1.1. Les origines des travaux néo‑cambridgiens

Au cours de ce siècle, l’Université anglaise de Cambridge a connu trois phases théoriques importantes (Targetti [1989]) :

  • la première débute avec un article de Sraffa publié en 1926 65 et porte sur la théorie de la concurrence imparfaite ;
  • la deuxième, initiée par la publication de l’ouvrage de Keynes A Treatise on Money en octobre 1930 66 et par un article de Kahn en juin 1931 67 , s’intéresse à la théorie du revenu et de l’emploi ;
  • la troisième met en jeu les théories du capital, de la croissance et de la distribution.

Les développements de ces dernières sont conduits, selon Feiwel [1989], « par Joan Robinson, Kaldor et Pasinetti, et inspirés par Sraffa » 68 . Il convient donc de signaler l’importance des publications de « The Production Function and the Theory of Capital » par Robinson en 1954 et de « Alternative Theories of Distribution » par Kaldor en 1956. Il est également nécessaire de rappeler l’ouvrage Production of Commodities by Means of Commodities publié en 1960 69 par Sraffa, considéré par Harcourt [1977] « comme un guide spirituel » 70 au sein de l’école post‑keynésienne. L’article de Sraffa de 1926, précédemment mentionné, correspond selon Gaffard [1991] à un examen « sur le domaine de validité des lois de rendements croissants ou décroissants pour conclure sur l’inexistence d’une loi générale des rendements non‑proportionnels » 71 . L’idée est que « plus la définition que l’on donne de l’industrie est large, plus il est probable que les forces à l’œuvre dans le sens des rendements décroissants (...) jouent un rôle important, et qu’à l’inverse plus cette définition est étroite (...) plus la probabilité que les forces responsables des rendements croissants (i.e. la division du travail) prédominent dans cette industrie sera grande » 72 . Aussi, de Bandt, J. L. Ravix et Romani [1990] soulignent, que « pour P. Sraffa [1926], la théorie de la concurrence pure ne peut traiter du problème des rendements croissants et il est nécessaire d’en tirer les conséquences analytiques et de recourir à une théorie du monopole » 73 . La problématique de cet article, qui pose la question de la concurrence imparfaite, est reprise par Robinson en 1932 74 , lorsqu’elle s’interroge sur les liens entre la concurrence imparfaite et la baisse du prix de l’offre.

L’article de Sraffa de 1926 a ouvert la voie à une recherche féconde. De manière similaire, son ouvrage de 1960 sert de point de départ à la démarche de Kaldor et de Robinson en proposant une théorie de la valeur et une théorie des coûts de production. Les différentes analyses menées par Robinson et Kaldor portent essentiellement, de manière plus ou moins prononcée, sur le rôle du capital et de la distribution du revenu sur le progrès technique et la croissance. Même si nous avons rappelé précédemment l’intérêt de Robinson pour les problèmes de sous‑développement, il n’en reste pas moins vrai qu’elle a toujours concentré la majeure partie de son attention sur les thèmes néo‑cambridgiens et sur la controverse, au point que « dans ses dernières années, Joan avait le sentiment d’avoir gaspillé trop d’énergie dans la controverse » 75 et « qu’on peut même estimer que les effets négatifs masquent les points positifs » 76 . De la même manière, Kaldor a élargi son champ de recherche, dès les années soixante, pour s’intéresser à des problèmes d’économie appliquée à la croissance. En 1966, il propose d’explorer les « causes du faible taux de croissance économique du Royaume‑Uni » 77 . Il est alors motivé parce qu’il est « résident du pays ayant le taux de croissance le plus faible du monde industrialisé » 78 . Ceci le conduit aussi à s’intéresser aux questions des rendements croissants et du développement économique, questions qui sont largement d’actualité au sein des théories de la croissance endogène.

Notes
65.

Sraffa P. [1926], « The Laws of Return under Competitive Conditions », Economic Journal, vol. 36, no. 144, December, pp. 535‑550.

66.

Keynes J. M. [1930], A Treatise on Money, The Collected Writings of John Maynard Keynes, vol. 5 and vol. 6, Cambridge University Press, Cambridge.

67.

Kahn R. [1931], « The Relation of Home Investment to Unemployment », Economic Journal, vol. 41, no. 166, June, pp. 173‑198.

68.

« By Joan Robinson, Kaldor, and Pasinetti, and inspired by Sraffa », Feiwel [1989], p. 62.

69.

Sraffa P. [1960], Production of Commodities by Means of Commodities, Cambridge, Cambridge University Press.

70.

« As a guiding spirit », Harcourt [1977], p. 192.

71.

Gaffard [1991], p. 66.

72.

Gaffard [1991], p. 66.

73.

de Bandt ‑ J. L. Ravix ‑ Romani [1990], p. 116.

74.

Robinson J. [1932], The Economics of Imperfect Competition, McMillan, London.

75.

« In her last years Joan felt that she wasted much energy on the controversy », Feiwel [1989], p. 59.

76.

« It may even be argued that the negative effects offset any positive gains », Feiwel [1989], p. 59.

77.

« Causes of the Slow Rate of Economic Growth in the United Kingdom », titre de l’ouvrage de Kaldor.

78.

« Resident of a country with the slowest rate of growth in the industrialized world », Thirlwall [1987], p. 4.