorie de la croissance et les analyses du progrès technique étaient relativement déconnectées (...). Cette période est désormais terminée, suite à la parution de l’article de Romer [1986]et au dynamisme de la nouvelle économie industrielle » 63 . Cette question est abordée dans la deuxième partie.
Smith [1776], p. 37.
Smith [1776], cité par Boyer ‑ Schmeder [1990], p. 130.
Young A. [1928], « Increasing Returns and Economic Progress », Economic Journal, vol. 38, no. 148, December, pp. 527‑542.
Kaldor N. [1972], « The Irrelevance of Equilibrium Economics », Economic Journal, vol. 82, no. 328, December, pp. 1237‑1255.
Boyer [1992], p. 104.